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"L’altereuropéisme" et la CES.

Publie le jeudi 2 mars 2006 par Open-Publishing
2 commentaires

L’altermondialisme en Europe et le syndicalisme.

par Christian DELARUE syndicaliste et altermondialiste.

Membres du collectif du 29 mai, syndicalistes, membres d’ATTAC et d’autres associations alter mondialistes, nous luttons contre l’Europe du capital et des élites idéologico-politiques qui ensemble dominent les peuples et les salariés d’Europe. Nous savons que cette résistance peine à être unifiée . Nous avons certes des désaccords sur les perspectives . Pour autant nous voulons construire une autre Europe, sociale et écologique, égalitaire et démocratique.

Pour l’Europe que nous voulons nous pouvons prendre appui sur des partis politiques, des syndicats, un mouvement alter-mondialiste mais pour autant nombreux sont celles et ceux qui, non sans raisons, doutent de l’existence d’une force sociale et politique en capacité de faire valoir une alternative en Europe . Car l’Europe que nous voulons n’est pas celle décrite par le projet constitutionnel européen ni celle dont les médias nous parlent, par trop réduite à la circulation des marchandises et ou les « citoyens » ne sont au mieux que des clients et des consommateurs quand il ne s‘agit pas de chômeurs et de précaires.

Ce texte se propose de défricher le type de syndicalisme porté par la seule composante syndicale européenne (à exclusion donc des forces proprement politiques) .

I - Le syndicalisme respectueux de la CES

Le syndicalisme européen est aujourd’hui représenté par la Confédération Européenne des Syndicats dite CES, la Fédération syndicale mondiale - FSM - étant désormais très marginalisée . La CES a été fondée en 1973 . Constituée de 77 organisations membres de 35 pays et de 11 fédérations syndicales européennes , elle est forte de 60 millions de membres.

 Le respect de l’ordre social global existant.

Lors de son congrès de Prague de 2003 la CES a revendiqué "un engagement politique clair en faveur de la construction européenne, une construction européenne conçue sur un modèle de développement qui respecte la dimension sociale" selon Jean-François TROGRLIC(1) dans une étude sur le syndicalisme européen (2).

La fin de la citation laisse apparaître que la CES porte un syndicalisme respectueux de l’ordre social global européen, lequel ordre ou modèle comprend plusieurs « dimensions » démocratique, productive, sociale . La dimension sociale est ici entendue au sens strict de règles de protection des salariés actifs ou retraité ou chômeurs compatibles avec les impératifs du système productif, donc compatible avec le système capitaliste productiviste. Il ne s’agit nullement d’aller plus loin, de déborder le système, de le dépasser .

Le début de la phrase conforte-t-il cette appréciation ? Autrement dit de quelle construction historique de l’Europe a CES a-t-elle été partie prenante ?

 L’engagement à construire l’Europe libérale et sociale.

La CES, fondée en 1973, a revendiqué « un engagement politique clair », profond et durable sur un type bien particulier de « construction » européenne, de modèle de développement celui d’une Europe longtemps réduite à une zone de libre-échange comme une réalité forte et massive alors que le « modèle social européen » est toujours un perpétuel défi .

La CES assume la construction exclusivement libérale et marchande à laquelle elle n’a pas participée en tant que tel, celle d’avant sa naissance, mais aussi celle qui « se construit » encore pendant son activité, de 1973 jusqu’à l‘acte unique européen de 1986, puis celle qui perdure ensuite sous forme de supplément d‘âme au libéralisme.

II - La CES comme « partenaire social » de cette construction historique spécifique de l’Europe.

Cette conception « partenariale » traduit bien l’inscription de la CES dans le cadre du système capitaliste. Quoique brefs, les 4 points suivants le démontre suffisamment.

1 - Un syndicalisme de négociation éloigné de sa base salariale...

Écoutons JF Trogrlic qui précise les répercussions de cette participation syndicale qui s’est manifestée essentiellement par la mise en oeuvre d’un syndicalisme "réaliste" de négociation et de compromis : "Les partenaires sociaux ont d’abord pratiqué les avis communs peu contraignants, mais qui ont constitué en quelque sorte les gammes du système de dialogue social européen, élaboré ensemble, puis annexé comme protocole au traité de Maastricht, avant d’être inclus dans le traité d’Amsterdam, et enfin intégré au traité constitutionnel en phase de ratification" .

