Accueil > L’université en danger...

L’université en danger...

Publie le samedi 17 mai 2003 par Open-Publishing

L’université en danger,

les étudiants de milieux populaires premiers visés.

Si elles s’inscrivent dans la continuité des ministres précédents, Ferry accélère les réformes. En quoi consistent-elles ?

Réduction des niveaux de sortie

Les seuls diplômes qui seront délivrés seront les Licence (bac+3), Mastère (bac+5) et Doctorat (bac+8). Après une période transitoire, les autres diplômes (bac+2, etc.) vont disparaître. Les étudiants qui avaient des difficultés à obtenir un bac + 2 devront réussir une année supplémentaire pour ne pas sortir avec le seul bac en poche. D’autant que la Licence étant ouverte en droit aux bacheliers et le Mastère aux licenciés, la sélection va se faire « de l’intérieur », après un ou deux ans d’études pouvant n’être pas validés. Les étudiants de milieux populaires qui hésitent déjà à s’engager dans des études vont encore plus y réfléchir à deux fois.

Harmonisation européenne

L’objectif annoncé est d’harmoniser les diplômes européens afin qu’ils soient reconnus par des employeurs au-delà de chaque pays. C’est un premier aspect de la soumission des formations à la loi du marché, à la préparation de la main d’œuvre désormais pensés à l’échelle européenne.

De plus, l’université française est structurée sur des disciplines scientifiques. Chaque étudiant doit s’approprier une discipline, apprendre à raisonner selon le regard spécifique sur le monde qui la structure. A partir de ce regard spécifique, la recherche étudie de nouveaux objets.

Désormais, dès le début, les formations seront organisées autour d’objets thématiques, sans formation disciplinaire : sans assise solide dans une discipline à partir desquelles élargir ses connaissances, « l’interdisciplinarité » risque d’être un imbroglio, surtout pour les étudiants les moins familiers des attentes universitaires. Ce n’est pas un hasard si les pays qui fonctionnent déjà ainsi (la plupart en Europe) ont conservé un système universitaire qui ne s’est pas démocratisé. Si l’égalité effective de réussite est loin d’être à l’œuvre dans notre système actuel, harmoniser sur l’exemple de ce qui est le plus répandu signifie revenir à une université élitiste, renoncer à l’ambition de la démocratisation.

Les étudiants de milieux populaires échouent aujourd’hui faute de s’approprier la cohérence générale des formations. Or, la réforme libérale transformera les « cours » en « crédits » capitalisables entre différentes facs européennes : qui pourra comprendre qu’une formation, c’est plus que l’addition de contenus isolés ? De plus, qui pourra se permettre cette mobilité ?

Filiarisation étanche

« L’architecture » de la Licence et du Mastère sera en « Y » : si une part de la formation peut être commune au début (l’existence d’un tronc commun est laissée à la décision de chaque université), les voies doivent ensuite être distinctes : « recherche » OU « professionnalisante ».

Certaines licences permettront essentiellement l’entrée en Mastère « recherche » menant lui-même au Doctorat. Les autres licences seront « seulement » professionnalisantes : elles auront pour fonction de mener directement vers la vie professionnelle ; elles pourront éventuellement permettre de poursuivre en Mastère professionnalisant, mais l’entrée en Mastère recherche (donc en Doctorat) est presque impossible.

Qui, au sortir du bac, pourra prendre le risque de ne pas faire une licence professionnelle, la seule menant à un doctorat ? Les enfants de milieux populaires à s’engager dans un doctorat vont se raréfier encore plus. La réforme pousse à ce que les choix de filières soient de plus en plus irrémédiables : non seulement on exclue de fait, mais on fait porter la responsabilité de ce « choix » à l’individu, logique profondément libérale.

« Autonomie »

L’harmonisation européenne est prévue en cassant le cadre national des diplômes, en renvoyant à l’autonomie des universités, à l’expansion des potentats locaux. Si les crédits seront « européens », chaque licence, chaque mastère ou doctorat sera différent : quelle reconnaissance des diplômes d’une université à l’autre ? Le risque est grand de spécialiser chaque fac en réduisant l’offre de formation dans chaque université. L’offre de formation devient implicitement encore plus inégale selon les régions : il n’y a même plus l’ambition de l’égalité et de la répartition. D’autant que les diplômes doivent explicitement évoluer en fonction des « bassins d’emploi », donc des besoins du patronat.

Une plus grande autonomie signifie également une plus grande mise en concurrence, dont on imagine qui seront les perdants.

Statut des enseignants-chercheurs

Au même moment, est prévue une réforme du statut des enseignants-chercheurs. Encore plus qu’aujourd’hui, leurs différentes tâches vont être mises en concurrence : enseignement, recherche, administration... Les étudiants comme la recherche ont peu à y gagner.

Existant insuffisant, risques d’aggravation et perspectives autres

Sur chacun des points, le système universitaire français actuel est loin d’être idéal. Mais il a par ailleurs des qualités indéniables. En s’appuyant sur les dysfonctionnements actuels, les projets de réformes cherchent à démanteler ces qualités. D’où la pertinence à conjuguer d’une part la résistance à la casse pour éviter une aggravation et d’autre part à porter d’autres perspectives pour combattre les inégalités de réussite, améliorer les formations et les conditions de la recherche, et porter une ambition « d’harmonisation » internationale dans une perspective de démocratisation.