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L’autopsie du Néolibéralisme

Publie le samedi 18 octobre 2008 par Open-Publishing

L’autopsie du Néolibéralisme par le Dr Dana Scully

Cher M. Skinner,

Veuillez trouver ci-joint mon rapport détaillé sur le Néolibéralisme.

Nous avons réceptionné, à 20h43, le cadavre du « Néolibéralisme ». Il se serait évadé, en 1962, d’un laboratoire de l’Université de Chicago, consécutivement à la rédaction de « Capitalisme et liberté » par Milton Friedman. Depuis, il a été aperçu un peu partout dans le monde, jouissant des plus hautes protections. Quelques clichés dérobés le montrent en compagnie de personnalités de premier plan : Pinochet, qui fut sa grande amitié de jeunesse ; Eltsine, son joyeux compagnon ; Deng Xiaoping, le vieux sage avec lequel il aimait deviser sur la condition humaine.

Personne n’est venu réclamer le corps du Néolibéralisme, en dépit des démarches entreprises par l’agent Mulder auprès de MM. Sarkozy, BHL, Minc, Attali, Strauss-Kahn (et bien d’autres encore). S’ils ont tous admis avoir croisé le Néolibéralisme, ils ont juré que c’était par hasard ou par erreur ; ils ont même pris soin de fournir des listes de témoins qui pouvaient attester que, depuis leur plus jeune âge, ils n’avaient jamais cessé de le « décrier » sur tous les toits. Peut-être des membres de la famille se présenteront-ils le jour de l’enterrement…

L’examen de l’épiderme du Néolibéralisme révèle qu’il porte, sur son torse, un tatouage en lettres gothiques avec la mention « je t’autorégule » ; entre les omoplates, on observe un autre tatouage qui représente un dollar et un euro qui se compénètrent, avec, au dessous, la mention « Chicago boys en force ! » ; derrière la nuque, on trouve un autre tatouage, avec l’inscription « no rules ».

Examen des organes internes après ouverture de la cage thoracique : L’examen du contenu gastrique démontre une consommation récente de milliards d’euros et de dollars, ainsi qu’un abus prolongé de produits titrisés qui ont gâté les parois internes de l’appareil digestif. En bien moindre quantité, on constate des résidus d’autres facteurs de productions : matières premières, concessions de services publics privatisés, livret d’épargne, êtres humains. L’appareil digestif se présente sous la forme d’un long tube qui alimente directement les bourses.

L’examen du squelette révèle une étrange difformité. Les membres inférieurs, tout en ayant l’aspect de jambes normales, ont, à l’examen, un squelette analogue à ceux de bras humains.

D’après l’agent Mulder, le Néolibéralisme se serait génétiquement adapté pour pouvoir marcher la tête à l’envers, mais « incognito », c’est-à-dire sans que personne ne s’en aperçoive grâce au fait que ses bras sont dissimulés à l’intérieur des jambes.

Toutefois – d’après Mulder -, ce ne serait là, au plan adaptatif, qu’un élément secondaire. Le plus important est que la tête du Néolibéralisme ignore que sa « vraie » tête : ce sont ses bourses (puisque les bourses sont à la place de la tête, c’est-à-dire à la hauteur des bras - qui sont dissimulés dans les jambes). La tête, qui demeure en hauteur (mais elle devrait être en bas puisque le Néolibéralisme marche avec ses bras dissimulés dans ses jambes), est conséquemment en lieu et place des pieds (qui devraient être en haut, puisque le Néolibéralisme marche avec ses bras). Cette transposition de la tête aux pieds à pour principal effet que la tête est animée par des préoccupations qui concernent habituellement les pieds : par exemple, la tête du Néolibéralisme est obsédée par l’idée qu’il faut que les gens soient « bien à plat » pour assurer « l’équilibre du marché », ou bien, elle peste continuellement contre les « canards boiteux » ou bien encore, elle se réjouit des « marches forcées vers la liberté ».