Le projet de traité constitutionnel (qui entérine les précédents traités européens) serait en quelque sorte la vérité aboutie de ce type de syndicalisme . Lisant cette « constitution » on y verrait toutes ses « conquêtes » comme la fameuse « charte des droits » et toutes ses limites notamment la sacralisation d’« une économie de marché ou la concurrence est libre et non faussée » qui réduit la charte à un texte flou et secondaire.

Évoquant cette participation à la « construction » européenne, il ne faut pas s’étonner que le comité directeur de la CES a pris position le 13 juillet 2004 en faveur de la ratification du projet de traité constitutionnel . Ici n’est-ce pas le type de syndicalisme mis en œuvre qui pose problème au regard des distances qu’il prend si aisément avec la démocratie syndicale et les revendications salariales et parallèlement le peu d’indépendance qu’il manifeste à l’égard des intérêts du patronat.

2 - ...mais proche du patronat européen.

En effet le type de syndicalisme porté par la CES ressemble fort à celui "du stylo à la main" porté en France par Nicole NOTAT et François CHEREQUE . Il a fait écho à une certaine demande à la fois patronale (UNICE et CEEP) et politique - celle notamment de Jacques DELORS - d’un "dialogue social européen" . Un tel dialogue de sommet mené « à froid », sans rapport de force permet au patronat de préserver l’essentiel voire de conquérir de nouvelles dispositions favorables à l’exploitation de la force de travail en échange de quelques miettes du gâteau. Et ce qui est abandonné aisément ne l’est que provisoirement et cela est souvent présenté par les syndicats de patrons comme une entrave ou une ponction toujours trop insupportable pour « l’économie » ou « les entreprises » ou « la nation » . En effet, pour le patronat, qu’il s’agisse de période de croissance ou de période de crise, il n’y jamais de « grain à moudre », de bénéfice(s) à partager . Il faut toujours pour eux réduire les coûts salariaux, réduire les salaires augmenter le temps de travail, la flexibilité, etc... et ce n’est que devant la détermination des salariés que le capital cède aux travailleurs des droits et des garanties représentatives de réelles conquêtes sociales.

3 - Un syndicalisme qui est entré en crise de légitimité .

Le syndicalisme de négociation n’est pas mauvais en soi mais celui de la signature obligée comme celui s’exerçant « à froid » s’apparente à un « marché de dupe » ou en termes de « conquêtes sociales » les salariés perdent plus qu’ils ne gagnent... C’est bien cette participation de l‘élite syndicale, cette collusion et imbrication à ce « modèle social » critiqué pour sa réduction à la peau de chagrin sociale et écologique autorisée par la « construction » européenne réellement existante qui pose aujourd’hui problème .

L’Europe des six étant fondée exclusivement sur le marché, le social a donc constitué pour le syndicalisme combinant luttes revendicatives et négociations « à chaud » plus un énorme défi prenant le sens du dépassement du cadre existant qu’un « modèle social » existant à respecter . Lequel "modèle social" semble alors plus relever de l’idéal, ou plus exactement d’une utopie concrète qui part de l’extrapolation des droits conquis dans les Etats « Providences » de l’après-guerre ou dans le tout premier Etat soviétique . Pour que le bilan soit positif, les conquêtes sociales doivent peser nettement plus que les reculs et les défaites .

Par contre pour la CES le modèle social valorisé et défendu est compris d’une part comme ajout d’une « dimension sociale » à une société de marché existante et d’autre part comme contradictoire c’est à dire intrinsèquement porteur d’une dynamique interne mais limitée à l’amélioration du cadre existant . On retrouve ici le principe de « la fin de l’Histoire » de Fukuyama .

4 - Un syndicalisme de mobilisation pour l’accompagnement social .

Quid du syndicalisme de mobilisation ? Ce type de syndicalisme existe bien au niveau européen mais est-il à la hauteur des enjeux ? Car un syndicalisme de mobilisation n’est pas bon en soi . Il n’est pas nécessairement un syndicalisme de transformation sociale prenant appui sur les revendications salariales et sociales . Il peut simplement être instrumentalisé et borné dans sa dynamique profonde pour venir en appui de négociations en cours, négociations inscrites dans les limites de l’accompagnement social du libéralisme .

