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Interview : « Plínio », candidat du PSOL aux présidentielles brésiliennes de 2010.

Publie le samedi 19 juin 2010 par Open-Publishing

Plínio
de Arruda Sampaio ou
« Plínio » est une figure historique de la gauche brésilienne. A partir de
1962, il participe au gouvernement de João Goulart pour mettre en place
le projet de réforme agraire. Après le coup d’état militaire de 1964,
il fait partie des 100 premiers brésiliens privés de leurs droits
civiques, et s’exile au Chili. Il revient au Brésil en 1976 pour
participer au mouvement pour la démocratie, et devient l’un des
fondateurs du PT en 1980. A la chute de la dictature, il est élu député
constituant, et fait inscrire la réforme agraire dans l’article 184 de
la constitution brésilienne, utilisé par le Mouvement des Sans
Terre (MST) dans la lutte pour les expropriations de terres. En 2005,
il quitte le PT en déclarant que les programmes du PT et du PSDB
(libéraux) sont semblables. Il défend désormais les courants
révolutionnaires dans le PSOL. Suite à la décision d’Héloïsa Helena,
candidate en 2006 (6,85% et 6, 5 millions de votes), de tenter sa
réélection comme sénatrice, Plinio est désigné candidat aux élections
présidentielles d’octobre 2010 pour le PSOL.

 

Plínio de Arruda Sampaio en compagnie d’une dirigeante du Mouvement des Sans Terre (MST) en visite sur une occupation urbaine de 1.500 familles dans la ville de Fortaleza – Etat du Céara – 4ème ville du Brésil. Crédit Photo : Flora Bajard

 

Plínio
mènera donc la
campagne face à Dilma Roussef (PT – Parti des Travailleurs), défendant
la continuité avec le gouvernement Lula, à José Serra (PSDB – Parti
social Démocrate Brésilien) représentant le front libéral et à Marina
Silva (Parti Vert) soutenue par les secteurs de l’éco-capitalisme (son
candidat à la vice présidence, Guilherme Leal, est PDG de la
multinationale NATURA, il est classé 463ème fortune mondiale par le
magazine Forbes).

 

 

Quel a été l’impact de la
crise au brésil ?

L’impact de la crise ici est très
contradictoire. La crise mondiale a totalement fermé des opportunités
d’investissement de capitaux en Europe, aux Etats unis au Japon, et dans
les pays dynamiques économiquement. Les capitaux qui ne peuvent plus
investir dans ces pays cherchent donc ailleurs. Nous avons, au Brésil,
les plus forts taux d’intérêt pour le capital investi, nous avons ainsi
eu un afflux d’investissements étrangers. Ceci a certes créé des
facilités de change pour le gouvernements brésilien, mais les
investissements sont conditionnés selon les besoins des pays
impérialistes : les exportations industrielles sont freinées, ce qui
entraine la montée du chômage dans l’industrie, et au contraire les
exportations agricoles ou de matière première explosent car la demande
internationale est énorme.

 

Donc
la crise a finalement aidé à la
nouvelle insertion du Brésil dans la division internationale du
travail. Elle a fait que le Brésil a enterré le projet de nation
industrielle, pour redevenir une nation exportatrice de matière
première. On est en train de vivre une néocolonialisme… commandé par les
forces du « marché ». C’est une situation très grave.

 

Quel
est le Bilan de huit ans de
gouvernement Lula ?

 

Le
gouvernement Lula a une grande valeur
symbolique. C’est le premier homme du peuple, un nordestino, pauvre,
immigré vers le Sud et avec une enfance et adolescence très difficile,
qui est arrivé au pouvoir au Brésil. Ce fait est historique et c’est un
paradigme en soi. Maintenant, le rôle qu’il a eu est extrêmement
néfaste.

 

Le
fait d’exporter tant de produits
agricoles et de matières premières entraine de fortes recettes de
capitaux pour l’Etat sous forme de revenus fiscaux. Le gouvernement
utilise alors cette manne fiscale pour mener des politiques
assistancialistes pour les plus pauvres.

 

Grâce
à cela, il gagne à court terme un
énorme soutien populaire, mais il est en train de pourrir la société
brésilienne, parce que l’éducation, la santé restent terribles, ainsi
que la sécurité sociale. Les pauvres brésiliens peuvent aujourd’hui
acheter des frigos, et pensent qu’ils sont en train de changer de classe
sociale. La situation est extrêmement sérieuse car on assiste en
réalité à la dilution des organisations sociales : comme Lula a un
énorme soutien populaire (80% d’opinion favorable), il oblige les
leaders de ces organisations – qui sont pour la plupart des
organisations socialistes – à accepter, par la pression populaire, une
politique qui n’a rien de gauche. Ceci génère d’énormes divisions dans
le mouvement social : il n’y a aucun mouvement social ici qui ne soit
pas divisé, et ceci est grave.

