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LE SANG DES VAINCUS, de Giampaolo Pansa

Publie le vendredi 6 février 2004 par Open-Publishing
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"Ceci est une critique du livre de Pansa "Il sangue dei vinti", qui a donné un
nouveau souffle aux minables thèses "révisionnistes", que la Droite a relancé ces
dernières années".
Enrico Campofreda dal sito : http://www.lankelot.com

QUELQUES REFLEXIONS

De la nouvelle oeuvre de Giampaolo Pansa "Il sangue dei vinti" (Sperling & Kupfer,
2003) ce n’est que la Droite qui s’en réjouit. La Droite nostalgique de ce fascisme
jamais mort - fascisante ou postfasciste - mais qui avait déjà écrit tant de
litanies du même genre, qu’elle a fourni au journaliste de Casale Monferrato
les fondements bibliographiques de son livre, et la droite "convenable" qui donne
un nouveau souffle à la révision de l’histoire.
Sur le modèle des théories - qui ne datent pas d’aujourd’hui - de Ernst Nolte
(selon lequel le massacre de six
millions de Juifs perpétré par le nazisme n’aurait jamais eu lieu), on prétend
que le fascisme n’a pas été une dictature ; qu’il n’a pas semé la mort pour conquérir
le pouvoir et le garder pendant vingt ans ; qu’il n’a jamais pratiqué le meurtre
de masse avec ses guerres mercenaires et coloniales, poussant ensuite le peuple
italien dans l’abîme du conflit mondial. Il s’agit, en somme, des dangereuses
facéties répandues dans les pages du Corriere della Sera par M. Galli della Loggia
et par les éditorialistes MM. Mieli et Romano, pour ne citer que les manipulateurs
les plus obstinés, qui trouvent même le soutien de revues telles que "Nuova storia
contemporanea" dirigée par Francesco Perfetti.

Ignorer la condamnation de l’histoire

Le livre, en surfant sur la vague de l’actuelle mode révisionniste, se vend fort
bien. Nous excluons que Pansa l’ait publié par bas intérêt économique : avec tout
ce qu’il a gagné, entre son activité d’écrivain et celle de journaliste, il n’en
avait pas besoin. Nous essayons de comprendre le but de cette initiative.
La motivation que propose l’auteur en ouverture a la saveur d’une justification
qui n’a rien d’original, une exhumation, en quelque sorte, de la théorie démocrate-chrétienne des
factions extrémistes opposées
. Il declare : "Après tant
de pages écrites sur
la Résistance et sur les atrocités perpétrées par les Allemands et les fascistes,
j’ai trouvé juste de montrer le revers de la médaille. A savoir ce qu’il arriva
aux fascistes après l’effondrement de la République Sociale Italienne, ce qu’ils
endurèrent, les violences et les assassinats dont ils furent les victimes
".
Donc
l’auteur entraîné d’autres récits à la toile de fond historique regarde
les effets
sans remonter aux causes
et finit par mettre sur un même plan les dictateurs
et les opprimés, membres de groupes de choc fascistes, partisans et victimes
civiles en exhumant la théorie des morts tous égaux.
Si l’on prend comme mètre la catégorie de l’esprit, la mort peut homologuer et
unifier les hommes et leurs sorts. Par contre, la mort ne peut pas les pacifier
ou les rendre pareils parceque ce qu’ils ont accompli de leur vivant marque leurs
différences même après le trépas. La fin du dictateur Mussolini n’a pas été et
ne setra jamais égale à celle d’un combattant de la liberté. Ils sont
morts dans
des buts opposés
, comme opposées ont été leurs existences : l’une marquée
par
les abus et l’oppression, l’autre par l’affirmation de la paix et de la démocratie
(1).
Et il ne s’agit pas de séparer d’une façon manichéenne le bien du mal mais de
ne pas oublier les faits et le jugement de l’histoire en tant que faits de "ce
qui concerne...tous les hommes du monde qui s’unissent entre eux en société et
travaillent, luttent et s’améliorent eux-mêmes
". (2)

