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La France : Guaino et Sarko (1er art), Kouchner et les USA (2ème art.) le temps (quot suisse)

Publie le vendredi 21 septembre 2007 par Open-Publishing

La « plume » de Sarkozy qui inquiète l’Europe

FRANCE. Conseiller spécial du président, Henri Guaino fait figure d’idéologue du nouveau pouvoir. Rencontre à l’Elysée.

Sylvain Besson, Paris
Vendredi 21 septembre 2007

Etre le voisin de bureau de Nicolas Sarkozy constitue un privilège redoutable. Chaque fois qu’il a besoin d’une idée, d’une stratégie ou d’une formule choc, le président français débarque sans prévenir dans la pièce lambrissée qu’occupe son « conseiller spécial », Henri Guaino, au premier étage du Palais de l’Elysée. Ce quinquagénaire élégant, connu pour son orgueil et son franc-parler, a pris une place à part dans l’équipe Sarkozy : celle d’inspirateur, idéologue et peut-être âme damnée du nouveau chef de l’Etat.

« Alchimie mystérieuse »

Henri Guaino est devenu la « plume » de Nicolas Sarkozy lors d’un discours prononcé à Nîmes, au printemps 2006. Un succès : les références grandioses au « destin de la France » captivent l’assistance. Depuis, sa présence se fait sentir partout. L’irruption du thème de l’identité nationale durant la campagne présidentielle ? C’est lui. L’Union méditerranéenne si chère à Nicolas Sarkozy ? C’est aussi lui. Les attaques du président contre la Banque centrale européenne ? Encore lui. Pas étonnant, dès lors, que son activisme fasse grincer des dents, à la fois dans les administrations parisiennes et dans les capitales européennes qui s’inquiètent de son attachement sourcilleux à la souveraineté nationale.

Henri Guaino n’en a cure. Pour lui, l’important est d’avoir la confiance du président. Le récent livre de Yasmina Reza, L’aube le soir ou la nuit, contient à ce sujet des passages éloquents. « On va finir par faire un enfant avec Guaino, aurait expliqué Nicolas Sarkozy avant son élection. Je l’adore. [...] Quand on est tous les deux face à face, parfois, on a la larme à l’œil. »

Henri Guaino parle de l’existence, entre eux, d’une « alchimie mystérieuse, une espèce d’osmose », forgée lors de longues séances nocturnes de travail. « Moi, je tiens la plume, explique-t-il au Temps. Parfois, je vais solliciter la décision, mais personne ne décide que lui. » Le président dirige, lui suggère, met en forme, donne parfois les mots - travail, nation, identité... - qui feront mouche dans l’opinion.

La rencontre entre Henri Guaino et Nicolas Sarkozy est aussi celle de deux tendances opposées de la droite française. « Je suis davantage attaché à l’importance de l’Etat, du projet collectif, affirme le conseiller spécial. Lui est plus sensible à la réussite individuelle. Sur l’Europe, je suis plus critique, lui plus allant. Ce qui nous a rapprochés, c’est le volontarisme. Je ne sais pas s’il est libéral, je m’en fous, mais ce n’est pas un adepte du laisser-faire. »

Il faut un caractère bien trempé pour survivre à la pression qui règne dans les hautes sphères du pouvoir. Henri Guaino est, à cet égard, richement pourvu. Durant la campagne présidentielle, il a menacé de démissionner parce que Claude Guéant, autre proche collaborateur de Nicolas Sarkozy, avait supprimé quelques phrases d’un de ses discours. « J’ai la réputation d’avoir très mauvais caractère, ce qui n’est pas vrai », assure Henri Guaino avec un léger accent méridional.

Sa mauvaise humeur, le conseiller la réserve à ses ennemis de toujours. Il y a d’abord les « soixante-huitards attardés », cette « gauche qui ne comprend rien » dénoncée par Nicolas Sarkozy durant la campagne présidentielle. Mais aussi les « communicants » qui voulaient empêcher le candidat de prononcer de grands discours solennels, la spécialité d’Henri Guaino.

Il y a enfin l’establishment libéral européen qu’il combat depuis son engagement contre le Traité de Maastricht, au début des années 1990. « Le Financial Times a sa vision idéologique du monde qui n’est pas forcément la nôtre, dit-il en citant le journal préféré des élites bruxelloises. En France, les libéraux font 3% des voix lorsqu’ils ont un leader charismatique ! C’est une idéologie qui ne pèse rien. »

Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne, en prend pour son grade : « M. Trichet porte une responsabilité énorme dans le passif [économique] dont nous héritons », estime Henri Guaino. Il voit en l’orthodoxie budgétaire prônée par Bruxelles un frein à la croissance, alors que, selon lui, la Suède a redressé son économie en dévaluant sa monnaie et le Danemark en augmentant son déficit budgétaire.

