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Kadhafi, capture d’écran
par Isabelle Talès
Publie le dimanche 23 octobre 2011 par Isabelle Talès - Open-Publishing1 commentaire
C’est un combattant barbu à casquette, portant une bague à un doigt sur trois, qui se vante. C’est un ministre français de la défense en costume sombre et au ton grave dans le clair-obscur d’une salle de presse qui le déclare. C’est un philosophe à la chevelure en bataille et au verbe épique qui le raconte. On les écoute, d’une chaîne à l’autre, donner chacun à sa manière le récit de la façon dont le colonel Kadhafi, dictateur libyen, a été capturé et tué, jeudi 20 octobre, à Syrte.
Mais que pèsent les mots d’un rebelle anonyme, de Gérard Longuet, de Bernard-Henri Lévy (membre du conseil de surveillance du Monde) face aux images qui, nous prévient-on partout, vont nous "choquer" ? Longtemps, on ne voit qu’une image arrêtée : un visage ensanglanté. Puis une image qui s’anime : un pantin sanguinolent malmené par une troupe. Une image figée à nouveau : un homme mort à terre, torse nu. Une dernière image qui se réanime : le visage flouté d’un cadavre rhabillé.
Il faut le dire franchement, la fin d’un ennemi public, même en léger différé, c’est toujours dégoûtant - se souvenir des Ceaucescu fusillés ou de Saddam Hussein pendu -, mais ne pas la voir, c’est un peu frustrant - se rappeler Ben Laden jeté à la mer sans nous.
Le problème, c’est souvent l’hypocrisie : prévenir que les images sont violentes et les diffuser en boucle ou les figer sur un écran géant qui les transforme en élément de décor. Le problème, c’est parfois le ridicule : se croire obliger de commenter à chaud - "Son état de santé n’est pas bon, mais il semble très fortement encore vivant", a-t-on entendu sur i-Télé.
Le problème, jeudi soir, c’est que ces images contredisaient les récits. Sur France 2, David Pujadas l’a fait remarquer à BHL, qui venait d’avoir ses copains généraux rebelles au téléphone et tirait de cette conversation une histoire captivante : "Kadhafi se cachait dans une sorte d’égout. Il a cru que c’était des gens à lui qui approchaient. Il y a eu des échanges de tirs, et c’est à la suite de ces échanges de tirs que Kadhafi aurait été abattu." Mais ces images qui ressemblent à un lynchage, alors ? "Dans toutes les révolutions, il y a des moments de ce genre où le groupe en fusion devient beaucoup moins sympathique", a répondu le philosophe.
Invité sur le même plateau, Gérard Longuet restait lui-même circonspect sur les faits, mais célébrait l’union sacrée du ministère de la défense et du ministère de la parole : "Quand on a une armée courageuse et des intellectuels clairs, ça marche pas si mal."
Il faut dire que le jour était historique, et reconnaître que désormais l’Histoire passe par les téléphones portables. C’est avec l’un d’eux que les derniers instants de Kadhafi ont été filmés, et c’est par un SMS qu’Hillary Clinton a été prévenue, tandis que des caméras s’installaient autour d’elle à Kaboul. Et qu’a dit la chef de la diplomatie américaine en apprenant la nouvelle ? Rien de plus que nous autres : "Waou !"
http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/10/21/kadhafi-capture-d-ecran_1591908_3232.html
Messages
1. Kadhafi, capture d’écran, 23 octobre 2011, 13:02
Au temps des cavernes, quand on naviguait à vingt-cinq à l’heure, par mail, l’invective ultime s’appelait reductio at Hitlerum.
Maintenant, real-time, la contraction finale de l’Histoire s’expulse par Twitter. C’est qdand même infiniment plus prophyllactique, élégant et indolore.