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L’entreprise : reprendre le débat politique face au patronat.

Publie le jeudi 1er mai 2008 par Open-Publishing
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L’entreprise : reprendre le débat politique face au patronat.

L’entreprise est plus que jamais un lieu ou se noue et se dénoue les liens sociaux.

C’est un lieu où s’élabore chaque jour la vie sociale, économique et politique.

C’est un lieu où devrait s’exercer la liberté, l’égalité, la fraternité.

Cela devrait être un lieu de solidarité entre tous les travailleurs.

Mais la suzeraineté du chef d’entreprise s’y exerce autoritairement par des rapports de subordination liés à la surexploitation. Face à cela, le salarié aurait besoin d’exprimer toute sa liberté : de l’exprimer pour entraver et modifier ces rapports de sujétions d’un autre temps.

Le lieu de travail ne peut donc être un lieu où on laisse sa liberté de penser et d’agir au vestiaire pour laisser l’idéologie du profit triompher en fin de compte.

Il y a différentes sortes d’entreprises : celles du secteur public et celles du privé.

Plus de 40000 entreprises existent dans le pays.

Une grande partie des salariés sont dans des petites et moyennes entreprises privées, souvent de sous-traitance, obéissantes aux grosses entités industrielles et financières nationales et internationales ; c’est là que s’impriment dans le dédale des rapports de sujétions l’exploitation patronale et son caractère idéologique.

Je traiterai plus particulièrement dans cet article du secteur privé où j’ai exercé des activités professionnelles, syndicales et politiques durant ma vie de salarié.

L’entreprise privée, c’est quoi aujourd’hui pour le retraité que je suis devenu depuis six ans ?

D’abord un petit retour au passé : j’ai connu le temps des grands groupes industriels français, ceux de la métallurgie et de la sidérurgie en particulier.

Des entreprises qui employaient parfois des dizaines de milliers de salariés, avec une organisation structurante des rapports sociaux où le patronat trouvait en face de lui des contradicteurs syndicaux et politiques.

Des comités d’entreprises rayonnants, des syndicats de masse, parfois des organisations politiques à l’intérieur des lieux de travail (notamment le PCF), des services sociaux, culturels et de loisirs actifs, bref, toute le palette de la vie sociale et collective d’une entreprise.

Une sorte de « ville » avec des rapports entre les individus qui ne vivaient pas l’individualisation des salariés d’aujourd’hui, ayant pour corollaire leur mise en concurrence poussé à l’échelon mondiale.

Ce n’est plus, » vous n’êtes pas content, allez ailleurs ! » C’est : « vous n’êtes pas d’accord de réduire vos droits alors je m’en vais ailleurs dans le monde ».

Certes cette existence avec des garanties sociales n’était pas de même nature selon l’importance du groupe et des petites entreprises.

Cette structuration sociale collective et humaine n’était pas venue toute seule : elle était le fruit de la lutte de classe depuis plus d’un siècle.
Si cela existe encore aujourd’hui, c’est d’une manière plus ramassée, plus rabougrie. Le monde du travail a bougé et ces grandes entités industrielles ont subi des restructurations considérables tant au point de vue des effectifs que de la composition du salariat et l’éloignement des centres de décisions.

La classe ouvrière, elle-même, a beaucoup changé.

Un monde du travail éclaté dans ces sites de production ou commerciaux, regroupant encore des centaines de travailleurs voire des milliers, avec de la sous-traitance et des parcs d’entreprises travaillant pour un ou plusieurs donneurs d’ordre, dont on ne sait plus exactement qui tient ou tiendra les commandes, demain, avec ces actionnaires itinérants selon les affaires à réaliser.

Les lieux de pouvoirs se sont aussi éloignés de ces centres de production et de travail .Les sièges sociaux se sont placés auprès des institutions financières et politiques dominantes.

Les fonds de pensions anglo-saxons, qui détiennent les manettes, n’en n’ont rien à faire des hommes et des femmes au travail et n’ont qu’un but : la valorisation de leurs porte feuilles d’actions à plus de 15 à 20 % l’an.

Les droits des salariés, de ce fait, ont pris un sérieux coup et les rapports sociaux se sont davantage dégradés, précarisés et réduits parfois à leur plus simple expression.

Il n’est pas rare de voir des travailleurs flexibles aujourd’hui salariés de tel site et demain d’un autre, virevoltant d’une tâche à une autre, d’un lieu à un autre dans la même semaine ou la journée.

