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LA GRANDE GUERRE POUR LA CIVILISATION

Publie le lundi 12 décembre 2005 par Open-Publishing
5 commentaires

de Le Yéti

Je ne sais si vous avez remarqué, il y a quelques rares personnes, quand vous les avez rencontrées, vous n’êtes et ne serai plus jamais le même. Pour moi, Robert Fisk est de celles-là. Je viens de terminer son livre, La Grande guerre pour la civilisation [éd. La Découverte], et j’en sors bouleversé.

Au fil de quelques 1000 pages dignes des meilleurs polars, l’auteur, journaliste pour le quotidien anglais The Independent, nous entraîne dans les folles épopées de la société humaine depuis la Première Guerre Mondiale. Le cadre retenu est celui des conflits du Moyen-Orient : guerre soviétique en Afghanistan, guerre Iran-Irak, guerres du Liban, du Golfe, conflit Israélo-Palestinien, interventions américaines en Afghanistan et en Irak, en remontant jusqu’au premier génocide systématique, celui des Arméniens par la Turquie...

Déluge de cynisme et de brutalités inouis, torrent de supplices insupportables infligés au mépris de toutes les règles morales, incompréhension totale entre les cultures, lutte terrifiante pour un pouvoir dont on perçoit, avec le recul, qu’il n’a d’autre justification que la folie humaine. Car au final, c’est bien le portrait du genre humain dans son ensemble qui est tiré.

J’ai pour ma part la conviction que l’espèce humaine souffre précisément de ce qui la distingue des autres espèces animales : la conscience. Ce qu’il y a de terrible avec la conscience humaine, c’est qu’elle nous fait prendre conscience de deux choses totalement antinomiques. D’une part, contrairement aux animaux, elle nous fait percevoir le côté éphémère de nos existences, notre sujétion totale aux forces naturelles que sont la pesanteur terrestre, le temps qui passe, la mort... Et d’autre part, elle nous permet d’envisager l’Absolu. Incapables de supporter le premier constat, celui de l’éphémère, nous nous lançons comme des forcenés vers ces quêtes d’absolus illusoires, nous réfugiant dans des croyances divines puériles, vantant l’esprit éternel au détriment des corps périssables, partant comme des forcenés à la conquête de tous les pouvoirs absolus qui nous passent sous la main, celui de la planète entière pour les grandes puissances, jusqu’à ceux, plus modestes, du service de notre entreprise que nous rêvons de diriger, du couple que nous voulons dominer, de la cour de récré où nous rêvons d’être grand chef... Humiliant, tuant, pillant, massacrant, quand notre folie nous laisse les yeux exhorbités de terreur et de fureur.

Pourquoi alors ai-je cette incroyable sensation d’apaisement en sortant du livre de Robert Fisk ? L’auteur nous laisse un champ de décombres en pâture, et je suis étrangement calme. À la réflexion, je crois que c’est parce qu’il me présente une réalité que j’ai toujours su être, mais que je refuse encore trop souvent d’admettre, essayant de me réfugier dans quelques rêves de lendemains qui chantent.

En même temps, je ne suis en rien désespéré. Je préfère à tout prendre savoir très précisément sur quels terrains nous allons évoluer, ne plus me bercer d’illusions et, puisque je veux absolument planter mes petites fleurs, essayer de les faire pousser là où c’est possible, sur le terreau même de nos décombres si besoin est. N’est-ce pas du massacre de Guernica que Picasso a tiré un chef d’oeuvre ? Nous devons essayer d’être grandioses, mais en acceptant nos limites. Bien au chaud et avec le soutien des volatiles de notre meute, il nous faut impérativement accepter l’éphémère sans gémir et résister aux sirènes des absolus meurtriers.

Me vient en souvenir un conseil de mon père : ne pas péter au-dessus de son cul, mais essayer de pisser le plus haut possible parce que c’est rigolo (excusez, les filles, pour l’image).

 Lire aussi l’interview de Robert Fisk sur Bellaciao

Le blog du Yéti http://www.yetiblog.org

Messages

  • Bonsoir Yéti et merci pour le conseil de lecture. Mais avant de me plonger dans les quelque mille pages de ce livre je voudrais comprendre en quoi il a pu bouleverser le lecteur que tu es, au-delà de la somme de connaissances très informées qu’il donne sans doute. Ce qu’on peut craindre devant un tel "pavé", c’est l’effet - catalogue, le recensement, sans doute nécessaire, mais peut-être accablant, non ?
    Avec amitié,
    Vara
    PS Petite question : pourquoi une "meute de volatiles" ? Ils partent en chasse ? Dans ma campagne on dirait plutôt une "bande" en parlant des oiseaux...

