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La SNCF attaquée pour son rôle dans la déportation

Publie le vendredi 1er septembre 2006 par Open-Publishing
5 commentaires

Justice . La démarche de deux cents familles de déportés contre l’entreprise ferroviaire, après le jugement Lipietz, le 6 juin dernier, suscite des interrogations.

de Sophie Bouniot

L’histoire de France interrogée par la justice, dans ses pages les plus sombres. Aujourd’hui, les requêtes de deux cents familles françaises, israéliennes, belges, américaines et canadiennes vont être envoyées à la SNCF. Leur but : obtenir une réparation pour le préjudice que leur aurait fait subir l’entreprise ferroviaire en participant à leur déportation ou à celles de leurs proches lors de la Seconde Guerre mondiale. Pour ce faire, les requérants vont s’appuyer sur une décision, qui pourrait faire jurisprudence, rendue le 6 juin

dernier par le tribunal correctionnel de Toulouse (Haute-Garonne). Pour la première fois, l’État et la SNCF s’étaient vus condamnés à verser 62 000 euros pour avoir transporté quatre membres de la famille d’Alain Lipietz jusqu’au camp de Drancy en mai 1944. « Une décision historique », dont s’était satisfait le député Vert européen, alors que la SNCF faisait appel (suspensif de la décision) et que nombre de représentants de la communauté juive, d’historiens ou d’avocats critiquaient le non-sens de telles condamnations (lire entretien ci-contre).

Entassés dans des wagons à bestiaux

Selon le jugement administratif, l’État a été reconnu coupable parce que « l’administration française, qui ne pouvait manifestement ignorer que leur transfert était organisé à destination de Drancy, a permis et facilité une opération qui devait normalement être le prélude à la déportation des personnes concernées ». De son côté, la SNCF a été condamnée parce que « la direction de l’entreprise (...) n’a jamais émis ni objection ni protestation sur l’exécution de ces transports ». Autres griefs reprochés aux chemins de fer, le fait d’avoir facturé ces transports « au tarif 3e classe » alors que les gens voyageaient entassés dans des wagons à bestiaux, sans eau, sans nourriture ni sanitaire, parfois trente heures durant.

« La SNCF a fait un calcul économique, détaillent Mes Avi Bitton et Matthieu Delmas, avocats des 200 familles, les wagons des passagers étaient réservés à ceux qui payaient le tarif applicable, les wagons à bestiaux étaient facturés à l’État. Elle n’a pas hésité à sacrifier la dignité humaine pour faire de l’argent. » Et les deux conseils de préciser immédiatement : « Il ne s’agit pas de s’attaquer aux cheminots, dont on connaît le rôle qu’ils ont joué dans la Résistance, mais à la SNCF, personne morale du point de vue juridique, qui a mis des êtres humains dans des wagons pour les bêtes. » Me Yves Batelot, représentant la société nationale, assure que « la SNCF a agi sous le régime de la réquisition, sans possibilité de manoeuvre ». Faux, rétorque Me Bitton : « À la différence de l’État, la SNCF refuse de reconnaître sa responsabilité. Il n’y a aucun document qui prouve qu’on lui a imposé d’utiliser des wagons pour les bêtes. Elle n’obéissait ni à un ordre ni à une contrainte. C’était sa propre initiative. »

Avocat de la Fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes (FNDIRP), Me Alain Lévy est loin de partager cet avis. « Nous avons mis soixante ans à faire reconnaître la responsabilité de l’État, on ne peut pas continuer pendant des dizaines d’années à engager des procédures. Pourquoi alors ne pas attaquer les compagnies de bus qui, comme la SNCF, ont acheminé des déportés ? Ces entreprises étaient réquisitionnées, elles ont agi dans ce cadre. »

Ouverture des archives de la SNCF

Dans la Croix, Henry Rousso, chercheur à l’Institut d’histoire du temps présent, a fustigé la démarche des plaignants. « C’est parce que la SNCF a voulu faire oeuvre de transparence et de devoir de mémoire (...) que cette entreprise a été condamnée. » En effet, au début des années quatre-vingt-dix, confrontée à des plaintes pour crimes contre l’humanité, la SNCF a décidé d’ouvrir ses archives. Or c’est sur la base du rapport de Christian Bachelier de septembre 1996 (1) que les Lipietz, et par extension les deux cents nouvelles familles, se sont basés pour entamer une procédure judiciaire.

La SNCF a désormais deux mois pour répondre aux requêtes. Si elle refusait de le faire favorablement, les tribunaux administratifs seraient saisis pour une procédure longue et complexe. Dans une tribune du Monde du 9 juin dernier, l’historienne Annette Wieworka déplorait « une ligne rouge (qui) a été franchie, une nouvelle voie ouverte à la demande désormais illimitée de réparation ».

(1) La SNCF sous l’occupation allemande, publié par l’Institut d’histoire du temps présent - CNRS, 1996.

http://www.humanite.presse.fr/journ...

Messages

  • J’espère qu’ils verseront les dédommagements aux familles endeuillées pour cause de résistance au nazisme .

    C’est dans la S.N.C.F que s’est trouvé la catérie professionnelle qui a le plus résisté au nazisme avec la liquidation des résistants , la déportation , les totures ...

    Je n’ai jamais entendu dire que ces familles aient exigé des dédommagements .

    • Faut-il rappeler que la SNCF a révoqué les cheminots résistants et les a dénoncés aux autorités de Vichy qui les ont ensuite internés ... ?

      Faut-il rappeler que la SNCF a elle-même transporté ces résistants, dans des wagons à bestiaux, vers les camps ?

      Et elle voudrait aujourd’hui se prévaloir de la résistance des cheminots ....

      C’est un peu comme si Maurice Papon invoquait la résistance de Jean Moulin pour se disculper !

  • Evidemment que ces faits sont terribles !
    Evidemment qu’il est très difficile, voire impossible, de pardonner ces moments de détresse infinie !

    Attaquer papon, les responsables directs me semble tout à fait logique, normal et les faits reprochables à ces personnes physiques doivent être imprescriptibles.

    Mais franchement attaquer la sncf en 2006 me parait TOTALEMENT déplacé.
    JP

    • La société SNCF a fait, sinon des profits, au moins de larges économies, en transportant les familles dans des wagons à bestiaux, afin de continuer à utiliser les wagons normaux pour les passagers normaux ... qui payaient leurs billets eux ... !

      Cet argent sale, indigne, est encore dans les comptes de cette société. Qu’elle le reverse aux survivants des camps et aux enfants des familles massacrées !

  • l’historien-officiel Henry Rousso, qui aura été de tous les mensonges, ne manque pas de culot lorsqu’il affirme dans La Croix que "la SNCF a voulu faire oeuvre de transparence et de devoir de mémoire" : on n’aurait rien su de cet aspect de la réalité si Kurt Werner Schaechter n’avait eu l’excellente idée de photocopier en catimini 12 000 documents (parmi lesquels figuraient des factures adressées par la SNCF à l’Etat français après la guerre), aux archives départementales de la Haute-Garonne.