Accueil > La Bolivie et le mouvement séparatiste
La Bolivie et le mouvement séparatiste
Publie le jeudi 15 mai 2008 par Open-Publishing3 commentaires

de Thierry PIGNOLET
La Bolivie traverse actuellement une crise grave. Un des chefs de file du tournant vers la gauche qu’ont pris plusieurs pays d’Amérique depuis quelques temps, ce pays est victime d’une lutte impitoyable soutenue par l’impérialisme américain et menée par une droite égoïste et raciste. A ce titre, les événements que traverse ce pays frère doivent nous interpeller, progressistes du monde entier.
La Bolivie est un pays situé au centre de l’Amérique du sud, de plus d’un million de km2 (1,6 x la France). Sa population, d’un peu plus de 9 millions d’habitants, est composée de 55% d’amérindiens -36 ethnies, dont 30% de Quechuas et 25% d’Aymaras-, de 30% de métis et de 15% de blancs d’origine.
La Bolivie a été longtemps le pays le plus pauvre d’Amérique latine. De grandes réformes libérales ont privatisé dans les années 1990 la compagnie aérienne, les chemins de fer, l’électricité, et le pétrole. En 2006 on a découvert un gigantesque gisement de gaz naturel dans le sud du pays, à Tarija. Actuellement, pas moins de vingt-six compagnies multinationales exploitent les ressources naturelles de gaz et de pétrole de la Bolivie ! Les provinces les plus prospères de la Bolivie sont celles qui forment, à l’est du pays, une demi-lune face au reste du pays (en espagnol la media luna) : Pando, Beni, Santa Cruz et Tarija.
Politiquement, la Bolivie est une république parlementaire, avec un Sénat (actuellement à majorité de droite) et une Chambre des députés (actuellement à majorité de gauche). Avec une loi de décentralisation de 1995, les 9 départements boliviens se sont vues accorder une autonomie accrue, avec un préfet à la tête de chaque département. Le MAS, Mouvement vers le Socialisme, parti du président actuel Evo Morales, ne détient que 3 des 9 postes de préfets. Le 18 décembre 2005 ont eu lieu des élections législatives, dans un climat tendu de revendication de mouvements populaires -essentiellement indigènes- pour une nationalisation des réserves de pétrole et de gaz.
Elu le 18 décembre 2005 avec 53 % des voix, Evo Morales est le premier président amérindien (plus exactement Aymara) de Bolivie depuis le 19e siècle. Candidat au prix Nobel de la paix 2007, ses objectifs progressistes lui ont attiré les votes des indigènes, des pauvres, des ouvriers : défense des droits des populations indiennes (qui sortent de 500 ans de colonisation), fin de deux décennies de politique néolibérale, nationalisation des hydrocarbures, mise en place d’une réforme agraire, refondation de l’Etat -au moyen d’une nouvelle Constitution garantissant une égalité de droits à tous les Boliviens, une reconnaissance des populations indigènes, une répartition plus équitable des richessses de la nation.
Globalement, le MAS se caractérise par un discours anticapitaliste, promouvant la souveraineté nationale grâce à la réappopriation des ressources naturelles (eau, gaz, mines, ...) contre la mainmise des entreprises multinationales. Le gouvernement de Evo Morales a donné, en deux ans et demi, plus au peuple, par l’accès à la santé, à l’éducation et à la sécurité sociale, -notamment grâce à l’aide du Vénézuela et de Cuba- qu’en 182 ans d’histoire républicaine ! Cependant, le problème principal de la révolution démocratique et culturelle prônée par Evo Morales est qu’elle est seulement portée par des classes sociales du monde rural, au risque de déplaire à une population urbaine, de classe moyenne, tentée de plus en plus par la rhétorique des préfets régionalistes.
Afin de mieux comprendre la situation actuelle, arrêtons-nous sur deux événements importants qui prirent place en juillet 2006.
Le projet de nouvelle Constitution nécessitait l’élection de représentants à une Assemblée constituante : le MAS y obtint la majorité, mais pas celle des deux tiers -condition indispensable à une révison légale de la Constitution. Celle-ci sera votée article par article seulement à majorité simple, avec l’intention d’un seul vote final à majorité des deux tiers. Cette astuce entraînera évidemment l’ire de l’opposition, qui accusera le gouvernement de « dérive autoritaire » et boycottera le processus parlementaire. Finalement, la nouvelle Constitution ne sera pas reconnue par la Cour électorale.
Fut ensuite mis sur pied un référendum sur les autonomies départementales., avec comme résultat un « non » pour l’ensemble du pays, mais... un « oui » dans les 4 provinces les plus riches du pays (la media luna) : celles-ci renforcèrent ainsi « de fait » leur autonomie.