Ignorer les enseignements de l’histoire

Pansa néglige un autre enseignement essentiel de l’histoire : le caractère
conséquentiel
des faits
. Tous ceux qui l’étudient savent que plusieurs évènements
se suivent
avec des liens et des répercussions fréquents. Souvent quelque chose arrive parceque
précédemment autre chose est arrivé et pour la violence et la revanche, un tel
caractère conséquentiel est encore plus marqué. C’est pourquoi il serait pour
le moins singulier - à moins que ce ne fût voulu et partial - de parler du règlement
de comptes avec le fascisme et ses souteneurs les plus fanatiques sans considérer
combien d’abus, d’oppressions, de violences, d’assassinats et de deuils le régime
mussolinien causa en 25 ans : deux ans de troupes de choc avant la marche sur
Rome, vingt-et-un de dictature et deux autres de servilisme minable(3) au régime
le plus féroce de l’histoire moderne : l’état-nazi. (4)
Même la récente définition de guerre civile que de nombreux
historiens, même
non révisionnistes, donnent aux terribles mois de septembre ’43 à avril ’45 ne
semble pas appropriée. Même si on se battit entre Italiens, ce ne fut pas l’affrontement
d’un peuple divisé en deux : la composante concentrée à Salo n’avait avec la population
d’autres liens que celui imposé par la terreur et n’aurait pu soutenir aucun
conflit si elle n’vait pas été protégée par l’armée allemande. L’Italie vécut
donc une guerre de Libération entre les Allemands occupants
flanqués de l’armée
fantôche de la Rsi et les troupes aoglo-américaines épaulées par les partisans
qui visaient la libération de la Péninsule.


Ne pas accepter les conséquences d’une tragédie

En vérité, pendant la narration l’auteur rappelle diff&érents massacres nazi-fascistes
de civils et de patriotes du Comité de Libération Nationale offrant lui-même
l’explication de la violence finale sur les vaincus causée par la haine envers
le fascisme enracinée dans deux générations d’Italiens opprimés.
Mais en lui
prend le dessus, nous ne savopns pas si c’est par goût de la provocation ou par
une tardive fascination vers les théses révisionnistes, l’intention de faire
le martirologe des fascistes éliminés, en donnant un nouveau souffle même aux
faussaires partiaux les plus discrédités : le député actuel de An, Antonio Serena,
qui s’est récemment distingué par la diffusion parmi ses collègues de pubications
glorifiant un des bourreaux des Fosses Ardéatines, le capitaine des SS Priebke.
Ou bien le fasciste de Salo’ Giorgio Pisano’ qui soutieint la thèse des 45 000
victimes de la répression anti-fasciste. Quand il a été clairement établi que
les victimes de la période 1943-fin 1946 furent 12 000 au maximum. (5)
De toute
façon, il n’est pas question de comptabilité macabre : quelques dizaines de milliers
de victimes de moins n’atténuent pas le caractère de fermeté de la revanche.
La question est de savoir si on veut comprendre les causes d’une dure réponse
des gagnants qui trouvait, pour des raisons souvent rappelées par Pansa lui-même,
un très large écho populaire. Si dans quelques cas une revanche personnelle et
privée plutôt qu’une justice collective prit le dessus c’est là un discours qui
n’enlève rien au désir répandu de punir de la façon la plus dure ceux qui avaient
chamboulé la vie italienne pendant un quart de siècle.


Antifascisme et insurrection ?