Les travailleurs dans ces sites industriels ou dans ces plates-formes commerciales ou de sous-traitance sont disséminés et ils ont l’impression de n’être que des matricules que l’on déplace comme des pions en fonction des hypothèses de profits à réaliser.

Ils sont achetés, prêtés, liquidés dans un océan de précarité.
Les rapports solidaires précédents se sont distendus ou ont disparus.
Je me souviens, dans les années 90, quand j’étais secrétaire à la politique revendicative de la FTM-CGT, d’une réflexion que nous avions eu dans le collectif vie revendicative confédérale avec Louis Viannet, de ce qui s’esquissait autour d’une grande entreprise, avec un noyau dur de salariés en contrat à durée indéterminée, et autour une organisation de travail précaire, flexible, avec de l’intérim et de la sous-traitance, « à tout va », travaillant à flux tendus.

Nous avions bien vu cela, mais peut-être que notre discernement n’a pas été jusqu’au bout d’un mécanisme qui prenait forme et qui allait renverser des valeurs auxquelles nous tenions : celles d’une vie organisée, solidaire, selon des critères d’emplois à durée indéterminée, d’une entreprise ayant un statut du travail garanti avec des conventions collectives.

Pour en finir avec ce rappel du passé, encore présent dans nos modes de vie militant, nous avions donc une présence plus ou moins active d’acteurs syndicaux et politiques à l’intérieur des murs des usines.

Les tracts, les débats étaient quotidiens, les tournées d’ateliers de service se faisaient et il ne se passait pas un mois sans contacts directs avec les travailleurs.

Je ne dis pas cela pour regretter cette période mais pour bien fixer ce qui s’est distendu ou qui a surtout du mal à fonctionner aujourd’hui par rapport à cette organisation du travail revue et informatisée en fonction des besoins capitalistes avec des outils informationnels que le capital utilise dans un juste à temps beaucoup plus dictatorial que les anciennes pointeuses ou les anciens chronos.

La forme ancienne de vie de l’entreprise demeure encore dans nos inconscients de militants.

Nous appliquons, me semble t-il, des démarches devenues inopérantes par le fait de cette « informatisation patronale du travail » où l’individu est placé sous la dictature des logiciels patronaux qui se caractérisent par le juste à temps, la flexibilité de l’emploi et des tâches.

Le terrain de l’entreprise est devenu un écheveau bien plus complexe que les représentations anciennes.

Il me semble que nous avons besoin d’une analyse de classe de ce que le patronat a fait bouger, non pas pour faire un constat, mais pour trouver des alternatives nouvelles de vie collective et d’avancées communistes dans ce monde encore capitaliste pour un moment.

Les lignes ont bougé, nous ne pouvons plus faire comme si elles seraient toujours les mêmes : en cela nous nous sommes éloignés de l’analyse marxiste des rapports sociaux, de leurs évolutions et plus largement de formes d’exploitation capitaliste qui s’adaptent en ce moment à cette mondialisation et à l’utilisation de la révolution informationnelle. Quelques camarades ont écrits là-dessus mais n’ont pas été suffisamment entendus.

Quand j’observe l’entreprise aujourd’hui, j’y vois un univers éclaté, des hommes et des femmes vendant leur force de travail dans une organisation maîtrisée par le capital de bout en bout, où la diffusion des idées et des nouvelles formes de communication maîtrisés par le patron est exponentielle. La chasse aux temps morts a fait la place à l’utilisation des temps au maximum pour le capital .Les lieux d’expression lui sont acquis comme par exemple, les pauses, s’il en reste, où l’employeur est constamment présent idéologiquement.

Le mouvement social est repoussé aux confins de cette structuration comme une sorte de bouée de sauvetage en fin de course quand on est pris à la gorge par le capital tout puissant qui délocalise et fait du chantage à l’emploi pour encore diminuer le prix de la force de travail. Les nouvelles formes de travail qui viennent d’être actées lors des négociations avec le MEDEF vont encore davantage rendre le travailleur plus isolé.

La vie militante dans cet univers là n’est plus facilement visible dans cette désolidarisation des forces productives.

Le corps militant mène alors les batailles qu’il peut.

Il apparaît alors, involontairement, comme une force subissant les nouvelles réalités qui lui sont imposées.