L’évolution difficile de toutes les tentatives de réforme constitutionnelles et sociales de Evo Morales est en fait le fruit d’une lutte acharnée de la droite et de l’oligarchie pour préserver les richesses et droits acquis. La plupart des mesures sociales ont été freinées par la droite en majorité au Sénat. Les riches régions pétrolières et agro-industrielles de la media luna ont proclamé de fait leur autonomie. La nouvelle Constitution n’a été votée qu’en force et en urgence uniquement par la MAS -en l’absence de l’opposition- et est controversée. La réforme agraire d’Evo Morales a été reçue à Santa Cruz comme une véritable déclaration de « guerre du latifundio » par les grands propriétaires terriens, et n’a été approuvée que grâce au retournement de plusieurs élus de l’opposition. L’approbation d’un pension à toutes les personnes agées (la renta dignidad) a été retardée pour les mêmes raisons.
Le 4 mai 2008 a eu lieu un référendum mis sur pied par le préfet de Santa Cruz, portant sur l’autonomie de cette région et, à terme, sur la scission du pays. Ce référendum non autorisé par la Constitution et donc illégal n’était pas reconnu par le Gouvernement bolivien -qui préfère parler d’une « consultation populaire »-, ni par l’Organisation des Etats Américains (OEA), ni par l’Union européenne. L’oligarchie de Santa Cruz prétend avoir obtenu une majorité de voix, tandis que le gouvernement central parle d’échec retentissant. Cette tentative de « putch séparatiste » s’est déroulée dans un climat de grande violence. On est au bord de la guerre civile. Les 3 autres départements riches menacent d’emboîter le pas.
Est-il utile de préciser que ce processus séparatiste est attisé et soutenu activement par les Etats-Unis ? L’ambassadeur américain Philip Golberg qui, artisan de la balkanisation de l’ancienne Yougoslavie, avait été dépêché sur les lieux par le président Bush, a déménagé son bureau de La Paz - capitale bolivienne- vers Santa Cruz -fief des préfets séparatistes- : il n’hésite pas s’afficher et tenir ouvertement des réunions de « travail » avec les préfets séparatistes.
Le 6 décembre 2007, le président bolivien avait proposé aux préfets de département, dans le contexte difficile de la révision de la Constitution, d’accepter de soumettre le maintien de leur mandat à un référendum révocatoire. Le Sénat vient de voter la loi sur ce référendum, Evo a accepté de la promulguer. La date décidée est celle du 10 août prochain. « Si nous autres, politiciens, ne parvenons pas à nous entendre facilement, il vaut mieux que le peuple décide du destin du pays, du destin du président, du vice-président et des gouverneurs », dit Evo Morales. Deux questions seront posées au peuple, portant sur son accord ou non quant à la politique du couple exécutif et des gouverneurs de provinces : “Etes-vous d’accord pour que se poursuive le processus de changement impulsé par le président Evo Morales Ayma et le vice-président Alvaro García Linera ?” et “Etes-vous d’accord pour que le gouverneur poursuive ses politiques, ses actions et son administration ?”
La Bolivie subit une lutte des classes impitoyable, cruelle, à fort relent raciste. On a d’une part le bloc social des indigènes, des paysans, des travailleurs et des pauvres des villes qui ont juré de défendre et approfondir le processus révolutionnaire de Evo Morales. D’autre part se trouve le bloc oligarchique et bourgeois, appuyé par l’impérialisme américain, qui cherche à préserver ou restaurer son pouvoir politique, qui ne veut rien partager et qui ne supporte pas qu’un « Indien » gouverne le pays.
Laissons à Altamiro Borges, du Parti Communiste du Brésil, le soin de terminer et résumer cette (trop) brève présentation sur le drame que vit la Bolivie d’Evo Morales : « La grave situation bolivienne, qui constitue un danger pour toute la vague progressiste en cours en Amérique Latine, exige la solidarité active de toutes les forces démocratiques et populaires du continent et du monde. Il est urgent de dénoncer la stratégie séparatiste et putschiste de l’oligarchie bolivienne, appuyée par les U.S.A., en mobilisant les travailleurs, les parlementaires, les élus et les médias progressistes. »
Thierry PIGNOLET,
thierry.pignolet@yahoo.es
Messages
1. La Bolivie et le mouvement séparatiste, 17 mai 2008, 01:27, par Thierry PIGNOLET
Un merci très fraternel au(x) administrateur(s) du site pour l’illustration, expressive et pertinente.
2. La Bolivie et le mouvement séparatiste, 17 mai 2008, 10:22, par Pablo
Excellent texte permettant d’avoir une idée claire des enjeux et protagonistes de la lutte du peuple bolivien pour sortir de la misère instaurée dans ce pays par notre "civilisation occidentale et chrétienne".
3. La Bolivie et le mouvement séparatiste, 17 mai 2008, 12:56, par régis
"Le gouvernement de Evo Morales a donné, en deux ans et demi, plus au peuple, par l’accès à la santé, à l’éducation et à la sécurité sociale, -notamment grâce à l’aide du Vénézuela et de Cuba- qu’en 182 ans d’histoire républicaine !"
La Bolivie n’est plus une république ?
N’est-ce pas la République qui a permis l’élection d’Evo Morales ?
Le gouvernement de Evo Morales est républicain ! Cuba est une république !