  • yéti vous etes magnifique,et lorsque vous écrivez conscience et réfutez la croyance divine, je suis d’accord avec vous, car cette croyance n’est pas divine mais humaine et à chacune de vous chroniques vous la hurlez, ;
    si vous n’aviez pas la croyance comment auriez vous pu écrire "peter,", si vous n’aviez pas eu la croyance , comment auriez vous lancer votre "Front Populaire", et si vous n’aviez pas la croyance, comment , si je me souviens bien, auriez-vous pu expliquer et faire vivre votre petit café un petit matin et nous peindre les personnes présentes.
    Et lorsque vous écrivez-"Bien au chaud avec le soutien des volatives de notre meute-" je ne vous crois pas car vous allez l’air de vous préoccupez de la gente humaine pour vous scléroser dans une petite mort.

    Nicole

  • Chère Vara, chère Nicole,

    Le livre de Robert Fisk offre en effet une somme de connaissances tant il s’étend sur une vaste période. Mais cette somme de connaissances (dont on s’aperçoit qu’on les connaît finalement déjà, même si l’auteur rajoute une foule de détails pour les enrichir) n’est pas, selon moi, le véritable sujet de ce livre dont l’intérêt premier n’est pas historique.

    Robert Fisk, qui a vécu de très près la plupart des évènements qu’il rapporte, nous entraîne dans son sillage au coeur de ce que j’appellerai la tragédie humaine. Nous n’assistons pas aux évènements du haut d’un poste d’observation, mais y sommes plongés au plus près. Leurs multiplications (Afghanistan, Iran-Irak, Liban, conflit Israélo-Palestinien, génocides des Arméniens, des Juifs, Grande Guerre de 14-18...) en renforcent le côté pathétique et insensé.

    A l’image des chrétiens (et de la plupart des autres religions) qui méprisent le corps éphémère pour louer l’esprit éternel, nous assistons médusés, bouleversés, à ce saccage, cette humiliation, cette destruction rageuse des corps au nom d’une quête de pouvoir absolu dont on mesure la vanité, et dont on se demande si les protagonistes en conflit y croient vraiment. C’est "l’insupportation" de leurs conditions humaines qui les guident vers cette course aux enfers.

    Nicole, je ne comprends pas votre expression "[se] scléroser dans une petite mort", ni votre référence à une "croyance" de ma part. Je pense que je suis très mal placé pour juger de moi-même. Et pour tout dire, ça ne m’intéresse pas. Je ne cherche pas à me connaître, mais à ressentir les autres. Et je crois qu’il faut distinguer nos rêves du quotidien. Pour moi, la seule chose qui existe et m’intéresse, c’est le quotidien (tandis que les rêves relèvent, eux, de la croyance). Ce que j’essaie modestement de faire, c’est de transfigurer ce quotidien pour le rendre passionnant. Le quotidien, c’est le corps, pas l’esprit. J’ai un amour immodéré pour les corps, même périssables. Alors, "petite mort" ? Pas pour moi, la vie simplement.

    Lire Robert Fisk me conforte dans cette position. Je sais grâce à lui les démons auxquels je dois échapper (la folie destructrice, l’ivresse des absolus). Je voudrais juste, et seulement juste sentir les battements de coeur du monde qui m’entoure. Ta-toum, ta-toum ...

    Le Yéti

    PS : "meute de volatiles" ? J’adore les "meutes" tonitruantes (mais c’est vrai, "bandes" aurait tout aussi bien fait l’affaire). Et j’adore les "volatiles" un peu don quichottesques. Il ne m’en fallait pas plus pour les rapprocher.

  • DEMAIN...

    Demain, à l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
    je partirai... Yéti, je sais que tu m’attends...

    Non, sans rire, Yéti, j’aime bien ce que tu écris là et çà donne vraiment l’envie de lire ce bouquin.
    Donc, je vais sortir et le commander à notre librairie de ma ville... Eh oui, lui c’est un marchand de papier au kilo, alors ce bouquin il l’a pas et il faut le commander... Lui il a que les mémoires de David Alexandre Winter, pas ce que tout le monde lui demande et çà se vend bien !

    À ciao et fraternité !

    NOSE