Aux comptes avec le fascisme Pansa ajoute dans les derniers châpitres du livre
une théorie ultérieure : les partisans communistes essayèrent dans les mois qui
suivirent la fin du conflit de frapper aussi les capitalistes et les
autres ennemis
de classe
. Ainsi le journaliste met dans le même sac les revanches contre
les criminels de guerre, les revanches contre les simples fascistes (que cela
pouvait-il signifier dans les mois terribles de l’Occupation, nous n’en savons
rien puisque
l’on finissait au mur ou dans un lager même grâce à la simple délation d’un simple
fasciste), les revanches de classe, les revanches privées, les actions de banditisme
bien à part.
Bien sûr, de nombreux fascistes et maître-chanteurs compromis avec le régime
furent recherchés et éliminés avec des méthodes directes. (6)
C’est aussi parceque à partir de 1946 (7), la justice italienne n’admettait plus
aucune punition pour ces gens-là. Il ne fut pas possible de pratiquer ce que
fit Simon Wiesenthal envers quelques
criminels nazis dont on avait facilité la fuite en Amérique Latine par l’organisation
Odessa. Certains d’entre aux furent capturés, amenés en Israël, jugés et condamnés à mort.
Dés ’46, la situation en Italie changea si profondément que les rescapés
de la
Rsi
, déjà réorganisés dans le parti néofasciste du Msi en dépit de la
Constitution,
eurent la possibilité de réapparaître en public. Et ils commencèrent à organiser
une activité d’éversion contre la démocratie nouvellement née avec le renouveau
de leurs groupes de choc armés (8). A partir de ce moment, ce furent les partisans
communistes
que l’on incrimina pour les épurations
perpétrées et que l’on contraignit à se
réfugier en Tchécoslovaquie et en Yougoslavie.

Si Pansa veut enquêter (ce n’est pas un secret : Spriano et Fiori avaient commencé à le
faire) sur les factions qui soutenaient au sein du Pci post-Résistance la théorie
de la lutte des classes contre le réalisme de Togliatti, il peut le faire. Mais
en s’émancipant des théories peu crédibles comme celles de Zaslavsky et Aga Rossi
sur un prétendu dessein du groupe dirigeant du Pci visant à affaiblir par des éliminations
physiques la bourgeoisie pour ensuite se mettre à sa place. Une thèse surréaliste,
car la ligne de Togliatti, même avec sa traditionnelle duplicité, ne laissa jamais
une chance dans la période de l’après-guerre à des tendances à l’insurrection,
en réalisant une politique de réformes et de participation.
Même Secchia et Longo,
critiques avec le secrétaire dans cette phase, s’écartèrent toujours de la dite "maladie
de la mitraillette
", un raccourci militariste représentant le spontanéisme
rebelle
plutôt que des programmes réellement révolutionnaires. (9) Si ces derniers étaient
praticables et à quel prix, on devra le commenter d’une manière historiographique,
par des recherches et des études, en s’engageant à les réaliser avec rigueur.
Les conjectures et les interprétations à scandale comme celles des derniers chapîtres
du "Sang des vaincus" n’aident certainement pas la recherche historique.

Du
père Calcagno à Farinacci, de Colombo à Koch


Nous suivons quelques passages de l’histoire romancée de Pansa non pour exalter
le sang et les revanches mais, au contraire, pour comprendre les évènements,
en rappelant les cas de fascistes dont la fin s’avéra tragique comme l’avait été leur
vie.
Le semeur de haine, le père Tullio Calcagno, directeur de la revue raciste Crociata
Italica (Croisade Italique : NdT) et son mentor et protecteur Farinacci, violent
chef de groupe de choc de la première heure, puis chef de la fédération fasciste
de Crémone, sont deux des premières victimes évoquées par Pansa. Il suffit de
relire les proclamations extrêmement violentes paraissant dans cette revue pour
comprendre pourquoi, pour les deux personnages, arriva inexorable le moment du
jugement. Ensuite, deux tortionnaires qui agissaient pour le compte des nazis
sous la République Sociale : Franco Colombo, qui organisa à Milan une police privée
nommée Muti (dirigeant fasciste tué par la Résistance : NdT) et Pietro Koch, créateur
de lieux de réclusion et de sévices dans la pension Jaccarino à Rome et dans
la villa Fossati à Milan. Avec ce dernier, des dizaines d’acolytes desquels se
détachent Tela, Trinca et les acteurs Valenti et Ferida, tués par les partisans
après le 25 avril. Dans son livre "La banda Koch", très documenté, Massimiliano
Griner écrit :
"...des coups de bâton et de fouet sur le corps nu avec des courroies et
des chaînes étaient des méthodes ordinaires, que n’importe quel bourreau fasciste
pouvait appliquer. Des trucs de dilettante ... Koch était pour des méthodes extraordinaires,
pour les tortures "scientifiques". Il était un esthète du supplice. Il aimait
voir souffrir. Les cris de douleur des torturés lui donnaient des frissons de
joie, la vue du sang l’enivrait
".