On voit bien qu’un nouveau travail marxiste doit se faire pour récréer, dans les conditions d’exploitation d’aujourd’hui, une ligne offensive face au capital mondialisé et à sa dictature financière et à son organisation complexifiée sur le terrain.

Les lignes se sont déplacées, il est de plus en plus difficile d’établir des liens directs avec les salariés pour négocier avec leur participation parce que dans le réseau de sous-traitance, l’organisation syndicale n’existe plus ou presque plus ; et puis le temps manque, la dissémination rend les contacts difficiles dans l’entreprise éclatée, précarisée, individualisée pour d’actives revendications soutenues par un rapport de force conséquent et solidaire.

Cette vie au travail aliénante, isolée du collectif solidaire, déprécie la vie démocratique et nous observons que le débat démocratique est plus difficile à organiser quand la structuration précaire des activités allant jusqu’au télé travail déstabilise toutes approches collectives dans les lieux de travail.

D’ailleurs, regardons cette difficulté à organiser la vie démocratique, de moins en moins de rencontres s’y déroulent, des assemblées se font plus rares et difficiles à organiser notamment dans des PME de plus en plus volatiles.

Toute cette vie sociale à l’entreprise est touchée sur le plan politique, rares sont les expressions du PCF aux portes des entreprises, et elles sont encore plus difficiles à réaliser quand n’est plus présente l’organisation politique comme celle que possédait naguère le PCF dans les lieux de travail avec des cellules.

Il y manque alors cruellement l’analyse économique et politique de l’exploitation de l’homme par l’homme et la critique de cette exploitation avec des propositions qui alimentent de l’intérieur un débat sur des alternatives possibles.

La puissance des idées de classe permettrait aux travailleurs, non seulement de se faire une opinion, mais de participer aux changements nécessaires.

La situation d’exploitation actuelle et la régression sociale pour être combattu nécessitent le carburant marxiste d’aujourd’hui.
Le militantisme syndical ou politique, chacun à sa place, en toute indépendance comme on dit, a besoin de créer du nouveau dans les rapports de production et dans cette vie au travail.

Le syndicalisme a un rôle particulier : celui de la défense des intérêts des salariés et donc de leurs revendications pour dépasser un système qui va broyer de plus en plus les hommes dans cette recherche du profit maxima au dépens des travailleurs ravalés à des minima sociaux pour un grand nombre d’entre eux.

Il se doit, en toute indépendance des pouvoirs étatiques ou des partis, d’assurer sa propre réflexion politique et donc idéologique.
L’idéologie à l’entreprise n’est pas disparue, elle existe et se renforce du coté patronal.

Si l’idéologie dominante s’installe sans trouver à qui parler, alors nous aboutirons à un mouvement social plus rabougri encore, à des fonctions de représentations qui feront du syndicalisme une institution comme d’autres que l’on consulte avant de prendre des décisions.

Le terrain de l’entreprise sera alors complètement sous la férule patronale sur le plan idéologique et avec un despotisme illimité.

Regardons comment le patronat de « Pneus Continental » a imposé un référendum avec le chantage à la fermeture si les salariés n’acceptaient pas de travailler plus longtemps.

Depuis, ces méthodes de chantage se multiplient et nous venons encore de la voir dans les industries des pneumatiques.

L’entreprise est un lieu d’ukases et de bourrage de crânes de la classe possédante.

Sarkozy ne se déplace pas pour inaugurer les chrysanthèmes dans les entreprises et nous le voyons régulièrement faire des déplacements et rencontrer les travailleurs et leur livrer le message « du travailler plus pour gagner plus » ; une supercherie qu’il assène et qui est relayé par le patronat à l’intérieur de l’entreprise.

Ce patronat peut d’ailleurs mieux travailler les idées libérales, puisqu’il est souvent seul, et que c’est lui, qui par de multiples contacts organisés : colloques, stages, repas pris en commun, cercles, débats avec les travailleurs. Une démocratie tronquée !

Ce n’est plus « le travaille et tais-toi » de Georges Marchais mais « le travail et adhère aux idées patronales ».

L’organisation du travail éclaté, à flux tendus, permet au capital de mener une course de vitesse contre les syndicats de luttes et sans compter qu’il ne trouve plus à qui parler dans les lieux de travail, sur la politique, puisque le PCF a pratiquement disparu de l’entreprise.

Dans le passé, ce patronat clouait au pilori les militants syndicaux, quand ceux-ci abordaient les problèmes de fonds, les accusant de faire de la politique. Il fulminait devant les tracts du PCF où parfois de la section socialiste d’entreprise en les accusant de faire de la politique sur les lieux de travail.

