Accueil > LA POESIE LIBERATRICE DE BRIGITTE SY

LA POESIE LIBERATRICE DE BRIGITTE SY

Publie le samedi 19 juin 2010 par Open-Publishing
1 commentaire

LES MAINS LIBRES
Long métrage de Brigitte SY

Il y a des films inclassables, atypiques, d’une étrange beauté saisissante, qui vous bouleversent sans pathos, et vous font rire ici et là, par les trente secondes d’une soudaine bizarrerie langagière, ou la vue burlesque d’un visage qui déchire tranquillement les conventions.

Ces films rares ne sont pas racontables mais ils font l’histoire du cinéma ; on ne peut en parler que maladroitement, mais ils deviennent des manifestes cinématographiques. LES MAINS LIBRES en fait désormais partie.

Ce n’est pas un documentaire naturaliste sur les prisons, mais il énonce une vérité jamais dite sur l’univers carcéral ; ce n’est pas non plus un film trafiqué jusqu’à cette beauté lisse, sophistiquée, et écœurante dans l’art, car tout truquage illégitime, factice, figé crée une réalité mortifère, cependant sur chaque plan des MAINS LIBRES est apposé un monde de signes déchiffrables, un blanc seing personnel, et davantage encore : une signature singulière.

C’est en effet un film stylé mais sans afféteries ; on n’y trouve rien qui ne soit nécessaire voire indispensable à voir et à entendre.

La beauté est artificielle, comme celle qui signe toute véritable œuvre d’art digne de ce nom, mais cette beauté n’est jamais ni abstraite ni gratuite.
Brigitte SY, la réalisatrice, réussit la gageure de jouer avec les miroirs, les mises en abîmes, le film dans le film, sans pourtant jamais céder au vertige qui la ferait tomber dans le piège du gouffre, ou de l’hermétisme dans lequel elle s’enfermerait, avec ses personnages, dans une production filmique autiste.

Ainsi, les mises en bouche des phrases d’abord prononcées entre Barbara et Michel, dans l’intimité de la confidence amoureuse, puis transposées sur scène de la prison, scène de la prison dans laquelle des détenus - d’abord personnes, puis comédiens, puis comédiens jouant le rôle de détenus, puis enfin détenus devenus pour l’occasion comédiens à l’intérieur des murs - répètent ces paroles, parfois sans en comprendre immédiatement le sens, et dans un mouvement elliptique qui leur est involontaire mais que Brigitte Sy maîtrise sans trébucher ni amoindrir l’émotion, avec grand art.

C’est également dans le même état d’esprit, et sans coquetterie aucune, ni par superstition à l’instar d’un Hitchcock, ou plus près de nous d’un Cédric Klapitsch, que la comédienne qui incarne Barbara – Barbara : la réalisatrice qui joue dans le film - rencontre Brigitte SY qui a tourné ce long métrage, ce qui provoque une synergie : deux personnes en chair et en os montrent à voir au moins trois entités différentes qui se télescopent : personne, personnage, comédienne ou réalisatrice.

Brigitte SY aurait pu se perdre, et nous perdre avec, dans ces jeux de miroirs qui pourtant jamais ne se brisent, et qui réfléchissent, au sens de la lumière, des vérités et des paroles...pardon de la répétition : qui s’enroulent, parcimonieuses et magnifiques et, les unes aux autres : si le mot n’avait pas autant été galvaudé – et ce serait le seul à mes yeux qui convienne - j’oserais l’écrire que ce film est : sublime...

Les MAINS LIBRES est en effet un film intime mais pas intimiste, grave mais jamais austère, construit tout en finesses mais dont la force, vivante et généreuse, nous extirpe de nous-mêmes sans la moindre violence.
Brigitte SY y décrit l’amour sans aucune fausse note, et avec une justesse au sens mélodique du terme ; il y a dans cet amour là, dans ces gestes esquissés, ébauchés, animés par la force intérieure des personnages, une puissance contenue et indestructible. Mais LES MAINS LIBRES, c’est encore autre chose et vous n’y trouverez ni sensiblerie liée à un sentimentalisme, ni revendication concernant cette catégorie que je nomme : la part maudite de l’humanité. Ici : pas de clichés, cadavres rhétoriques, sur l’amour ; quant aux détenues, ce film est tout sauf un plaidoyer pour l’amélioration des conditions des détenus.