Des racontars de Pisano’, selon lequel pendant les jours de la Libération un
certain nombre de fascistes furent jetés dans les hauts fourneaux des usines
de Sesto San Giovanni, il n’y a aucune trace ni dans des documents ni dans des
témoignages.

Brigades noires : ces têtes de mort sur les casquettes

Les motifs de la mise à mort des Dainotti, Baldi, Bianchi et puis Adami, Fiorentini
et autres hommes des Brigades Noires (10) sont largement expliqués dans deux
passages tirés du roman "Uomini e no".

LXIII Les morts de Largo Augusto n’étaient pas que cinq : il y en avait d’autres
sur le trottoir d’en face ; et il y en avait quatre sur le Corso de Porta Vittoria ;
il y en avait sept piazza delle Cinque Giornate, au pied du monument. Derrrière
chaque rangée de morts, des pancartes disaient : passés par les armes. Elles ne
disaient rien d’autre, les journaux non plus et parmi les morts, il y avait deux
garçons de 15 ans. Il y avait aussi unepeetite fille, il y avait deux femmes
et un vieillard à la barbe blanche. Les gens allaient à travers le largo Augusto
et le corso de Porta Vittoria jusqu’à la place delle Cinque Giornate, voyanient
les morts au soleil sur un trottoir, les morts à l’ombre sur un autre trottoir,
les morts sur le Corso, les morts sous le monument et n’avaient aucun besoin
d’en savoir plus. Ils regardaient les visages morts, les pieds nus, les pieds
dans les chaussures, ils regardaient les mots des pancartes, ils regardaient
les têtes de mort aux tibias croisés sur les casquettes des hommes de garde et
paraissaient tout comprendre.

CII Celui qui avait un grand chapeau et une cravache secoua alors la tête. Il
avait compris. Il fit reculer les miliciens jusqu’au milieu de la cour et ramassa
un chiffon sur le tas, le jeta sur Giulaj. "Zu ! Zu ! attrape-le", dit-il au chien.
Et il demanda au capitaine "ne doivent-ils pas l’attraper ?" Le chien Blut s’était élancé après
le chiffon et aux pieds de Giulaj, le ramassa par terre où il était tombé, le
ramena sur le tas. "Ils ne vont tout de même pas le lui faire manger !" dit Manera.
Maintenant les miliciens ne riaient pas, depuis quelques minutes. "Tu parles !" dit
le Premier. "Sils voulaient l’enlever du milieu", dit le Quatrième ", ils l’auraient
envoyé avec les autres à l’Arena"." Pourquoi devraient-ils le faire dévorer par
les chiens ?" dit le Cinquième. "Ils veulent seulement lui faire peur", dit le
Premier. Le capitaine avait arraché à Gudrun la pantoufle etla mit sur la tête
de l’homme. "Zu ! Zu !", dit-il à Gudrun. Gudrun se jeta sur l’homme mais la pantoufle
tomba, l’homme cria et Gudrun reprit la pantoufle dans sa bouche en montrant
les dents. "Oh !" rirent les miliciens. Ils rirent tous et celui qui avait le
grand chapeau dit "Ils ne sentent pas le sang". Il parla de plus prés au capitaine "Non ?" lui
dit-il. Les chiffons furent alors enlevés par des jeunes gens blonds sur ordre
sur capitaine et celui qui avait le grand chapeau agita dans l’obscurité sa cravache
la faisant siffler deux ou trois fois."Ssssss" siffla la cravache. Elle siffla
sur l’homme nu, sur ses bras croisés autour de la tête et de lui tout entier
qui se baissait et l’atteint. L’homme nu ôta ses bras de la tête. Il était tombé et
il regardait. Il regarda celui qui le frappait, du sang ruisselait sur son visage
et la chienne Gudrun sentit le sang. "Fange ihn ! Bisse ihn !" dit le capitaine.
Gudrun attrapa l’homme avec ses dents, lui déchira l’épaule. "An die Gurgel" dit
le capitaine.


