Accueil > La bande de Gaza et l’obsession du contrôle

La bande de Gaza et l’obsession du contrôle

Publie le vendredi 28 mai 2004 par Open-Publishing

Il y a un an, à Akaba, en Jordanie, George Bush tentait de donner du corps à sa "vision" ambitieuse d’un Etat palestinien à l’horizon 2005 évoquée pour la première fois en 2002. Les Israéliens et les Palestiniens se voyaient remettre une "feuille de route", un plan de paix détaillé en trois étapes pour sortir de l’impasse. Enterrée en quelques semaines, sans que l’administration américaine se mobilise pour la défendre, la "feuille de route" n’est plus aujourd’hui qu’une vague incantation. Elle a été remplacée par un projet de retrait israélien unilatéral de Gaza, soit le démantèlement des colonies israéliennes fichées dans cette étroite bande de terre et l’évacuation de l’armée dévouée à leur protection.

En dépit d’un vote défavorable de son parti, le Likoud, le 2 mai, le premier ministre israélien, Ariel Sharon, espère imposer ce plan à son gouvernement, quitte à le modifier. Il en va de sa survie politique, après plus de trois ans d’un immobilisme dont sa popularité souffre désormais.

Ce plan, qui survient après une décennie d’initiatives diplomatiques régulièrement laminées par la réalité du terrain est accueilli diversement par les deux camps. Vanté par le petit cercle influent regroupé autour du premier ministre israélien comme par l’administration américaine et par la diplomatie britannique, ce projet constitue-t-il l’amorce d’un changement significatif dans une région éprouvée par une "petite" guerre insidieuse et tenace ?

UN TROC TACITE

Le démantèlement d’implantations israéliennes pour la première fois depuis celles du Sinaï, rasées par le même Ariel Sharon, en 1982, la première évacuation israélienne significative depuis l’autonomie des principales villes palestiniennes, entre 1995 et 1997, le ralliement d’une partie du Likoud à la fatalité, sinon à la nécessité, d’un Etat palestinien : voilà autant d’arguments avancés par les optimistes. Ces derniers s’en remettent à un mouvement lent de l’histoire que parachèvera, au-delà de crispations conjoncturelles, la création d’un Etat palestinien souverain. Les pessimistes s’inquiètent au contraire d’un calendrier flou qui pourrait être rendu encore plus incertain par M. Sharon pour qu’il soit acceptable par sa majorité de droite et d’extrême droite.

Ils s’alarment d’un troc tacite : l’abandon du bourbier de Gaza au profit du renforcement de la présence israélienne en Cisjordanie (à l’exception de quatre petites colonies en état de mort clinique.) L’opération engagée du 17 au 24 mai par l’armée israélienne à l’intérieur de la ville de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, vient d’apporter au débat sa part d’enseignements. Elle survenait après la mort de 7 soldats israéliens dans la zone frontalière avec l’Egypte, que contrôle Israël. L’armée considère en effet comme une menace de premier ordre un trafic d’armes assuré selon elle par des tunnels creusés sous la frontière.

Pour maintenir sa capacité de dissuasion après ces pertes et pour régler "une fois pour toutes" (selon le mot d’un porte-parole militaire) ce problème d’approvisionnement, les blindés israéliens ont opéré sans retenue. L’opération pourrait être désormais prolongée par le creusement d’un fossé géant, l’allongement d’un mur d’acier face à une zone urbaine occupée par des réfugiés de 1948, voire l’élargissement d’un no man’s land qui mord irrésistiblement sur les habitations palestiniennes environnantes (1 300 destructions en trois ans).

La leçon principale de l’opération est la réaffirmation d’une volonté de contrôle absolue de la part des Israéliens. Quel qu’en soit le prix humain. Car l’évacuation de Gaza n’aura aucune conséquence pour la zone frontalière vitale de Rafah, qui restera aux mains des Israéliens. Cette volonté de contrôle, jusqu’à l’obsession (jusqu’à présent, rien n’indique que des armes autres que des fusils d’assaut, des munitions et quelques RPG soient parvenus à Gaza), découle de la volonté de M. Sharon de récuser a priori un éventuel partenaire palestinien.

Faute de coopération avec l’Autorité palestinienne, Gaza, même évacuée, restera dans l’orbite de l’armée israélienne, présente sur toutes ses frontières, terrestre et maritime, sans parler de l’espace aérien. On sait les conséquences de la précaution sécuritaire érigée en système. Les bouclages instaurés dans les territoires palestiniens à partir de l’application des accords d’Oslo, en 1994, en ont donné une image assez précise. Elle signifie la poursuite de la destruction économique et la vanité des perfusions internationales déjà sollicitées par les autorités israéliennes.

Le retrait partiel de Gaza, dans ses modalités actuelles, semble donc constituer pour M. Sharon un expédient pour gagner du temps et non pas la preuve d’une conversion à la paix. Il s’inscrit dans sa vision d’un Israël engagé dans une épreuve de longue haleine, dans un environnement irrémédiablement hostile, ne devant compter que sur ses seules forces.

Ce retrait sans conséquences pour la majorité des Palestiniens qui résident en Cisjordanie est tactique plus que stratégique. Dès lors qu’Israël dénie dans le même temps à l’Autorité palestinienne la moindre fonction régulatrice, la manœuvre consacre la victoire du Mouvement de la résistance islamique (Hamas), qui a toujours mis en avant la supériorité de l’affrontement sur la négociation.

Pour ce mouvement islamiste devenu presque plus nationaliste que religieux, l’évacuation limitée de Gaza, après celle du Liban sud sous la pression du Hezbollah, constituera une nouvelle reculade de la première puissance militaire de la région et un exemple pour la Cisjordanie. L’Etat palestinien n’est décidément pas pour demain.

http://www.lemonde.fr/web/recherche_articleweb/1,13-0,36-366471,0.html