Ce mode de fonctionnement à été étudié sous le nom de « motilité clivée », dans les laboratoires souterrain de l’Université de Chicago. L’agent Mulder me présente une K7 vidéo extraite des archives de l’Université de Chicago qui lui a été remise récemment par l’une de ses « sources ». Il s’agit d’un interrogatoire du Néolibéralisme réalisé un peu moins d’un an avant qu’il ne s’évade. On y voit Néolibéralisme attaché à une chaise et l’interrogatoire est mené selon la méthode de la régression hypnotique eriksonienne :

L’expérimentateur : « Pourquoi dites-vous que le clivage est le principe même de la motilité ? »

Le Néolibéralisme (en léthargie) : « C’est fort simple : pour qu’il y ait crise, il faut que le travailleur se clive lui-même, qu’il perde conscience de ses droits et de ses propres intérêts. Et pour cela, il faut qu’il se laisse prendre à l’illusion d’être un spéculateur, par exemple en s’absorbant dans la contemplation du cours des actions de son fond de pension ou de celle de sa maison. Mais le spéculateur, de même, doit se cliver, et s’éprendre de l’illusion qu’il est une sorte de travailleur, c’est-à-dire un producteur de richesses authentiques. Pour cela il faut encourager son attachement puéril pour l’ingénierie et pour les logiciels qui programment des ventes et des achats de valeurs boursières, appareillages qui lui font croire qu’il fait un « vrai » travail. De même il est essentiel d’obtenir son adhésion à un fonctionnement quasi « taylorien » de la spéculation, par laquelle la masse des spéculateurs du monde entier accomplissent simultanément, et de la manière la plus « moutonnière », les mêmes achats et les mêmes ventes ; en effet, moins une activité est créative, plus elle ressemble à du travail ! Enfin, il doit ressentir une contrainte à inventer continûment des « risques » qui peuvent arriver et qui lui permettent de justifier l’usage de produits d’assurance qu’il va acheter et vendre. Toute l’astuce est là : faire croire au travailleur qu’il connaîtra la réussite du spéculateur ; et faire croire au spéculateur qu’il a acquis la dignité d’un travailleur dont la fonction serait de « protéger » la production contre des « risques » qui la « menacerait ». Evidemment, quand j’ai mangé ses économies, le travailleur redécouvre - un peu tard ! - qu’il n’est qu’un travailleur ; et quand le spéculateur, découvre qu’il avait inventé tous les risques, sauf celui de rencontrer mon dévorant appétit, il comprend – un peu tard ! - qu’il n’a jamais rien créé de réel et qu’il n’est qu’un spéculateur. »

L’expérimentateur : « Je ne comprends toujours pas comment, du clivage adviendrait la motilité ! »

Le Néolibéralisme : « C’est pourtant simple ! La suppression de toutes les règles génère une anarchie, qui permet au spéculateur d’imaginer à chaque instant de nouveaux risques ; et par conséquent de justifier de l’utilité de produits sensés couvrir des risques, qui n’existent que parce que l’on a générer de l’insécurité en supprimant les règles. Vous comprenez bien que le clivage est impératif, car le système ne fonctionnerait pas correctement si ses agents prenaient conscience qu’ils n’assurent que des risques qu’ils ont fabriqués eux-mêmes, du fait de la dérégulation. Ce n’est qu’à la condition qu’ils demeurent inconscients de l’origine véritable du risque, que les spéculateurs se motivent à remplir mon garde-manger ! C’est le risque - et même, parfois, la seule imagination d’avoir un risque aux trousses -, qui impulsent chez eux ce mouvement dont les Bourses prennent la tête. »

L’expérimentateur : « Il n’y aurait donc que des risques imaginaires ? »

Le Néolibéralisme : « En un sens oui, puisqu’un risque n’existe vraiment que dans la mesure où il existe un produit financier pour le couvrir. Le seul risque qui menace une entreprise, c’est que des spéculateurs lui fassent subir une OPA inamicale pour la dépecer, chose qui lui arrive en effet, si elle ne verse pas assez de dividendes ou si elle n’achète pas assez de nos produits sensés couvrir les « risques » ; bref, si elle rechigne à remplir mon garde-manger. »

L’expérimentateur : « Est-ce que vous avez conscience que vous êtes vraiment très méchant ? »

Après quinze longues secondes de silence, le Néolibéralisme est prit de convulsions. Il râle : « j’ai faim ! ». Il s’agite et se débat de plus en plus violement sur sa chaise.

Une voix stridente dans le studio : « Horreur ! Les courroies vont céder ! ».

L’expérimentateur interrompt prématurément l’expérience en réveillant le patient.

