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L’école meurt. Et nous mourons avec elle.

Publie le vendredi 19 mars 2010 par Open-Publishing

Voilà presque deux mois qu’en Seine-Saint-Denis, nombre d’établissements sont en grève, bloqués, perturbés. Les personnels, en majorité, n’en peuvent plus. Les enfants, en majorité, expriment de plus en plus leur sentiment de délaissement, d’exclusion. Les gens se replient. Et nous subissons pressions, retenues sur salaire, déprimes.
Nous ne reconnaissons plus nos écoles, nos collèges, nos lycées, nos facs. Quelque chose de grave se passe. Autant depuis de nombreuses années, nous rouspétions contre des "réformes", des "ajustements", autant, en cette année 2010, c’est la rage qui s’exprime. La rage de ceux qui sont au bord du précipice. La rage de ceux qui n’ont plus rien à perdre.
A la rentrée prochaine,on en sera, depuis 2007, à plus de 50 000 postes d’enseignants détruits. A la rentrée prochaine, ceux qui auront obtenu le concours seront devant les élèves, à temps complet. A la rentrée prochaine, en cas d’absences, les chefs pourront recruter directement, de gré à gré, des enseignants, là où ils les trouveront. A la rentrée prochaine, il sera très difficile de faire des langues rares, des options artistiques et culturelles en seconde. A la rentrée prochaine, le lycée professionnel sera amputé de postes, de filières, de moyens de recrutement d’élèves dramatiques qui laisseront aux missions locales des centaines de jeunes.
Et on manifeste, on gueule, on grève, on marche dans les rues de nos quartiers avec des parents, on essaye de bloquer, on dort dans les bahuts, on signe moultes pétitions, lettres, motions...
Et puis rien.
Rien au gouvernement (on s’en doutait un peu...), mais surtout, rien dans l’opinion, rien dans les médias, et très peu de messages forts de soutien des centrales syndicales. Pas d’appel à une grève illimitée dans l’éducation nationale, en danger de mort.
Perdre du fric (à peu près 90 euros pour une journée de grève), saborder son programme et réduire ses cours pour faire quand même le maximum pour les gamins, subir les regards moqueurs et les discours désespérés de collègues blasés et de proviseurs entrepreneurs, entendre, dans son entourage, les remarques habituelles (ah ces profs, ils ont des vacances, ils gueulent tout le temps, qu’est ce qu’ils veulent, la révolution ? il faut bien faire des économies ! etc.) qui prennent un relief douloureux en ce moment, tout ça, ça devient plus que supportable. Une impression de parler dans le désert. Désagréable sensation d’être "ridicules", quand on essaye de faire passer notre message, quand on croit ne pas se battre pour sa gueule mais pour l’avenir, pour le peuple, pour la république.
Il y a peu, une de mes collègues, une "ancienne", comme on dit, me faisait part de son dégoût de voir l’école (qu’elle voit, comme bcp de gens de sa génération comme un moyen de justice sociale, d’émancipation, d’ouverture culturelle) devenir cette triste machine de tri social. Elle rajoutait, et ça m’a fait frémir : qu’est ce qu’il faut ? Qu’on se suicide pour être écoutés ?
Mécanisés, caporalisés, fliqués, dénigrés par les journaux que nous sommes encore nombreux , malgré tout, à acheter et à lire, par les hommes politiques, que nous sommes encore nombreux, à soutenir, en allant voter (bé oui, faut bien comprendre, fonctionnaires de la république, on a les boules de s’abstenir, on y va quand même, en se disant que c’est fou comme les profs ont un sens aujourd’hui presque ringard du devoir et de la citoyenneté, un sens décalé par rapport au peuple), on est au bord de la rupture.
Nous sommes, vous êtes, au bord d’un choix. Sans luttes radicales et soutenues par la population, l’école sera la première touchée par les ajustements structurels d’un FMI ou d’un FME. Sans luttes radicales, la situation sera telle que le souvenir d’une école républicaine efficace pour le peuple sera évanoui, disparu. Oublié le Conseil National de la Résistance et la possibilité pour tout élève méritant de construire l’élite de la nation. Oublié l’injonction populaire d’une éducation émancipatrice, déchiffreuse du monde.
Il ne restera qu’une structure, qu’une machine, qu’un réseau.
Bouffés par le langage technocratique, nous oublions Condorcet, Louise Michel, Lagrange, Aubrac. Nous oublions le rôle fondamental d’une idée de l’éducation dans un projet social (voire révolutionnaire). Sans la chair populaire, le squelette d’une instruction républicaine s’effrite, et disparaît.
Voilà, c’est un message de désespoir -relatif. Je sais que les camarades de Bella Ciao luttent au quotidien, je sais que mon syndicat fait ce qu’il peut, je sais que beaucoup de gens, parents ou élèves, grands pères et grands mères, savent que sans une école forte et respectée, nous courons, en France, le risque de guerres civiles. Mais, je sais aussi qu’à force d’être entre profs, entre parents d’élèves, nous nous isolons, tout en nous demandant pourquoi personne ne nous soutient. Alors je ne peux m’empêcher de vous communiquer notre colère, pour me sentir moins seul, moins "privilégié" comme ils disent, à tort, et comme, à force d’être entendu, nous nous le disons nous mêmes.
Les profs grévistes de l’Île de France seront à la manif du 23 mars. Ils défileront encore, et le mercredi, seront devant leurs élèves, qui à parler de Racine, de la division cellulaire, de l’Italie, des fonctions affines, ou de la règle de trois, qui à faire réciter Rimbaud ou à imaginer des calculs savants avec les enfants. Ils auront devant leurs yeux ce que l’Etat, la Droite, soutenue par les médias et par les économistes libéraux, font au peuple et à ses enfants. Ils devront répondre aux multiples questions des jeunes sur les injustices, les problèmes, les incompréhensions. Cela devient insupportable. Et désolé pour le coup de gueule, mais, en tant que communiste, je tenais à partager les réflexions que nous nous faisons avec de nombreux collègues, sur mon site communiste préféré !
Révolution !
jean