Regard sévère sur le monde

Le plus frappant, chez Henri Guaino, est la sévérité du regard qu’il porte sur le monde. Il voit en l’Europe une « zone de dépression » minée par une « crise identitaire, intellectuelle et morale extrêmement profonde ». Nicolas Sarkozy lui apparaît comme l’homme qui pourra guérir ces « sociétés malades ». « La politique n’a aucun intérêt si ce n’est pas une affaire de conviction, si l’on n’a pas la volonté d’améliorer les choses », assène-t-il. Que ses détracteurs - ils sont nombreux - n’en doutent pas : Henri Guaino, lui, a le feu sacré.

Du souverainisme au sarkozysme
Sylvain Besson
11 mars 1957 : naissance d’Henri Guaino à Arles, dans le Sud de la France. Il est élevé par sa mère, femme de ménage, et devient économiste.

1992 : il anime la campagne du gaulliste Philippe Séguin contre le Traité de Maastricht et la création de l’euro.

1995 : il inspire la campagne présidentielle de Jacques Chirac sur la « fracture sociale ».

1998-2006 : il connaît sa « traversée du désert ». Lionel Jospin l’évince du Commissariat général au Plan, qu’il dirigeait depuis 1995, tandis que les milieux chiraquiens le boudent.

Mai 2006 : il écrit le discours « pour la France » prononcé par Nicolas Sarkozy à Nîmes. Il oriente ensuite la campagne du candidat dans un sens plus patriotique et plus « social », avec des références appuyées aux grandes figures de la gauche.

Mai 2007 : Henri Guaino devient « conseiller spécial » de Nicolas Sarkozy à l’Elysée.

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Kouchner prolonge la lune de miel entre Paris et Washington
Le ministre effectue sa première visite aux Etats-Unis.
Sylvain Besson
Ce n’est peut-être pas l’amour fou, mais ça y ressemble. Quelques jours après ses déclarations fracassantes sur le risque d’une « guerre » avec l’Iran, Bernard Kouchner a entamé cette semaine son premier voyage officiel aux Etats-Unis. Le ministre des Affaires étrangères y évoquera de nouveau le dossier nucléaire iranien, ainsi que la possibilité d’infliger des sanctions économiques supplémentaires au régime des mollahs.

Cette proposition est appréciée à Washington, tout comme l’inflexion imprimée par Nicolas Sarkozy à la diplomatie française depuis son élection. Car la position plus dure de Paris sur l’Iran s’ajoute à une série de gestes qui, ces derniers mois, ont notablement réchauffé les relations franco-américaines.

Juste après son accession à l’Elysée, Nicolas Sarkozy a fait de l’ancien ambassadeur de France à Washington, Jean-David Levitte, son conseiller à la sécurité nationale. Cette nomination a été interprétée comme un signe de rapprochement avec les Etats-Unis. Mais celui-ci était déjà en cours avant l’élection présidentielle, rappelle Barthélemy Courmont, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques : « Le vrai rapprochement franco-américain date de la réélection de George Bush en 2004, explique-t-il. L’initiative est venue du côté américain. Depuis, il y a eu des rencontres mensuelles, très discrètes, entre les conseillers à la sécurité nationale des présidents des deux pays. »

Changement envers l’OTAN

Au cours de l’été, la France a renforcé sa présence militaire en Afghanistan, sous forme d’instructeurs et d’avions de combat supplémentaires. Puis, le 11 septembre, Paris a franchi un nouveau pas en évoquant un changement d’attitude envers l’Alliance atlantique, dont la France a quitté le commandement intégré en 1966. L’idée d’une défense européenne concurrente de l’OTAN est « dépassée », a déclaré le ministre français de la Défense, Hervé Morin, dans un discours prononcé à Toulouse.

« Nous sommes trop souvent ceux qui chipotent et qui barguignent », a ajouté le ministre en expliquant que les réticences françaises traditionnelles - le général de Gaulle trouvait l’OTAN trop inféodée aux Etats-Unis - avaient réduit l’influence de son pays au sein de l’organisation.

Jusqu’où ira la lune de miel entre la France et l’Amérique ? A Paris, on souligne à l’envi qu’« être allié, ça ne veut pas dire être aligné ». Reste que dans certains cercles - militaires, diplomates, industriels de l’armement - le caractère très visible du rapprochement avec Washington provoque des grincements de dents. « Kouchner a dérapé en parlant de plans d’état-major pour une hypothétique guerre avec l’Iran, soulignent des sources bien introduites dans ces milieux. La France se retrouve soudainement à droite des Américains au moment où les néo-conservateurs battent en retraite. Ça risque de nous poser des problèmes dans nos relations avec les pays arabes. Entre notre politique arabe et ce nouveau discours, il va falloir choisir. »