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L’alcool, un tabou politique

Publie le dimanche 31 janvier 2010 par Open-Publishing

Faut-il ou non dépénaliser la vente de l’alcool aux Marocains musulmans ? Le sujet est sensible. Et la polémique n’en est qu’à ses débuts

Par : Hicham Houdaïfa

Tout a commencé par une fatwa d’Ahmed Raïssouni, figure emblématique du mouvement Attawhid wal Islah, qui a recommandé aux musulmans de ne pas faire leurs courses dans les grandes surfaces qui vendent également de l’alcool. Abdelbari Zemzemi, autre alem et parlementaire du Parti fidélité et vertu, a immédiatement réagi à cette fatwa : « C’est une attitude qui va obliger les musulmans à faire un effort supplémentaire. Et si on adopte la logique de Raïssouni, un musulman ne doit pas partager les mêmes endroits avec des femmes non voilées », explique le député de Casablanca-Anfa.

Le débat s’est envenimé après l’intervention de Khadija Rouissi, membre du Parti authenticité et modernité (PAM). Egalement présidente de l’association Bayt Al-Hikma (Maison de la sagesse), une association non-religieuse qui s’occupe de questions sociales, Khadija Rouissi a appelé à la dépénalisation de la vente de l’alcool aux Marocains musulmans. « Nous avons réagi à la fatwa de Raïssouni partant du principe qu’aussi alem soit-il, il n’avait pas le droit d’émettre une consultation religieuse. Cela est du ressort exclusif du Conseil des ouléma », raconte K. Rouissi. Avant d’ajouter : « La loi interdisant la consommation de l’alcool doit être supprimée parce que c’est une atteinte aux libertés individuelles. Les gens sont capables de choisir. La réglementation en vigueur devrait être comme celles des démocraties occidentales. »

La réaction aux propos de Khadija Rouissi ne s’est pas fait attendre. « Pourquoi ne pas légaliser alors la drogue ou l’homosexualité ? La référence des Marocains, c’est l’islam, pas les conventions internationales. Si Rouissi et ses amis sont des démocrates, qu’ils respectent la volonté du peuple », tonne Zemzemi.

« Déstabilisation du Maroc »

De son côté, Lahcen Daoudi se montre particulièrement virulent avec l’ex-membre du Forum vérité et justice en traitant ses propos de « carie », nous explique le député du PJD. « Toute tentative de vouloir légiférer dans le sens demandé par cette dame va dans le sens d’une déstabilisation du Maroc. Les hypocrisies sont nombreuses et Mme Rouissi doit réfléchir aux conséquences des discours de salons », avertit Lahcen Daoudi. Autre reproche qu’il fait à K. Rouissi, c’est que, membre d’un parti politique, le PAM en l’occurrence, elle n’avait qu’à présenter un projet de loi en ce sens. « Se cacher derrière des associations pour semer la zizanie, c’est là où se situe la véritable hypocrisie », conclut Lahcen Daoudi.

Même son de cloche chez le politologue Mohamed Darif qui trouve qu’il s’agit là d’un faux problème. « La priorité, ce sont les réformes ayant trait aux institutions et à la Constitution. C’est à travers ces réformes que l’on peut mieux protéger les libertés individuelles », affirme-t-il. Selon Darif, le Maroc a toujours fonctionné avec deux systèmes : l’un occidental et l’autre islamique. « C’est un consensus propre au Maroc. La sortie de Mme Rouissi risque par contre de renforcer le discours des radicaux religieux. » Cette dernière persiste dans ses déclarations et répète que « les lois qui stipulent que les alcools ne doivent être vendus qu’aux étrangers est en contradiction avec la Constitution qui garantit la liberté et le droit individuels et collectifs, et le droit à la différence. »

Ahmed Assid verse dans le même sens : « Les islamistes et les salafistes refusent de reconnaître les changements de la société parce qu’ils ne se font pas en leur faveur. C’est pour cela que leurs fatwas sont en contradiction avec la réalité. » Rappelons que c’est le dahir de juillet 1967 qui, dans son article 28, « interdit à tout exploitant de vendre ou d’offrir gratuitement des boissons alcooliques à des Marocains musulmans. » Dans la pratique, les Marocains restent de grands consommateurs d’alcool.

Source : Le Journal Hebdomadaire (fermé par les autorités marocaines le 27 janvier 2010)