L’expérimentateur (en s’épongeant le front) : « Vous souvenez-vous de notre conversation ? »

Le Néolibéralisme (quelque peu désorienté, et après quelques secondes d’hésitation) : « Pas très bien… Mais, je vous ai peut-être parlé du fait qu’il faut que les gens soient bien à plat pour assurer les grands équilibres du marché… à moins que je vous ai parlé de la nécessité de se débarrasser des canards boiteux… laissez-moi deviner… je vous ai parlé du plaisir à s’engager de tout cœur dans les marches forcées vers la liberté… C’est ça ? »

Les examens toxicologiques confirment la mort par empoisonnement, consécutive aux interactions qui ont potentialisé la haute toxicité de produits dérivés (subprimes, LBO, hedge found, credit default swaps, crédit Alt-A, etc.), avalés d’un seul coup et sans respect des posologies conseillées. Aucun junky n’aurait accepté d’avaler un cocktail aussi détonnant !

D’après l’agent Mulder ce type de mutation génétique s’est déjà produit par le passé. Des chamans, qui ont initiés Mulder à l’usage du Peyotl, lui ont parlé d’un certain Liberador, gentilhomme castillan chargé, en 1634, de piller, pour le compte de la couronne d’Espagne, le trésor de Moctezuma. Il fut capturé, puis sacrifié en l’honneur de Huitzilopochtli et, au cours de la cérémonie, les prêtres aztèques furent stupéfaits par la structure huméro-radio-cubitale des os de ses jambes, là où ils s’attendaient à trouver une structure fémoro-péronéo-tibiale. Une pierre gravée, découverte en 1858 dans la jungle du Yucatan par l’explorateur Désiré Charnay, représente Liberador, symboliquement représenté sous la forme d’une tête qui court avec ses deux bras poursuivi par un sacrificateur brandissant un couteau d’obsidienne. Mulder m’apporte – pour autre « preuve » - le cas du baron de la Libertière, proche associé du banquier John Law de Lauriston. Il aurait, d’après la Gazette royale du 15 novembre 1720, remporté un duel en empoignant une épée avec son pied et réussit, d’un plié-tendu de la jambe, à planter sa lame dans le cœur de son adversaire. Ce dernier était un épargnant mécontent d’avoir été ruiné par les papiers-monnaies de la Banque Law. Mulder ajouta à sa « démonstration » le cas d’Harold Liberty. Cet homme d’affaire possédait, dans les années 30, la plupart des établissements de marchands de sommeil de la ville de New-York et il était connu pour ne parler que d’« équilibres du marché », de « canards boiteux » et de « marches forcées vers la liberté ». Alors qu’il armait son révolver pour réveiller avant l’aube ses pensionnaires, il se tira maladroitement une balle dans les bourses. Les médecins qui le soignèrent, furent surpris d’un changement radical dans sa manière de penser et de voir le monde : il devint traducteur de l’intégrale de l’œuvre de Proust en anglais, en allemand, en islandais, en inuit, en ourdou et en bamiléké et il rédigea plusieurs « méditations » sur le "Un Coup de Dés jamais n’abolira le Hasard" de Mallarmé.

Bien qu’il soit tout à fait incapable d’en apporter le plus petit début de preuve, l’agent Mulder est persuadé qu’il existe d’autres individus, en tous points semblables à Néolibéralisme. Ce risque n’étant nullement écarté, notre agence devrait recommander au gouvernement de faire installer à l’entrée des bourses et des salles de réunions des conseils d’administrations des sociétés cotées au CAC40, des appareils de radiologie ; cela afin que les agents de surveillance puissent examiner attentivement le squelette des membres inférieurs de toute personne qui y entre ou qui en sort. Cette mesure coûtera infiniment moins cher au contribuable que le renflouement des caisses des spéculateurs.

J’espère, M. Skinner, n’avoir omis aucun détail d’importance pour la sécurité nationale.

Votre dévouée,

Docteur Dana Scully.

Note de M. Skinner :

J’ai eu M. Sarkozy au téléphone qui m’a assuré qu’il avait convaincu nos amis européens d’injecter massivement de l’argent dans le système bancaire, mesure qui permettra de « tout remettre bien à plat pour rétablir les équilibres du marché », de promouvoir l’idée que cette crise va nous débarrasser des « canards boiteux » et que nous serions tous engagés dans une « marche forcée vers la liberté ».

Affaire à classer sans suite.

 Démocrypte

http://www.betapolitique.fr/L-autopsie-du-Neoliberalisme-par-13813.html