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La fracture sexuelle

Publie le mardi 9 mars 2004 par Open-Publishing

Les 8 mars se suivent et se ressemblent, selon un rituel aussi immuable que
désolant. Chaque année, la Journée des femmes fournit l’occasion de mesurer,
de déplorer, de dénoncer les inégalités entre hommes et femmes, en
particulier les inégalités professionnelles d’autant plus criantes qu’elles
sont formellement interdites par les lois Roudy de 1983 et Génisson de 2001.
Chaque année, les pétitions de principe se multiplient sur la nécessité de
réduire ou, mieux, d’effacer ces disparités. Chaque année enfin, l’on
constate qu’en dépit de ces engagements solennels, la situation n’évolue
guère.

Le scénario est, à nouveau, parfaitement respecté. L’Insee vient de dresser
un constat sévère. Certes, l’univers du travail s’est fortement féminisé en
l’espace d’une ou deux générations : la France compte 12 millions de femmes
actives (46 % de la population active), soit 5,5 millions de plus qu’il y a
quarante ans.

Mais les femmes restent victimes d’une triple inégalité.

Tout d’abord dans l’accès au travail : cela fait des années que le taux de
chômage des femmes est de 2 points supérieur à celui des hommes ; de même,
près d’une femme sur trois occupe un emploi à temps partiel (contre un homme
sur vingt), le plus souvent subi et non pas choisi ; enfin, elles sont
particulièrement touchées par la précarité, puisque 80 % des Français qui
gagnent moins que le smic sont des femmes.

La deuxième inégalité se joue dans l’entreprise. Ainsi, l’écart moyen des
salaires entre hommes et femmes dans le secteur privé ou semi-public reste
depuis deux décennies de 20 % (10 % chez les journalistes du Monde) et les
fonctions hiérarchiques sont, pour les deux tiers, occupées par des hommes
(à cet égard, la rédaction du Monde n’est pas mieux lotie).

La troisième inégalité, enfin, porte sur la répartition du travail
"invisible", mais pourtant bien réel, des tâches domestiques. En dépit de
l’évolution du couple, les hommes continuent à y consacrer deux fois moins
de temps que les femmes (2 h 13 contre 4 h 36 en moyenne, selon l’Insee).

La situation est donc sans ambiguïté. Et le président de la République,
Jacques Chirac, est parfaitement fondé à vouloir faire de l’égalité
professionnelle entre hommes et femmes la "nouvelle frontière de la parité".
Comme est parfaitement légitime la "mobilisation générale" contre ces
discriminations, décrétée par Nicole Ameline, la ministre déléguée à la
parité et à l’égalité professionnelle.

Reste à y parvenir, au-delà de l’incantation. On en est loin. La parité
politique entre les hommes et les femmes, bien qu’inscrite dans la
Constitution depuis quatre ans, peine à entrer dans les faits quand elle
n’est pas obligatoire. La parité professionnelle se heurte à des inégalités
plus subtiles et redoutables, tant elles sont intimes, enracinées dans les
mentalités, inscrites dans la vie quotidienne au travail comme à la maison.
C’est pourtant bien l’application aux femmes des droits de l’homme qui est
en jeu. Il serait temps de l’admettre.

LE MONDE