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L’écrivain Gilbert Gatore se voit refuser la nationalité française

par Olivier Milot

Publie le vendredi 1er juin 2012 par Olivier Milot - Open-Publishing

Gilbert Gatore, écrivain d’origine rwandaise vivant en France depuis l’âge de 16 ans, vient de voir sa demande de naturalisation rejetée. N’ayant plus le statut de réfugié, il risque l’expulsion.

Gilbert Gatore avait demandé rendez-vous à la France mais la France s’est mise aux abonnés absents. Au terme d’une longue procédure, elle vient de lui signifier pour la deuxième fois en sept mois son refus de le naturaliser. Pour une vieille histoire de peu de sous. « Un comportement fiscal jusqu’à récemment sujet à critiques », dit le recommandé de la Direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté (sic) du ministère de l’Intérieur. Traduire, un arriéré d’impôts de 3 845 euros dû à une situation financière délicate et passagère en 2010, réglé depuis rubis sur l’ongle, pénalités comprises.

Pour qui connaît un peu l’homme, son parcours et son amour pour ce pays, cette décision est aussi absurde qu’incompréhensible. Récemment encore, il écrivait sur ce site : « Les étrangers sont des individus ni plus, ni moins vertueux que les Français mais souvent portés par l’amour du pays qui les accueille, un amour d’autant plus vif, qu’ils l’ont choisi ».

Ses parents ont choisi la France en 1997. Rwandais, ils avaient fuit le génocide qui ravageait leur pays en 1994, erré pendant des années en Afrique avant d’atterrir à Nice. Le jeune Gatore a alors 16 ans et parle mal le français ce qui ne l’empêchera pas de décrocher dix-huit mois plus tard un bac L mention bien, avant d’enchaîner avec Sciences Po Lille puis HEC.

A 26 ans, il parcourt la France pendant deux mois d’un monastère à l’autre pour écrire en toute quiétude un roman qu’il porte en lui depuis longtemps. Ce sera Le Passé devant soi, une fiction éblouissante où il approche au plus près l’horreur impossible à dire du génocide rwandais. Il expédie son manuscrit par la poste à quatre maisons d’édition (Le Seuil, Minuit, Actes Sud et Phébus), reçoit trois réponses positives, choisit Phébus car il a été touché que l’éditeur lui envoie une note de lecture personnelle détaillée de son texte.

L’accueil de la critique et du public est unanime. Le livre remporte le prix Ouest France-Etonnants Voyageurs au festival de Saint-Malo. Un écrivain est né. Les portes d’une carrière littéraire lui sont grandes ouvertes. Il les referme doucement refusant de se laisser enfermer dans l’image du énième Rwandais témoignant du génocide. « Il est des nationalités qui pèsent plus que d’autres », confie-t-il presque en s’excusant. Il opte alors pour une carrière de directeur commercial dans une grande agence de publicité, fonde une entreprise qui ne rencontre pas le succès escompté, connaît une passe financière difficile, revient au commercial.

Longtemps il s’est refusé à demander la nationalité française car elle l’obligeait à renoncer à celle de ses origines. « J’avais l’impression d’oblitérer une partie de moi-même. » En août 2010, il bascule. « J’avais passé plus de temps en France qu’au Rwanda, le moment était venu. J’avais envie d’être Français. Je n’imaginais mon avenir nul part ailleurs qu’ici. »

Consciencieusement, il remplit les formulaires de naturalisation, passe un entretien, un « test de francité », un autre entretien et puis attend, attend, attend. Jusqu’à cette décision récente. Jusqu’à ce que le ministère de l’Intérieur lui refuse la possibilité de laisser enfin son passé derrière lui. « J’ai eu le sentiment de me faire cracher à la figure. »

Gilbert Gatore, qui vivait depuis dix ans sous le statut de réfugié politique, est sans papiers depuis décembre 2011 dans l’attente du renouvellement de son statut. Si rien n’est fait dans les prochains jours, il risque de perdre son emploi, de devenir expulsable. Alors même s’il a bien trop de pudeur pour le penser et encore plus pour le dire, on va le faire à sa place : si l’administration refuse la naturalisation à un homme qui, à tous points de vue constitue ce « modèle d’intégration à la française » dont les politiques nous rebattent les oreilles dans leur discours, alors quel étranger peut aujourd’hui prétendre à être naturalisé français ?

http://www.telerama.fr/livre/l-ecrivain-gilbert-gatore-se-voit-refuser-la-nationalite-francaise,82119.php

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