 

D’un
autre côté, Lula construit une
relation populiste d’un autre temps, qui est une relation entre la masse
et un leader sans l’intermédiaire d’un parti. Ce gouvernement est
profondément néfaste pour la moindre conquête sociale réelle au Brésil.
Certains disent que Lula est le « Père des pauvres et la Mère des
riches », car ces derniers n’ont jamais autant fait de bénéfice que
pendant ces huit dernières années.

 

Le
capitalisme brésilien a
changé avec Lula ?

 

Le
capitalisme Brésilien a réellement
changé pendant la dictature militaire. Comme le disait Florestan
Fernandes (1) le capitalisme brésilien a fait sa révolution bourgeoise à
cette époque, une révolution bourgeoise sous domination nord
américaine, et depuis ils restent subalternes. On peut dire que l’on a
ici une bourgeoisie qui « marche à la commission », qui reçoit
essentiellement les retombées sous forme de commissions des énormes
bénéfices que les multinationales font dans ce pays. C’est une
bourgeoisie sans ambition à l’étranger, ou alors vers quelques secteurs
dans d’autres pays d’Amérique Latine, mais toujours dans cette même
logique de commissions. Par contre, ici, ils ne cèdent rien, ils se
comportent de façon extrêmement caricaturale, violente, ce qui fait de
la société brésilienne l’une des plus violentes au monde.

 

Quels
sont les axes principaux
de votre campagne ?

 

Notre
campagne est une campagne de
contre-feux : les deux candidats des deux partis bourgeois ont fait en
sorte que la campagne soit très courte, très restreinte (elle se fera
seulement en 3 mois dans un pays-continent), car leur but est de noyer
les sujets sociaux. Ils ne veulent pas discuter des problèmes réels du
pays parce qu’ils savent qu’indépendamment de leur volonté, la
conjoncture internationale va les obliger à remplacer les mesures
populistes par des mesures d’austérité. Ils ne veulent pas que le peuple
en ait conscience, et ils ne veulent pas que le peuple puisse voir des
alternatives.

 

Nous
voulons faire un contre-feux aux
trois idées forces de leur consensus : 1.« tout va bien » 2.« cela va
encore s’améliorer » et 3.« il n’y a pas d’alternative au capitalisme ».

 

Nous
allons dire que « cela ne va pas si
bien » ; que « ça ne va pas s’arranger » et qu’« il existe un projet d’un
Brésil socialiste ».

 

Dans
cette optique, nous sommes en train
de bâtir un programme qui n’est pas un programme socialiste, car nous
ne sommes pas en condition de faire une rupture radicale aujourd’hui,
mais il avance l’idée d’anticapitalisme, et sert à semer largement les
idées socialistes. Par exemple, nous allons défendre des solutions
qu’aucun d’eux n’aura le courage d’assumer, pour montrer que leur
discours est une arnaque. Nous allons proposer une réforme agraire
radicale : toute propriété de plus de 500 hectares sera expropriée pour
être rendu à la population rurale, grâce à des propositions simples qui
règlent largement certains problèmes structurels du Brésil. Nous voulons
faire apparaitre clairement que le bilan de Lula sur cette question-là
est très mauvais, et que leurs politiques ne servent qu’à maintenir la
situation d’inégalité actuelle. C’est dans cette optique que nous allons
mener la campagne.

 

Il
y a des séminaires régionaux
de constitution du programme. Qu’en est-il sorti ?

 

On
arrive au même point : nous devons
faire un programme extrêmement radical, pour choquer vraiment ! Choquer
la bourgeoisie, la classe moyenne, les réactionnaires. Nous devons
éviter tout discours doctrinaire mais proposer des mesures qui sont
contradictoires avec les bases mêmes du capitalisme ; ce sont celles-là
qui conscientisent, et notre principale tâche est conscientiser. Un
thème important pour nous est l’éducation : on doit nationaliser toute
l’éducation et permettre aux écoles communautaires qui ne font pas de
profit de rester indépendantes pour garantir une liberté de pensée.

 

Les
questions environnementales sont
fondamentales, par exemple l’eau, une façon pour nous de mener ce combat
de contre-feux, sera de parler de l’accès et de l’assainissement de
l’eau comme une question de droit de l’Homme.

 

Outre
la réforme agraire, nous luttons
aussi pour une réforme urbaine, pour la création d’emplois publics afin
d’améliorer le quotidien et surtout les logements. En ce moment, ici à
Fortaleza, 1.500 familles occupent un terrain en pleine ville avec le
MST et le MCP (Mouvement des Conseils Populaires) pour obtenir cette
réforme urbaine.

 

Les
violences ici au Brésil sont
dirigées principalement contre les femmes et les adolescents, et contre
les noirs, il y a beaucoup de racisme. Les adolescents des favelas sont
victimes du crack, de la police et du trafic de drogue, il y a un besoin
urgent de justice sociale et pénale au Brésil et des besoins en terme
d’infrastructure, d’éducation et de travail culturel pour sortir de la
catastrophe humaine que nous vivons.