L’arbre
de Solaro et les arbres-potence de Bassano


Comme le rappelle Claudio Pavone dans son essai historique sur la moralité dans
la Résistance : la Rsi introduisit la pratique des exécutions publiques, des cadavres
des pendus et des fusillés laissés longtemps sur place. Giuseppe Solaro (11),
chef fanatique du Pnf à Turin (organisateur, durant la libération de la ville,
de la "bataille des francs-tireurs" qui provoqua l’énième versement de sang innocent
de 320 citoyens et partisans) a droit en retour à cette "fête de la potence" - la
définition est de Pansa - si chère au fascisme de la Rsi. Un autre témoignage
est celui de Mario Isnenghi dans le recueil d’essais dirigé par Ranzato "Guerre
fratricide
".

De toute façon, l’élément prioritaire et qui revient est celui de l’exposition
publique du cadavre. Même l’exposition a ses règles, de temps et d’espace. Il
faut que le macabre memento mori pendille longtemps, des heures et même des jours
durant, de l’arbre, du poteau ou du réverbère d’où il étale son impuissance "J’étais
un rebelle, voilà ma fin" disent les pancartes sur les cadavres des justiciés
de Arten, Quero, Cornuta, Alano, Oné di Fonte, Levada, Onigo, Pederobba, Cavaso,
Crespano, Bassano et de tous les villages qui entourent le Grappa dans les journées
du désastreux ratissage du massif, à la fin duquel on comptera des centaines
de fusillés, pendus et suspendus vivants à des crochets de boucher, auxquels
on ajoutera ceux qui sont tombés au combat et les déportés en Allemagne. De tous
les villages des alentours, les mères des jeunes maquisards accourent anxieuses à Bassano,
quand se répand le bruit que, pendus aux arbres minuscules de viale Venezia,
les pieds touchant presque le sol, il y en a 31 autres sans nom.


Egalement, après la Libération, ceux que Pansa définit "fauves en cage",
et ils
l’avaient bien été des fauves, et en cage ils avaient fini après la capture partisane,
avaient le droit au même traitement que les nazis fascistes avaient fait subir
aux partisans. Encore un passage de Isnenghi.

"Celui qui va mourir peut être lié à la cabine ou au côté du camion, le visage
vers l’extérieur, et montré ainsi le long des rues qui mènent au lieu de l’exécution.
On peut -comme à Gênes - fusiller dans les forts de la ceinture et renvoyer en
bas le camion avec les cercueils pour qu’il traverse la ville. Ou bien c’est
le camion lui-même qui se déplace avec le bourreau et les condamnés de village
en village - véritable chariot de Thespis de la mort - jusqu’à que chaque condamné ait été pendu à son
arbre et balancé du camion, qui continue jusqu’au prochain arrêt. Un épisode
de Paisà a fixé l’image d’une autre pratique de la scénographie de la mort, qui
confie au courant des fleuves la mobilité et la visibilité de la dépouille du
rebelle, lié aux planches...
".

Ainsi, en lisant le passage sur la mort de Vezzalini, revient à l’esprit le massacre
du 15 novembre 1943 (les huit antifascistes qui ont été enlevés de la prison
et tués près du fossé du Château Estense de Ferrare) évoqué dans le film de Florestano
Vancini "La lunga notte del ’43".

Les
symboles de mort et de pacification


Les symboles de la mort sont depuis toujours l’emblème des régimes qui méprisent
l’homme et sa vie, le fascisme italien se distingua et fit école en Europe. On
se souvient de ses lugubres étendards et de ses fanions, de ses chansons funestes
(12), mais surtout de la pratique prolongée de l’assassinat. (13) Aucune organisation
partisane italienne ne théorisa la violence comme une fin en soi. Quand il y
eut des épisodes de violence privée sur des prisonniers il s’agit de cas isolés,
jamais dirigés politiquement, et ils furent réprimés et durement blâmés. Comme
d’autres dérapages individualistes : les vols, par exemple. Selon Pavone : "La
sévérité contre les actes de banditisme perpétrés par les partisans est grande,
et les sources nous en témoignent la plus dure application".