Comme le rappelle JF Trogrlic le syndicalisme de mobilisation de la CES se limite « aux manifestations allant de Porto à Bruxelles, de Nice à Barcelone » . Alors que ces mobilisations sont jugées comme un enjeux fort pour l‘avenir par le syndicalisme « lutte de classes » et les altermondialistes, le leader cfdtiste cache mal qu‘il n‘est que secondaire dans la conception de la CES . La CES préfèrerait avoir des partenaires alteuropéistes « plus mûrs et plus responsables » . Une certaine appréciation de l’évolution actuelle tend à confirmer des changements dans le mode d‘action des alter mondialistes (cf article Télérama).

Ajoutons que ce syndicalisme de mobilisation et de manifestation m^me avec des perspectives réduites à des modifications marginales de la construction européenne n’a pu voir le jour qu’avec la présence de la CGT dans la CES et sous la pression du mouvement alter mondialiste, notamment d’ATTAC, un mouvement beaucoup plus revendicatif que celui de la CES.

Pour conclure :

Les projets syndicaux se distinguent en fonction du cadre global qui sert de référence à l’ensemble du mouvement social et politique . Alors que le projet syndical de la CES semble bien inscrit dans l’alternance politique, celui du mouvement alter mondialiste et de sa composante syndicale se veut plus inscrit lui dans la perspective de la nécessaire alternative altermondialiste.

Contrairement à la vulgate cfdtiste, le mouvement syndical et altermondialiste n’est pas seulement un front du refus global et stérile comme le répète ici encore JF Trogrlic, il ne se limite pas à une sorte de « lutte de classe » sans perspective et inscrite dans un accompagnement social-libéral du capitalisme. Ce mouvement altermondialiste et sa composante syndicale est aussi porteur d’un projet syndical incompatible avec l’Europe libérale et plutôt inscrit dans un projet composés de multiples alternatives qui par convergence forment une alternative globale et systémique.


(1) Jean-François TROGRLIC est secrétaire national CFDT chargé des questions internationales et du développement durable .

(2) JF TROGRLIC est l’auteur de l’article « Le syndicalisme européen » paru dans la revue ETVDES de décembre 2004.

Messages

  • Bonjour

    Je fais partie du comité local d’ATTAC de la région de Maubeuge, et je voudrais te poser quelques questions. Je te remercie à l’avance de tes réponses.

    Est-il vrai qu’il y a dissension entre les ATTAC de France et d’autres pays au sujet de la suite à donner à la lutte contre la directive Bolkestein ?

    Je suis aussi syndiqué CGT, ne crois tu pas qu’il faudrait qu’un syndicat comme la CGT se retire de la CES, dans laquelle elle n’a rien à faire, si ce n’est se discréditer ?

    André

    • Je ne réponds que sur le point concernant la CES et les syndicats.

      De nombreuses décisions sont prises au niveau européen, des firmes y sont intégrés... Bref, il y a un besoin objectif d’une organisation syndicale en Europe et la CES, malgré ses défauts, existe.

      Trop de compromis ? La CGT peut-elle créer une autre organisation syndicale en Europe ? Peut-être (il lui faut des partenaires), mais ce serait ajouter une organisation de plus.

      Je crois que la CGT est une chance pour ceux qui veulent un autre syndicalisme au sein de la CES . Mais cela suppose une ferme volonté de sa part (et non conformisme) et surtout cela suppose qu’elle soit réellement en capacité de changer profondément les pratiques syndicales de la CES . Là, je suis pessimiste : ce n’est donc pas gagner, loin de là.

      Sur ce sujet lire "La place et les actions de la CGT dans le monde" de l’Institut CGT d’histoire sociale avec notamment les contributions de Georges CROESE "La CGT et l’Europe", de Louis VIANNET "L’activité de la CGT en Europe", de Rene MOURIAUX "Les grands axes de la politiques internationales de la CGT",d’Alphonse VERONESE...

      Christian Delarue