LES MAINS LIBRES ne s’apparente à rien qu’on ait pu précédemment voir ou écouter sur l’amour et/la prison : c’est un long métrage très personnel mais qui parle depuis un point de vue qui touche à l’universel ; ce sont des acteurs le jeu est pris par une caméra délicate et patiente.

Les deux protagonistes : Michel, aux faux airs de Jean Genet, n’est pas magnifique parce que magnifié par la caméra : il est magnifique parce que Brigitte SY a découvert la splendeur non seulement du personnage, mais surtout du comédien qu’il incarne, et cela via l’écho de l’écho d’un amour au destin tragique qui a réellement existé.

Les premiers regards que posent Michel sur Barbara sont d’une liberté et d’une profondeur si intenses qu’ils deviennent douloureux parce qu’ils s’inscrivent dans un espace/temps différent, et donc vécu de façon insupportable pour ces âmes-sœurs : espace rétréci de la petite cellule et temps de la peine, toujours trop longue pour lui, et pour elle : espace trop grand parce que le monde est trop vaste quand l’aimé y est introuvable, et la capture du temps des rencontres et des retrouvailles, forcément limitées, est celle d’un temps trop court.

Barbara est d’une grande sensualité, et sa voix étrangère assure les distances nécessaires entre cet ovni incandescent : LES MAINS LIBRES et son public : celui de la salle - notamment celle de l’avant-première - public bouleversé ; au bord des larmes, et pourtant joyeux.

Des plans qui ne s’oublieront pas, des scènes qui nul doute doute feront désormais partie du joyau du patrimoine du 7 ème art :

Michel, qui, tout seul dans sa cellule, est pris d’un rire inextinguible quand du fond de la télé s’énoncent très sérieusement les âneries habituelles qu’on nous balance sur l’affirmation de soi ; comment réussir sa vie, comment être soi-même, etc.

La magistrate (Dominique FROT méconnaissable) aussi défigurée que la Justice qu’elle représente : sur-perruquée et sur-maquillée, qui incarne la violence du calme : cette fausseté aberrante institutionnelle dont la voix semble sortir d’un corps inhabité.

La scène du mariage en prison : poignante, et les paroles administratives déplacées et obscènes parce d’illégitimes pour ces deux êtres que l’amour a déjà rendu à jamais inséparables.

D’un côté un couple, dont la passion crée des gestes maladroits et authentiques, et de l’autre, la grosse machinerie encombrante faite de décrets, de règlements intérieurs et de verbes performatifs : des tue-l’amour qui ne parviennent pas à atteindre les deux amoureux Dans ces CES MAINS LIBRES, se joue également le combat des corps contre tout règlement étranger à ces derniers, et surtout se joue l’incompréhension qui grandit en même temps que l’amour l’un pour l’autre des deux protagonistes ; protagonistes ailleurs, c’est-à-dire viscéralement eux-mêmes.

Ces mains qui ne libèrent le reste du corps du carcan carcéral et de la séparation que par la caresse d’une cheville, au cours d’un parloir, ou par l’alliance qui sacre officiellement l’union de Barbara et Michel.

L’exigence de ce film ne cède pas un instant à l’image gratuite ou la parole en trop, ce film généreux et pudique, pudique et poignant est un véritable régal qui nous fait sortir ni tout à fait un autre ni tout à fait le même de la salle de projection : le rêve désormais réalisé du spectateur qui gardera longtemps après la finesse d’un regard ou le cadrage parfait d’un mouvement.

Les dernières images, à l’instar d’une caresse blessante ou bien d’un coup de poing qui réconforte, ne sont pas les moindres ; elles ne sont les moindres et surtout elles ne sont pas les seules élégances artistiques ; elles ne sont pas les seules et les moindres élégances filmiques et personnelles de Brigitte SY.

Enfin, ces MAINS LIBRES rendent un hommage involontaire - puisque l’homme est mort entre le tournage et la sortie du film - mais très bel à Alain OLIVIER, ce metteur en scène, ici comédien, qui est l’un des rares à avoir réussi à monter le théâtre de Jean GENET sans en assassiner les pièces.

Préférons saisir son rôle de gardien de prison comme la métaphore d’un temple dans lequel sont préservés et non enfermés, les codes du grand théâtre exigeant qu’OLIVIER n’a jamais trahi.

Brigitte Brami, le 17 juin 2010