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LES OUBLIES

Publie le jeudi 12 février 2004 par Open-Publishing

Voyage à ’Ayn al-Hilweh

Depuis que les évènements au Moyen Orient dominent de plus en plus les relations
internationales, les problèmes générés par la Palestine et par l’Etat israélien
ne passent pas inaperçus dans les médias mondiaux ou auprès de l’opinion publique
en général.

En vérité, le problème des réfugiés palestiniens ne s’arrête pas aux frontières
de l’Etat israélien, mais c’est un phénomène présent dans des pays comme le Liban - un état
en train de se reconstruire après des années de guerre. A l’intérieur du Liban,
environ 400.000 réfugiés survivent à grand-peine dans des camps ressemblant à des
ghettos, aux périphéries de Beyrouth, de Tyr, de Tripoli et de Sidon.

Le plus grand de ces camps, ’Ayn-al-Hilweh, au sud de la ville libanaise de Sidon,
accueille environ 70.000 personnes, dans des conditions qui ressemblent à celles
des très pauvres "shanty-town" du Pérou.

’Ayn-al-Hilweh fut créé en 1948, pour accueillir les Palestiniens chassés de
leur patrie. A l’entrée du camp, on est accueilli par une pancarte qui décrète, à son
intérieur, la volonté du peuple palestinien. Sidon - une ville libanaise pauvre
mais digne - est derrière nous et ici il y a un monde différent, régi par des
règles différentes, où les gens vivent avec l’espoir de revenir dans une Palestine
libre et pacifique.

Je rends visite au chef du mouvement Fatah à l’intérieur du camp, Ahmad Shabaytah,
un homme plaisant, et je suis frappé par son penchant à devenir poétique en parlant
des conditions sociales désespérées de ’Ayn-al-Hilweh. Dans une pièce occupée
par quatre gardes du corps, dont un armé de fusil, M. Shabaytah, né et grandi
dans le camp, parle de l’ironie que comporte la création de ce site.

"Ce lopin de terre nous fut donné en 1948 par le gouvernement libanais, qui sympathisait à l’époque
avec nos souffrances, comme "refuge temporaire pour le peuple palestinien", dit-il. "En
fait nous sommes ici depuis 55 ans. Nous étions 35.000 personnes mais, à cause
des conflits intérieurs éclatés au Liban, beaucoup de réfugiés se déversèrent
dans le camp et nous sommes aujourd’hui 70.000. Toutefois l’augmentation de la
population n’a pas coïncidé avec l’amélioration de la situation générale. La
vie au quotidien, ici, est sous la responsabilité de l’UNRWA, laquelle ne respecte
pas ses obligations à cause des pressions extérieures exercées par les USA".

Et il continue : "Après la signature des accords d’Oslo, la pression américaine
sur nous a augmenté. Les USA comptent sur notre désespoir et exercent de continuelles
pressions également sur le gouvernement libanais qui nous accueille, pour qu’il
nous octroie la nationalité, par laquelle nous perdrions automatiquement notre
droit au retour dans notre patrie".

Cette pression, selon M. Shabaytah, est la principale responsable du grave collapsus
social qui a eu lieu dans le secteur de l’instruction et dans celui de la santé à ’Ayn
al-Hilweh. "Le système éducatif du camp ressemble à celui en vigueur partout
ailleurs au Liban", dit-il, "mais, tandis qu’ailleurs les élèves fréquentent
les structures éducatives de 8 à 14 heures, dans le camp, à cause du nombre toujours
croissant d’élèves, nous devons faire deux ou trois tours pour pouvoir les accueillir
tous. Les tours influencent la qualité de l’enseignement, parce que les élèves
n’ont pas assez de temps pour s’instruire convenablement. Le nombre d’élèves
a augmenté mais celui des écoles est resté le même. Egalement, le nombre d’élèves
par classe est passé de 30 à 60."

Malgré cela, M. Shabaytah est fier de la forte résolution que beaucoup de Palestiniens
ont montré en termes d’ habileté à prospérer dans les cercles académiques. "Malgré toutes
les difficiles circonstances éducatives, les élèves palestiniens ont un talent
inné pour les mathématiques et la physique". Malheureusement, dans une zone où les
opportunités sont rares et les situations quotidiennes catastrophiques, nombre
de professionnels, comme les médecins et les ingénieurs, sont obligés de conduire
un taxi ou de vendre de petits oiseaux pour survivre.

"Le gouvernement libanais a publié un décret qui empêche les Palestiniens d’exercer
72 professions en dehors du camp", explique-t-il. "Auparavant on leur permettait
de se consacrer au travaux physiques, comme par exemple la construction de routes,
mais plus maintenant. Nous n’avons pas de droits". Son avenir il l’explique avec
une simplicité extrême. "Je mourrai ici en martyre ou je reviendrai dans ma terre",
dit-il avec fermeté. "L’un ou l’autre".

Mon prochain rendez-vous nécessite un demi kilomètre en voiture à travers les
routes ruinées du camp. Avec un garde armé assis derrière, il nous faut environ
10 minutes pour esquiver les nombreux obstacles le long de notre trajet. Des
yeux méfiants nous regardent depuis les magasins qui côtoient la route, où les
fruits et la viande sont bien étalés sous le soleil de midi. Un autre groupe
d’hommes m’attend dans une pièce mi-sombre. Au son d’un ventilateur à plafond,
M. Ghazi Assadi, le seul membre indépendant de la Commission Populaire du camp,
semble nerveux mais, comme M. Shabaytah, il est prêt à décrire les souffrances
quotidiennes, lesquelles, dit-il, sont entrées dans une spirale qui est hors
de tout contrôle.

"Le manque de soins médicaux est le pire problème, ici", dit-il. "L’UNRWA est
le seul organisme livrant des services aux Palestiniens mais son bilan est déficitaire
depuis longtemps, surtout après les accords d’Oslo. Quand nous avons besoin d’une
hospitalisation, ils nous envoient dans les hôpitaux privés du Liban. Et, de
toute façon, même là les lits pour les Palestiniens sont limités. Le nombre de
lits et très en dessous du nombre de patients". Les gens ici n’ont pas d’argent,
dit-il. "On laisse souffrir la plupart. Les Palestiniens qui nécessitent des
opérations au cœur ou les malades d’un âge supérieur à 60 ans ne sont pas soignés.
Il nous faut désespérément le soutien de la communauté internationale.

L’état des structures sanitaires publiques dans le camp est plus alarmant. La
présence de 70.000 Palestiniens dont il faut s’occuper et de seulement cinq médecins - payés
directement par l’UNRWA - fournit une preuve évidente de la situation tragique
que les Palestiniens ordinaires se trouvent devoir affronter. "Si nous devions
parler santé, il faudrait un jour entier", conclut-il, avec un sourire forcé.

Quand la discussion arrive à l’argument "crime", M. Assadi fait une remarque,
qui met en lumière la dure réalité de ’Ayn al-Hilweh sans le moindre ton sarcastique. "Etonnamment,
le crime ici est très bas, malgré le fait que nous avons des problèmes de conflictualité entre
les différentes factions".

Source : Palestine Chronicle

Traduction aux soins de www.arabcomint.com

ALASDAIR SOUSSI

Traduit de l’italien par M.C. et G.R.

12.02.2004
Collectif Bellaciao