Bien sûr, dans la période animée qui suit la Libération, il y eut aussi
des épisodes
discutables
, comme le meurtre de sang froid de 54 fascistes perpétré dans
la prison de Schio par une dizaine de partisans. Dans ce cas, la circonstance
atténuante des massacres nazis dans les alentours (Forni, Pedescala) pendant
les mois précédents et le martyre de deux partisans locaux, Germano et Giacomo
Bogotto, dont les
corps furent retrouvés déchirés par les tortures, n’aide pas à comprendre l’excès
répressif qui prit la forme d’une revanche sans conditions. Même si une foule
furieuse avait essayé pendant les jours précédents de prendre d’assaut la prison
pour lyncher les fascistes. Et même si après le carnage une bonne partie de la
population le considéra comme un acte de justice envers tant de martyrs de la
liberté.
Une foule de dignitaires et de chemises noires qui réussit au contraire à s’en
tirer Aurait sûrement mérité des punitions sévères (14). Et cela aussi à la suite
de l’action de pacification que fut l’amnistie évoquée ci-dessus de juin 1946
qui causa la mise en liberté de plus de 40.000 fascistes (15).
Parmi eux il y
avait de nombreux criminels de guerre. Deux noms pour tous :
le chef de bande des tortionnaires de la X Mas, Junio Valerio Borghese, et le
boucher d’Ethiopie
Rodolfo Graziani, que le démocrate chrétien Giulio Andreotti avait à ses côtés à l’occasion
de ses discours électoraux dans les collèges du Latium. L’histoire et les vainqueurs
se sont montrés beaucoup plus cléments que ce que Pansa, Pisano’ et les révisionnistes
veulent faire croire.

Enrico Campofreda

(les photos de la Résistance sont tirées du site de l’ANPI de Magenta : http://www.anpimagenta.it,
cliquez sur l’image pour l’agrandir)

