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« La colonisation est terminée. La justice tchadienne est compétente »

Publie le vendredi 9 novembre 2007 par Open-Publishing

Article le temps (suisse)

« La colonisation est terminée. La justice tchadienne est compétente »

TCHAD. Les jeunes réagissent aux propos du président Nicolas Sarkozy, qui entend faire juger en France les inculpés de L’Arche de Zoé.

Lemine Ould Salem, envoyé spécial à N’Djamena
Vendredi 9 novembre 2007

Depuis le début de la semaine, ils ont élu domicile dans la cour du Palais de justice de N’Djamena. Du matin au soir, ces jeunes Tchadiens, pour la plupart des étudiants à l’université, ne quittent plus les lieux. Leur objectif ? Exiger le jugement des détenus de L’Arche de Zoé au Tchad et empêcher leur rapatriement en France. Autant dire que quand Nicolas Sarkozy a déclaré qu’il reviendrait à N’Djamena chercher les membres de l’ONG, jusqu’au dernier, pour les ramener, ils ont laissé exploser leur colère.

Jusqu’ici pacifiques, ces jeunes semblent désormais tentés par la violence. Ils ont ainsi caillassé le véhicule transportant le groupe d’avocats français emmené par Me Gilbert Collard, venu organiser la défense des membres de l’association. « C’était chaud. On aurait pu y passer », avoue le sulfureux avocat, dont le groupe a été pris une nouvelle fois à partie après une entrevue avec les détenus à la maison d’arrêt. L’avocat est alors allé à leur rencontre pour dire qu’il comprenait parfaitement leur colère et qu’il condamnait les propos de son président : « Si j’étais Tchadien, j’aurais sans doute été avec vous. Mais la France n’est pas Sarkozy. » Parmi les proches ou les avocats des Européens détenus et même chez des diplomates occidentaux, nombreux sont ceux qui estiment que les jeunes Tchadiens ont raison d’être fâchés après les déclarations du chef de l’Etat français, qui vont créer des difficultés supplémentaires pour la résolution de l’affaire.

« L’Afrique est libre »

Faisant les sentinelles devant la porte principale qui mène vers le cabinet du juge d’instruction, des jeunes s’énervent : « Il faut montrer aux Français que le Tchad est un Etat indépendant depuis le 11 août 1960. La colonisation est terminée. Notre justice est compétente, qu’on la laisse faire son travail et décider librement. Les Français ont fait des fautes au Tchad et ils doivent être jugés ici. Pas en France », explique Mahamat el-Amine, 19 ans, étudiant en droit. « Le temps de la traite négrière est terminé. L’Afrique est libre. Si Sarkozy ne le sait pas encore, on va le lui apprendre », ajoute Ali Mahamat, 20 ans, étudiant en lettres.

« S’il revient, son avion ne pourra même pas atterrir à l’aéroport. Il y aura des milliers de Tchadiens sur le tarmac pour empêcher son avion de se poser », promet Abdelkader Ahmat, 23 ans, lui aussi à la Faculté de droit. « Ce sera la fin de la présence française au Tchad. Partout on chassera les Français éperviers », dit-il, en allusion aux forces tricolores stationnées au Tchad depuis le milieu des années 1980. Quant à leur aîné Farouk Abdallah, ses propos sont encore plus durs : « Ici, ce n’est pas l’Afrique de la forêt où les Blancs sont vénérés comme des dieux. Le Tchad est un pays arabo-musulman qui a une histoire riche et prestigieuse. Ici, les Français sont avant tout des nassaras, c’est-à-dire des chrétiens. Au mieux, on les prend pour des humains, au pire pour des cochons », s’énerve le jeune homme. Quand on leur dit qu’Idriss Déby, le chef de l’Etat tchadien, a évoqué la possibilité pour les Européens d’être extradés et jugés en France, tous rétorquent qu’il ne pourra jamais le faire. Sauf à risquer son pouvoir.