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Isoler la droite israélienne

Publie le vendredi 19 septembre 2003 par Open-Publishing

L’édification du mur, ajoutée à de nouvelles implantations illégales, va
contre la création d’un Etat palestinien indépendant

Isoler la droite israélienne,

Par Ahmad Tibi, Jeudi 18 septembre 2003 (Libération)

Ahmad Tibi est député à la Knesset et leader du Mouvement arabe pour le
changement :

(Traduit de l’anglais par Bérangère Erouart)

Dans un Etat démocratique binational, juifs autant qu’Arabes jouiront de
leur liberté en conformité avec le slogan « Un homme, un vote ».

Ce n’est pas un hasard si, comme cela s’est récemment produit, la Knesset
approuve une déclaration politique stipulant que « Judée, Samarie et Gaza ne
sont ni historiquement ni politiquement ni juridiquement des territoires
occupés ». Il n’est pas plus surprenant que la même Knesset ait voté à une
large majorité contre la « feuille de route », un vote que nous avons réclamé
pour établir le fait que le gouvernement refuse un processus de paix qui
nécessite l’engagement des Israéliens. L’actuel gouvernement de coalition,
on ne peut plus radical, rejette en bloc le principe de la feuille de route.

Cette feuille de route est sans doute truffée d’inconvénients, et nous
incite à de nombreuses objections : elle ne comporte notamment aucun plan
d’action obligeant le gouvernement israélien à prendre des mesures
drastiques. Elle laisse au contraire à Israël le monopole, et lui offre la
possibilité de différer ses actions sur toute la durée des trois phases
prévues. L’aspect le plus désavantageux de la feuille de route concerne
cette idée d’un « État Palestinien provisoire » occupant à peine 42 % de la
Cisjordanie et de Gaza. Ce caractère « provisoire » est d’ailleurs une
constante de la politique israélienne dans le conflit israélo-arabe en
général, et le conflit israélo-palestinien en particulier. Ainsi, notre
principale objection tient au fait que nous allons droit à une situation
d’apartheid, avec d’une part l’approbation des Palestiniens et de la
communauté internationale, et d’autre part les Israéliens, qui poursuivent
l’édification du mur de séparation.

En dépit des arguments clairement exprimés à l’encontre de la feuille de
route, nous comprenons pleinement le contexte international et les
transformations géopolitiques à l’échelle régionale et mondiale qui ont
conduit le commandement palestinien à accepter ce projet. Projet qui était
initialement l’oeuvre d’un « Quartet », mais qui a rapidement été pris en main
par l’administration américaine, avec pour conséquence la mise à l’écart de
l’Union européenne, des Nations unies et de la participation russe. Le camp
palestinien a approuvé la feuille de route comme une bouée de sauvetage face
à la débâcle politique et militaire, et pour alléger les souffrances de son
peuple.

La construction du mur de séparation dresse des frontiè res politiques
permanentes. A l’inverse de ce que prétend Sharon, le gouvernement israélien
confisque aux Palestiniens de nouvelles terres. Son édification, ajoutée à
de nouvelles implantations illégales, constitue le principal obstacle à la
création d’un État palestinien indépendant suivant les frontières du 4 juin
1967. Dès lors, soit nous assistons à la fin de l’occupation israélienne sur
tous les territoires de 1967 grâce à un compromis historique entre le
mouvement national palestinien et Israël, soit à la mise en place de
bantoustans comparables aux bantoustans noirs d’Afrique du Sud au temps de
l’apartheid, une solution intitulée « réorganisation de l’occupation ».

A la vue de ce qui se passe actuellement, et en dépit de notre indéfectible
attachement idéologique et politique à une solution « à deux États » (une
Palestine érigée sur les territoires de 1967 et un État d’Israël), cette
idée d’un « État Palestinien temporaire » - qui doit être rejetée - ainsi que
la construction du mur et les nouvelles implantations vont nous amener à
remettre en question la solution « à deux États », et à nous aligner sur la
solution d’un Etat démocratique binational, allant de la rivière à la mer,
où tous, Juifs autant qu’Arabes, jouiront de leur liberté, en conformité
avec le slogan « un homme, un vote ».

La solution d’un État unique inclut deux communautés culturelles : les
Arabes palestiniens avec leur culture arabo-christiano-islamique, et les
Juifs israéliens avec leur nouvelle culture hébraïque.

Une solution que rejette massivement la société israélienne. Notre intention
n’est pas de la lui imposer à tout prix : l’alternative « à deux états » est
celle que nous continuons de soutenir et à appeler de nos voeux ; c’est la
plus réaliste sur le plan local, régional et international, et dans le monde
arabe comme en Israël.

Notre véritable dessein est d’isoler la droite israélienne et son idéologie
expansionniste, qui exclut la création d’un État palestinien. Il nous faut
marginaliser politiquement cette idéologie, en lui opposant un mouvement
populaire hostile, encouragé par les élites israéliennes, lesquelles devront
prendre conscience que l’occupation et le projet d’expansion dans les
territoires palestiniens sont impossibles à poursuivre.

De leur côté, les Palestiniens ne peuvent accepter un nouveau système de
séparation raciste où, comme le prévoit la feuille de route dans sa
référence à un état « temporaire », les Palestiniens tiendraient le rôle des
Noirs sud-africains. Cela ne correspond pas aux aspirations du peuple
palestinien qui résiste, et se bat contre l’occupation pour accéder enfin à
l’indépendance, à la liberté et à la dignité humaine.