(1) Comme le rappelle Primo Levi dans "I sommersi e i salvati", l’oppresseur
et la victime sont dans le même piège, mais c’est l’oppresseur, et seulement
lui, qui l’a préparé et l’ a fait jouer.
(2) A. Gramsci, Lettere dal carcere (154), Einaudi, Turin, 1975
(3) "Tout ce qui était soudain, traître, explosant par des hurlements était fasciste" écrit
Fenoglio dans le deuxième chapitre de "Il partigiano Johnny" et le partisan Sandor
dans les "Ventitre giorni della città di Alba"affirme : "Moi j’en veux aux Allemands,
c’est naturel que leur en veuille pour tant de choses. Mais il y a pas de comparaison
avec ma haine des fascistes. Pour moi ce sont eux la cause de tout".
(4) Entre septembre 43 et mai 45 les détachements allemands de la Wehrmacht (armée)
et des SS (police politique) assassinèrent 9.180 civils, des femmes et des enfants
pour la plupart. De plus, le mouvement partisan du Corps des Volontaires de la
Liberté paya un très dur tribut de sang avec 26.600 victimes dans les régions
où le conflit fut le plus âpre : Piémont (5.794), Lombardie (3.938), Vénétie (2.670),
Frioul (4.784), province de Belluno (564), Ligurie (2.794), Emilie Romagne (6.084).
(5) H.Woller, I conti col fascismo, Il Mulino, Bologna, 1997. Parri avait diffusé le
nombre de 15.000 fascistes passés par les armes, Tosca parle de 19.801. Les données
reportées par Woller (12.000 morts) ont aujourd’hui le plus grand crédit historique.
(6) De G. Fiori, Uomini ex "...Automne 45. Désarmer, ceci est l’ordre du Parti
(le Pci, ndr), livrer aux Alliés jusqu’au dernier pistolet. Incroyable. Une folie....
(Les fascistes) les ont gardées leurs armes, à Milan chaque jour surgissent des
groupes louches "Enfants d’Italie" "Groupes d’action Mussolini" "Honneur et combat" ...
A Milan la guerre civile avait continué, l’épuration légale avait été un échec,
on rencontrait dans la rue même des tortionnaires, les expéditions punitives
eurent le consensus populaire : des groupes de partisans au mouchoir rouge des
Brigades Garibaldi et à la mitraillette en bandoulière étaient revenus faire
la ronde en cherchant la racaille qu’ils traînaient jusqu’aux environs du Campo
Giuriati et le lendemain à l’aube la vue de ce corps inerte n’émouvait pas les
ouvriers qui passaient à vélo".
(7) Le 22 juin 1946 l’amnistie promulguée par le Garde des Sceaux Togliatti,
en accord avec le chef du gouvernement De Gasperi, causa la mise en liberté de
plus de 40.000 fascistes.
(8) Encore de G. Fiori, œuvre citée "...En 46, une année dure, les fascistes
relèvent la tête, traversent des villes et des villages avec des voitures fantômes
en tirant dans le tas.. En juin, les milliers de fascistes mis en liberté par
le Garde des Sceaux Togliatti sont la base de recrutement des Groupes d’Action,
qui, ragaillardis, en arrivent à tenter l’attaque de la Casa del Popolo de Lambrate.
...L’explosion, l’arrivée des assaillants noirs, notre tir à la cible à partir
des arcades, le carnage. Leur riposte, la bombe dans la section communiste de
Porta Genova, le petit Flammini, cinq ans, le fils du gardien, horriblement déchiqueté,
les morceaux qui volaient par la fenêtre de via Papiniano...". Le Msi, créé par
le rescapé de la République de Salo’ Giorgio Almirante, poursuivît des décennies
durant un plan éversif, de mèche avec des institutions étatiques déviées, en
se rendant protagoniste d’actions armées. De nombreux militants du Msi et de
formations parallèles à ce parti, épaulées par les Services secrets, furent les
manœuvres des attentats à la bombe dans la soi-disant "stratégie de la tension".
Par les massacres qui de Piazza Fontana (décembre 1969) arrivent jusqu’à l’attentat
au train 704 (décembre 84) on voulait frapper les conquêtes du mouvement des
travailleurs et le déplacement électoral à gauche qui avait lieu dans le Pays.
(9) Le cas de la "Volante Rossa" milanaise, rappelé dans le livre de Fiori, est
l’un des plus connus. Dans les aveux de ceux qui y participèrent on constate
ce qu’aussi d’autres auteurs (Woller) soulignent : le sens d’abandon à eux-mêmes
de ces partisans qui avaient longtemps risqué leur vie. Certains d’entre eux
commencèrent par se sentir abandonnés et ensuite trahis par le Parti même qui
les voyait dans l’après-guerre comme un facteur gênant dans la nouvelle réalité politique.
(10) Fondées pendant l’été 44 par Alessandro Pavolini et dirigées par lui, les
Brigades Noires eurent des tâches de répression anti-partisane et de représailles
sur les civils, épaulant le travail des SS. Elles se distinguèrent par des actions
féroces dans l’Oltrepo et le Canavese.
(11) Woller écrit, œuvre citée "Solaro était trop connu et trop haï pour qu’on
puisse penser l’exécuter comme n’importe quel fasciste... il fit l’objet d’un
procés sommaire et fut condamné à mort par pendaison. La sentence fut exécutée
sur le corso Vinzaglio, au même endroit où il avait fait pendre quelques semaines
auparavant quatre partisans".
(12) "Il y en a qui aiment faire l’amour/ il y en a qui aiment amasser de l’argent/
il y en a qui aiment faire la guerre / quitte à mourir" est le refrain d’une
chanson des parachutistes de la Rsi imitant la Chanson du Quarnaro de D’Annunzio.
(13) Dans la période 1920-22, les membres du mouvement fasciste nouveau-né des
troupes de choc, financé par les propriétaires terriens de la plaine du Pô, avaient
assassiné plus d’un millier de militants socialistes, communistes, catholiques
et de syndicalistes organisés dans des Ligues, Cercles et Bourses du Travail.
Pendant les années suivantes des personnalités politiques aussi, anti-fascistes
illustres furent tuées ou amenés à mourir : le père Giovanni Minzoni, Giacomo
Matteotti, Piero Gobetti, Giovanni Amendola, Nello et Carlo Rosselli, Antonio
Gramsci, pour ne citer que les plus connues.
(14) En Italie les Cours d’Assise condamnèrent en première instance 550 fascistes à la
peine de mort, dont 91 seulement furent fusillés . En France, sur 6763 condamnations
1.500 furent exécutées.
(15) En 1948, 1949 et 1953 d’autres mesures de remise de peine vidèrent les prisons
de tous les fascistes.

