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L’Europe a accouché de sa première constitution

Publie le samedi 19 juin 2004 par Open-Publishing
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BRUXELLES - L’Union européenne a accouché dans la douleur vendredi d’une Constitution dont la vie risque d’être abrégée par un accident de ratification dans l’un des 25 pays où des référendums seront organisés, comme le Royaume-Uni.

Les chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-Cinq n’ont pas boudé leur plaisir à l’issue du sommet de Bruxelles, même s’ils n’ont pu pour l’instant se mettre d’accord sur le nom du successeur de Romano Prodi à la tête de la Commission en raison de vetos croisés contre les différents candidats en présence.

Après le fiasco de décembre dernier, qui avait plongé l’Union dans l’incertitude, l’heure était à la célébration.

"C’est un grand résultat pour l’Europe, c’est un grand résultat pour tous les Européens", a déclaré le Premier ministre irlandais Bertie Ahern qui, à son poste de président de l’UE, a réussi là où Silvio Berlusconi avait échoué il y a six mois.

Le président de la Commission européenne, Romano Prodi, a estimé que ce texte ferait faire à l’UE un bond de géant.

"La Constitution, c’est l’essence de l’unité politique," a-t-il expliqué à l’issue des deux jours de négociation.

Pour le président du gouvernement espagnol, Jose Luis Rodriguez Zapatero, la comparaison fut de nature historique.

Même les Polonais, les plus réticents à accepter un texte contre lequel ils se sont battus, ont sablé le champagne après avoir mené un dernier - et vain - baroud d’honneur pour obtenir une référence à Dieu dans le préambule du texte.

Mais le jugement le plus attendu était celui du "père" de cette Constitution, Valéry Giscard d’Estaing, qui a présidé la Convention européenne dont est issu le texte approuvé.

"UN GRAND JOUR POUR L’EUROPE"

L’oracle s’est montré très positif, même si les dirigeants européens ont méchamment effacé du préambule la citation de l’historien grec Thucydide à laquelle il tenait tant.

"C’est aujourd’hui un grand jour pour l’Europe", a-t-il déclaré dans un communiqué, évoquant un "rêve" tout proche.

Il est vrai que le texte approuvé respecte l’équilibre auquel la Convention est parvenue après 18 mois de travaux.

Il prévoit la création de deux postes censés permettre à l’UE de parler sinon d’une seule voix, du moins en harmonie : un ministre des Affaires étrangères et un président du Conseil européen élu pour 2,5 ans seront chargés de cette tâche.

Le vote à la majorité qualifiée deviendra la règle, ce qui donne plus de pouvoirs au Parlement européen, "codécideur", même si le Royaume-Uni a réussi à préserver son droit de veto dans de nombreux domaines importants tels que la fiscalité.

La Commission européenne, qui restera composée d’un membre par pays jusqu’en 2014, ne devrait ensuite plus compter que des ressortissants venant des deux-tiers des Etats membres.

Comme lors de l’échec de décembre 2003, la question du mécanisme de partage du pouvoir a fait l’objet des négociations les plus ardues entre les dirigeants européens.

Selon le compromis conclu, la majorité qualifiée sera atteinte si 55% des pays représentant 65% de la population venant de 15 pays au moins vote en faveur d’une proposition, alors que la Convention proposait des pourcentages inférieurs (50-60) qui auraient facilité la prise de décision.

Si la gouvernance économique a fait peu de progrès, les pays de la zone euro seront plus libres pour s’organiser et procéder à une meilleure coordination de leurs politiques économiques.

PASSER DU REVE A LA REALITE

Il reste maintenant à faire ratifier un texte qui, même s’il est beaucoup plus simple que les précédents traités européens, est loin d’être le document lisible par tous envisagé au départ.

Une dizaine de pays entendent organiser des référendums populaires et, dans certains d’entre eux, l’opinion publique est loin d’être gagnée par une soudaine poussée d’eurolâtrie.

Si l’on en juge par l’éditorial publié vendredi par le tabloïd britannique The Sun, dont Tony Blair avait obtenu l’appui déterminant lors de sa victoire électorale de 1997, son "oui" à la Constitution européenne lui coûtera cher.

"Si Tony Blair appose aujourd’hui sa signature sur ce document, il mettra un terme à 1.000 ans de souveraineté britannique", peut-on lire dans ce texte qui annonce une campagne très délicate, dans un pays où les partis eurosceptiques ont remporté près de la moitié des voix le 13 juin.

Or, si un seul Etat membre dit "non" à la Constitution, tout l’édifice s’effondre, et aucune solution de rechange n’est prévue, a fortiori s’il s’agit d’un grand pays.

Bertie Ahern s’est montré confiant, puisque le texte qui sera présenté aux Européens est simple et clair.

"Ce traité est très différent", a-t-il déclaré en rappelant les complexités de Nice. "C’est leur Constitution."

"VGE", lui, est prêt à s’engager "à fond".

"J’appelle toutes les citoyennes et tous les citoyens de ce grand ensemble à se mobiliser en faveur de leur Constitution pour passer ainsi du rêve à la réalité", a-t-il dit.

par Laure Bretton et Yves Clarisse
Libé 19-06-04