Aujourd’hui, c’est le Medef qui a la maîtrise du terrain politique dans les usines, les bureaux et ateliers, et il ne se gêne plus pour tenir des conférences à teneur politique, économique où son discours devient la bible obligatoire pour tous.

Le combat de classe pour ou contre les idées libérales est là devant nos yeux et les enseignements de Marx sont encore plus d’actualité. Ils nécessitent de ne pas se coucher devant la politisation patronale à l’entreprise et de recréer les conditions d’un autre débat à ce niveau, chacun à se manière : syndicalisme avec son indépendance- politique avec un PCF retrouvant le chemin des ateliers, services et bureaux.
C’est possible.

Bernard Lamirand militant communiste d’Arcelor Montataire (Oise)

Messages

  • L’entreprise est avec l’armée et les prisons un des seuls lieux où le citoyen n’est plus un citoyen, le travailleur n’a pas les droits basiques d’un citoyen :

    1) Exercice de la démocratie. Là où le citoyen élit son maire même dans de petits villages, le travailleur n’a aucun pouvoir individuel et collectif sur l’orientation, la gestion, sur l’entreprise. La démocratie n’est pas le principe de fonctionnement d’une entreprise, règne au contraire un despotisme au mieux paternaliste .

    2) Libertés basiques : Là où le citoyen a droit d’expression large, droit d’organisation, libertés de se mouvoir, vêtir, parler, faire de la politique, échanger d’égal à égal, etc, l’entreprise interdit tous ces droits là.

    3) Le pouvoir s’exerce dans l’entreprise sur la base du droit de propriété (suivant les statuts, par exemple les actionnaires) au travers d’une démocratie censitaire pour les entreprises (ceux qui ont le blé dirigent, prédateurs entre eux). Le travailleur n’a que peu de droits, même son droit à critique sur son entreprise est inférieur au citoyen lambda.

    Ces questions de fond basent un regard révolutionnaire porté sur les entreprises et le monde qui les enserre (car ces entreprises sont les lieux de pouvoir économiques dominants dans la société, elles vont corrompre, acheter, influencer,... les OGM comme dernier exemple).

    le regard révolutionnaire ne porte donc pas seulement sur une question de répartition des richesses mais également sur une question de pouvoir et d’extension de la démocratie dans les lieux de fabrication des richesses.

    La révolution est affaire de démocratie. C’est pour cela que, indépendamment de leur fragilité et de la suite plus compliquée qu’en a donné l’histoire, les soviets eurent tant de pouvoir de séduction sur les peuples et les travailleurs du monde entier : l’espérance d’étendre la démocratie encore plus dans la société pour qu’elle touche le cœur de la société inégalitaire, l’entreprise, la production de richesses.

    babeuf met le doigt sur ce qui maintenant freine la bataille pour la conquête de la démocratie dans les entreprises, et plus prosaïquement la bataille pour le pain quotidien : les entreprises jetables, modulables, les légos qui se refont à l’infini et en permanence, qui fragmentent sans cesse les conditions d’établissements de forces collectives et permanentes dans les entreprises suceptibles de mener efficacement les luttes revendicatives et en même temps disputer le pouvoir.

    Les mécanos qui font que des usines ont des fois des espérances de vie de quelques années compliquent énormément la bataille pour les droits démocratiques et sociaux des travailleurs.

    Tout ça doit être bien repensé pour compenser ces handicaps.

    • Je rajouterai que dans les grandes entreprises, bien faibles sont les forces politiques de gauche qui essayent encore d’avoir une intervention, par tract, feuille d’entreprise, organisation, réunions, etc...

      Restent dans un nombre trop faible de cas, des millitants de LO, des fois de la LCR, des fois du PCF.

      Il ne faut pas se cacher la cruauté de cette situation des forces communistes dans les entreprises (communiste là au sens large, toutes boutiques confondues). Extraordinairement rares sont les forces politiques ayant quelques interventions assidues dans des entreprises.

      Il est possible, certainement dans un certain nombre de cas, de mener des batailles politiques communes dans les entreprises . Bref, mutualiser des ressources.

      Quand les divergences ne sont pas trop grandes, il faut y aller, susciter des interventions politiques mutualisant les ressources, poussant à l’organisation politique dans les entreprises, voir des fois susciter, quand cela est possible des structures communes .