Quelques livres pour approfondir

P. Spriano, "Storia del Partito Comunista Italiano", Einaudi, Torino, 1975
G. Bocca, "Storia dell’Italia partigiana", Laterza, Bari, 1977
L. Borgomaneri, "Due inverni, un’estate e una rossa primavera", Angeli, Milano,
1985
P. Spriano, "Le passioni di un decennio", Milano, 1986
C. Pavone, "Una guerra civile", Bollati Boringhieri Torino, 1991
G. Ranzato, "Guerre fratricide", Bollati Boringhieri, Torino, 1994
G. Bocca, "Storia d’Italia nella guerra fascista", Mondadori, Milano, 1996
L. Borgomaneri, "Hitler a Milano", Datanews, Milano, 1997
H. Woller, "I conti col fascismo", Il Mulino, Bologna, 1997
L. Ganapini, "La Repubblica delle camicie nere", Garzanti, Milano, 1999
D. Gagliani, "Brigate nere", Bollati Boringhieri, Torino, 1999
M. Franzinelli, "I tentacoli dell’Ovra", Bollati Boringhieri, Torino, 1999
F. Germinaro, "L’altra memoria", Bollati Boringhieri, Torino, 1999
R. Katz, "Morte a Roma", Editori Riuniti, Roma, 1996
K. Klinkhamer, "Stragi naziste in Italia", Donzelli, Roma, 1997
Aavv, Dizionario della Resistenza, Einaudi, Torino, 2000
Aavv, Atlante storico della Resistenza, Mondadori, Milano, 2000
M. Griner, "La banda Koch", Bollati Boringhieri, Torino, 2000
B. Fenoglio, "Il partigiano Johnny", Einaudi, Torino, 1978
B. Fenoglio, "I ventitre giorni della città di Alba", Einaudi, Torino, 1986
E. Vittorini, "Uomini e no", Mondadori, Milano, 1986
V. Pratolini, "Cronache di poveri amanti", Mondadori, Milano, 1988
G. Fiori, "Uomini ex", Einaudi, Torino, 1993

Quelques films afin de ne pas oublier

"Roma città aperta", Roberto Rossellini, 1945
" Paisà", Roberto Rossellini, 1946
" Achtung ! Banditi", Carlo Lizzani, 1951
" La lunga notte del ’43", Florestano Vancini, 1960
" Rappresaglia", Gorge Pan Cosmatos, 1973
" Salò e le 120 giornate di Sodoma", Pier Paolo Pasolini, 1975
" Novecento", Bernardo Bertolucci, 1976
" La
notte di San Lorenzo
", Paolo e Vittorio Taviani, 1982

traduit de l’italien par Mc. et G.R.

06.02.2004
Collectif Bellaciao

Messages

  • >Ils sont morts dans des buts opposés, comme opposées ont été leurs existences : l’une marquée par les abus et l’oppression, l’autre par l’affirmation de la paix et de la démocratie

    Toutes les morts ne se valent pas, est-ce ainsi qu’il faut le comprendre ? C’est typiquement le genre de casuistique qui permet aux communistes d’alléger le fardeau de leur 100.000.000 (CENT MILLIONS) de cadavres. Drôle de manière de se réfugier dans l’idéalisme pour des matérialistes, au passage.

    >la mise en liberté de plus de 40.000 fascistes

    ... dont je me suis laissé dire que nombre d’entre eux avaient rejoint le PCI à l’appel du camarade Togliatti. Allez savoir pourquoi... : "afin d’y réaliser leurs idéaux". Dixit Palmiro lui-même.