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Interview Ken Loach Dans Rouge N°2233
Publie le jeudi 27 décembre 2007 par Open-Publishing1 commentaire
A l’occasion de la prochaine sortie de son nouveau film, "It’s a free world !", Rouge a rencontré son réalisateur, Ken Loach.
Laura Laufer : Le personnage d’Angie complexe, séduisante, sympathique commet peu à peu de belles saloperies !
Ken Loach : Elle vient de la classe ouvrière, mais virée d’un travail qu’elle fait aussi bien que son patron, elle en a assez d’être victime et décide de monter son agence d’intérim spécialisée pour les immigrés. Dans ce but, elle doit gagner de l’argent, faire des choses illégales : elle encaisse les charges sociales, mais ne les déclare pas. Elle trouve le moyen de sous - louer des pièces aux travailleurs, et peu à peu faire de l’argent devient obsessionnel. Ceux qui agissent ainsi ne voient les travailleurs que comme un moyen d’atteindre leur but. C’est ça la moralité des affaires. Angie n’agit pas de manière atypique, elle à l’image des entrepreneurs de son temps, ce qu’elle fait est inhérent à la logique du profit.
Laura Laufer : Angie vient de la classe ouvrière mais choisit le camp adverse ; par contamination idéologique. Rose son associée veut payer les travailleurs mais Angie non, parce que « c’est un monde libre ».
Ken Loach : C’est ce que le monde dit : tout est marché. Angie est dans le coup. Rose n’accepte pas la logique du profit. Elle n’agit pas en femme d’affaires au contraire d’Angie qui agit en conformité avec le monde capitaliste.
Laura Laufer : Angie reçoit aussi les coups de ceux qu’elle exploite. La violence des rapports sociaux paraît amplifiée parce qu’Angie est une femme.
Ken Loach : Les immigrés sont tellement arnaqués, escroqués, volés dans le marché européen. Il y a une telle exploitation ! Pour son profit, Angie est prête à leur faire subir toutes les brutalités du système...Cette violence qu’ils emploient à leur tour est humaine. C’est la colère qui fait agir ici.
Yvan Guimbert : Hormis la scène dans la cuisine de la famille iranienne, nous ne sommes jamais dans l’intimité des immigrants, jusqu’à en être séparés par une barrière, symbole des frontières européennes, rejetés de l’autre côté .
Ken Loach : Oui, c’est cela la perspective d’Angie : la séquence dans la cuisine permet de rendre leur humanité aux immigrants. Tout est compris dans la dernière scène du film, où Angie demande son nom à la femme ukrainienne qui lui tend son argent, ce qui en fait enfin un être humain, et non plus une simple marchandise.
Yvan Guimbert : A propos du nouveau traité européen, on a beaucoup parlé du plombier polonais, mais dans ce film le Polonais, c’est une infirmière, un instituteur, ...
Ken Loach : C’est l’effet direct du capitalisme sur ces sociétés qui voient leurs travailleurs les plus talentueux partir : à l’université de Londres, des ingénieurs et des avocats font le ménage ; ils sont venus seuls, laissant leurs enfants dans leur pays à qui ils envoient de l’argent. Ils sont souvent logés à huit ou neuf dans des chambres sordides qu’ils payent 80 euros par semaine et par personne, leur laissant moins que le revenu minimum, et ne sortent qu’une fois par semaine pour aller au supermarché. Les Anglais refuseraient ces conditions d’esclaves économiques mais ne se battent pas pour les immigrés, laissant les patrons gagner bien plus d’argent avec les immigrés, tout en contribuant au chômage. Et ça fait le lit de l’extrême droite et du racisme. Tout cela étant bien sûr soutenu, financé, par nos gouvernements : c’est toute l’hypocrisie du système qui promulgue des lois, mais ne se donne aucun moyen de les faire appliquer, ayant absolument besoin de ce travail sous-payé sur lequel il repose.
Yvan Guimbert : Ce système offre un mirage à Angie ; il lui fait croire que, bien qu’issue elle-aussi de la classe ouvrière, elle peut s’en sortir en devenant à son tour exploiteuse.
Ken Loach : Elle est un petit maillon de la chaîne, mais en première ligne car la bourgeoisie ne peut pas régner seule et a besoin de gens comme Angie pour organiser la concurrence entre les travailleurs, et non pas les laisser lutter contre le capitalisme.
Yvan Guimbert : Quelques mots sur la situation politique en France et en Grande Bretagne. Que pensez-vous du projet de la LCR de construire un nouveau parti anticapitaliste ?
Ken Loach : Il y a une vraie crise de représentation de la classe ouvrière. En Grande Bretagne nos principaux partis sont tous pour le libéralisme, alors que dans notre soi-disant démocratie, la grosse majorité de la population n’a pas de représentant politique. J’ai soutenu Respect, ; maintenant Respect a éclaté car malheureusement la direction du SWP n’était pas préparée à sortir de son immobilisme. Mais cette crise était très nécessaire et la plupart des indépendants ont rejoint le Respect Renewed et pour la première fois nous allons avoir un journal. C’est très positif et ça va être la vraie alternative aux autres partis, comme ce que vous êtes en train de faire en France avec le nouveau parti anticapitaliste. Vous avez compris en France que c’est indispensable, et vous avez tous mes voeux de réussite !
Propos recueillis par Yvan Guimbert et Laura Laufer
Messages
1. Interview Ken Loach Dans Rouge N°2233, 28 décembre 2007, 11:24
Merci ken, j’ai hâte de voir ton film.
sl