 

Les
femmes doivent pouvoir disposer de
leur corps, la question de l’avortement a toujours été une question
délicate au Brésil, mais nous ne devons pas hésiter : je suis catholique
et je défends non pas la dépénalisation, mais la légalisation de
l’avortement, parce qu’une femme pauvre en meurt et une riche peut le
faire sans danger. Je vais aux gay pride, et je pense que les LGBTs
peuvent se marier et adopter des enfants. Le conservatisme de ce pays ne
sert qu’à oppresser un peu plus notre peuple.

 

Quel
type de soutien peut avoir
le PSOL dans les mouvements sociaux ?

 

Nous
sommes dans une phase de reflux du
mouvement social, c’est la plus grosse difficulté du PSOL aujourd’hui,
car quand on a fondé le PT en 1980, nous étions au sommet d’une grande
agitation populaire et il était facile de recruter et d’obtenir des
soutiens. Aujourd’hui, nous sommes dans une phase de reflux et de
division, et dans cette division, le Psol reçoit le soutien d’une partie
seulement du peuple organisé. Il y a deux jours, j’ai été invité pour
parler avec 3000 jeunes du MST parce que l’un des dirigeants soutient
notre candidature. Nous avons ce type d’appui, même partiel, dans les
organisations de masse rurales, et nous avons un soutien de la théologie
de la libération dans les communautés ecclésiastiques de base qui
existent encore. Nous sommes aussi soutenus par des groupes dans les
syndicats combatifs Conlutas et Intersindical. en fait, nous avons un
réel soutien d’une partie des mouvements combatifs, mais toujours dans
ce contexte de reflux profond des mobilisations.

 

Peut-on
s’inspirer des pratiques
du Mouvement des Sans Terre (MST) pour mobiliser les plus démunis pour
construire un projet politique socialiste pour le Brésil ?

 

Il
faut ! C’est la meilleure pédagogie
que je connaisse, je ne connais aucun autre secteur de la société
brésilienne ayant cette capacité à

former
politiquement en élevant
réellement le niveau de conscience sociale et politique des pauvres et
des exclus. Je viens de parler de ces 3.000 jeunes Sans Terre : ils ont
tous entre 20 et 30 ans, logés dans un gymnase, organisés en petits
groupes, tout le monde agit avec beaucoup de discipline, tout
fonctionne, il ne manque personne aux cours, alors que rien est
obligatoire et qu’il n’y a pas de diplôme à la clé, ou autre chose. Ils
ont développé cette capacité extraordinaire en se basant sur le travail
volontaire, en redonnant une structure de pensée et une dignité à ces
jeunes qui ont connu la violence et la misère des communautés rurales,
et même parfois urbaines. Celso Furtado, notre grand économiste, disait
qu’après le mouvement contre l’esclavage, le MST est le plus fort
mouvement social que l’on ait connu au Brésil.

 

Aujourd’hui,
comment se
positionne le MST pour les élections ?

 

Il
est traversé par les contractions
dont je parlais précédemment : la forte popularité de Lula dans la base,
et aussi le financement de certains programmes du MST par le
gouvernement, créént des discussions dans le mouvement, il n’ont pas de
position unanime. En ce moment ils disent : « L’important est de battre
la droite, peu importe si on vote pour Dilma, Marina ou Plínio,
l’important c’est que le PSDB ne revienne pas au pouvoir »

 

Quel
impact peut avoir votre
campagne ?

 

Nous
allons avoir beaucoup de
difficultés, parce que les grands moyens de communication ici
appartiennent à des monopoles privés qui se lient aux grands partis.
Donc l’impact médiatique pour l’instant est faible, on devrait commencer
avec un faible score dans les premiers sondages. La politique
brésilienne se joue malheureusement beaucoup sur les personnalités, et
cela fait vingt ans que je n’ai pas mené de campagne. J’ai été deux fois
candidat gouverneur de l’Etat de Sao Paulo, avec notamment une grande
campagne dans les années 80, mais cela date un peu, et on ne peut pas
dire que je sois une figure populaire.

 

Pour
pallier à ce problème, nous
réfléchissons aux nouveaux modes de communication politique, parce que
la télévision était le seul moyen jusqu’à maintenant, mais on peut
combattre son hégémonie par internet, les réseaux sociaux, les
diffuseurs de vidéos en ligne… C’est sur ce type de média que nous
pouvons avoir une diffusion importante de nos idées. Et on va surprendre
au moment du vote !

 

Propos
recueillis par Julien
Terrié, le 25 mai 2010 dans la bibliothèque « Daniel Bensaïd » du siège du

PSOL du Céara – Fortaleza – Brésil

Suivre la campagne de Plínio sur
http://pliniopresidente.com/

Notes :

(1) Florestan Fernandes est condiséré
comme le père de la sociologie brésilienne, il était militant de la
gauche du PT, le MST a donné son nom à son école de formation de cadre
politique : l’Ecole Nationale Florestan Fernandes (ENFF) à Sao Paulo.