Accueil > LE LYCEE DE LA REUSSITE CONTRE L’ÉCOLE DE LA REPUBLIQUE

LE LYCEE DE LA REUSSITE CONTRE L’ÉCOLE DE LA REPUBLIQUE

Publie le lundi 16 juin 2008 par Open-Publishing

Contrairement aux annonces faites, la feuille de route donnée par Xavier Darcos aux syndicats, ne va pas à contre-courant de la politique gouvernementale, mais s’inscrit de façon parfaitement cohérente dans la dynamique impulsée, par la Révision générale des politiques publiques et par la réforme du statut de la fonction publique. Chargée de définir ce que seront les missions de l’éducation nationale pour les lycées, elle est le complément logique de la réforme statutaire. Après avoir proposé une redéfinition du cadre et des modalités de l’action gouvernementale - la logique contractuelle remplaçant la logique réglementaire et statutaire - il s’agit maintenant d’adapter et de redéfinir les missions de ce nouveau service public de l’éducation.

Si l’on reprend l’énumération des 16 objectifs proposés, on peut constater que le nouveau lycée ne poursuit qu’un seul et unique objectif : garantir la poursuite d’étude dans l’enseignement supérieur. Tous les autres objectifs ne sont que la déclinaison des moyens nécessaires à l’obtention de cette fin.

Que le lycée doive armer les jeunes pour réussir dans le supérieur, c’est une évidence que personne ne discutera. Tout d’abord, ce constat évite de reconnaître que le prestige de notre système éducatif tient surtout à la qualité reconnue de l’enseignement qu’il dispense, et à l’esprit dans lequel cette transmission se fait. Car même si notre système scolaire actuel est imparfait, il a permis à un nombre croissant d’individus d’accéder au savoir et à un plus grand niveau de qualification. Ensuite, cette vision du lycée est volontairement réductrice. Aujourd’hui, la transmission des savoirs se fait encore dans un esprit qui s’inscrit clairement dans la visée émancipatrice de la tradition des Lumières. L’École est le seul lieu où l’individu pourra s’ouvrir à une citoyenneté fondée sur l’usage de la raison et la liberté du jugement. C’est l’acquisition de cette citoyenneté qui est la condition nécessaire à la construction d’une société juste, démocratique et laïque. Le prestige du lycée français réside dans cette spécificité que seul peut réaliser un grand service public de l’éducation.

Dans ce document, l’Éducation nationale est conçue comme un prestataire de services (services contraints et restreints par la RGPP, ce que l’on ne doit pas oublier). Le nouveau lycée n’est plus au service de l’intérêt général, mais un outil permettant de satisfaire les intérêts particuliers des usagers. Le critère d’efficacité du nouveau système résidera essentiellement dans sa capacité à adapter une offre de services à une demande. Les représentations des usagers, énumérées au travers des différents objectifs, détermineront désormais les missions que devra remplir le service public de l’Éducation nationale.

Sur ce marché, les usagers (les élèves et leurs parents) devront se comporter comme des agents rationnels, maximisant leur utilité. Ce qui est la déclinaison néolibérale de la notion d’autonomie. Il est intéressant de voir comment le document décline le principe du « devenir élève », déjà mis en œuvre dans les programmes de la maternelle, en un « devenir étudiant ». Dans la perspective d’intégrer l’enseignement supérieur, les élèves construiront eux-même leur profil scolaire. On peut imaginer que la hiérarchisation des parcours de formation remplacera la hiérarchisation des filières. La sélection s’opérera désormais sur le choix des enseignements optionnels ou modulaires. Par ailleurs, il n’y a aucune raison objective pour que ce nouveau système de hiérarchisation ne reproduise pas les déterminismes qui associent difficultés sociales et échec scolaire, déterminismes qui plombent notre système scolaire actuel.

L’intérêt d’un tel dispositif qui individualise les parcours, est qu’il permet de répercuter la responsabilité de l’échec scolaire non plus sur le système, mais sur l’individu. Celui qui échoue, c’est celui qui aura fait les mauvais choix, c’est celui qui n’aura pas su profiter des opportunités (soutien, orientation) mis à sa disposition. La question sociale de l’échec scolaire est ainsi réglée. Autant on peut se réjouir d’une meilleure prise en compte de l’individu par le système scolaire, autant cette individualisation qui dissout la dimension collective de l’éducation est pernicieuse. Tout le monde peut effectivement s’accorder sur le fait que le lycée doive permettre la réussite de chacun.

Mais travailler à la mise en oeuvre de dispositifs individualisants, ce n’est pas pour autant créer les conditions de la réussite pour tous. Ce n’est pas parce que le système créera des opportunités pour que chacun puisse, individuellement, tirer ses marrons du feu, que cela garantira à tous l’égale possibilité de réussir sa scolarité. Bien au contraire, l’opportunisme suppose l’existence d’inégalités à exploiter et en aucun cas ne requiert comme préalable, un principe de justice sociale.
Dans la perspective du « devenir étudiant », on peut s’attendre à une extension du principe du socle commun des connaissances au lycée, à une diminution du temps consacré à la transmission des savoirs, au profit de l’acquisition de méthodes. La dissociation que l’on risque d’opérer entre savoirs et méthodes, au-delà de l’absurdité pédagogique que cela représente, ne peut que conduire à un appauvrissement des contenus et à une perte de sens pour l’élève.

Sous le prétexte de trouver un consensus autour de la réforme du lycée, ce texte nous présente le nouveau lycée dans une perspective qui est uniquement utilitariste et fonctionnelle. Si le gouvernement a intérêt à privilégier ce point de vue, c’est qu’il évacue du débat la dimension nécessairement politique de tout projet éducatif et permet de ne plus associer la question de l’École à la définition de l’intérêt général. Une telle conception permet alors d’effectuer le glissement du modèle français de la fonction publique, modèle fondé sur l’affirmation de besoins sociaux que seule la collectivité peut satisfaire, vers le modèle anglo-saxon qui réduit l’intérêt général à la somme des intérêts particuliers.

Il est important de noter que c’est le modèle anglo-saxon qui inspire aujourd’hui la conception européenne des services publics. La référence à l’Europe n’est pas anodine car dans l’argumentaire qui justifie la nécessité de réformer notre système, que ce soit la fonction publique ou l’Éducation nationale, la référence à l’Europe est omniprésente. Aussi pour réfléchir à la pertinence des propositions qui nous sont faites, nous devons placer notre réflexion dans le contexte de la construction européenne.

Le principal défaut du modèle français, pour ses détracteurs, tient surtout à l’affirmation politique et juridique, d’un service d’intérêt général qui excède la sphère économique, et qui fait obstacle à la généralisation d’une économie concurrentielle de marché à tous les biens et services. En ce qui concerne l’éducation nationale, l’argument souvent invoqué est le manque d’efficacité et de performance de notre système dans les évaluations internationales. Mais l’enjeu principal n’est pas là. Il s’agit d’abord de transformer l’éducation en un service d’intérêt économique général afin de favoriser la constitution de ce marché concurrentiel de l’éducation que Claude Allègre appelait de tous ses vœux.

L’éducation doit donc pouvoir devenir une marchandise comme une autre, un service dont pourra déterminer le prix sur un marché en fonction de la rencontre d’une offre et d’une demande. C’est ce que se propose de faire cette soi-disant réforme du lycée, en redéfinissant les missions du service public de l’éducation. La suppression de la carte scolaire était une première étape dans la constitution de ce marché concurrentiel, on peut penser que le renforcement de l’autonomie des établissements sera la suivante.

Aline Louangvannasy, secrétaire régionale CGT Educ’Action Midi-Pyrénées