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La gouvernance unipolaire est illégitime et immorale

Publie le jeudi 15 février 2007 par Open-Publishing
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Intervenant le 10 février 2007 devant la conférence de Munich sur la sécurité, Vladimir V. Poutine a explicitement dénoncé le fantasme états-unien de gouvernance unilatérale du monde comme étant dépourvu de toute base juridique et morale. Il a également vivement critiqué l’OSCE et l’usage subversif par certains États d’organisations qui n’ont de non-gouvernementales que le nom. Nous reproduisons le texte intégral de ce discours majeur qui marque un basculement dans la politique extérieure russe.

Madame la chancelière fédérale,
Monsieur Teltschik,
Mesdames,
Messieurs,
Je vous remercie pour cette invitation à participer à une conférence aussi représentative, qui a réuni hommes politiques, militaires, entrepreneurs et experts de plus de 40 pays du monde.

Le format de conférence me permet d’éviter les formules de politesse superflues et de recourir aux clichés diplomatiques aussi agréables à entendre que vides de sens. Le format de la conférence me permet de dire ce que je pense des problèmes de la sécurité internationale et, si mes jugements vous semblent inutilement polémiques ou même imprécis, je vous demande de ne pas m’en vouloir. Ce n’est qu’une conférence et j’espère que dans deux ou trois minutes Monsieur Teltschik n’allumera pas la « lampe rouge ».

On sait que les problèmes de la sécurité internationale sont bien plus larges que ceux de la stabilité militaro-politique. Ces problèmes concernent la stabilité de l’économie mondiale, la lutte contre la pauvreté, la sécurité économique et le développement du dialogue entre les civilisations.

Le caractère universel et indivisible de la sécurité est reflété dans son principe de base : « la sécurité de chacun signifie la sécurité de tous ». Franklin Roosevelt avait déclaré au début de la Seconde Guerre mondiale : « Où que la paix soit rompue, c’est le monde entier qui est menacé ».

Ces paroles restent valables aujourd’hui. D’ailleurs, le sujet de notre conférence en témoigne : Les Crises globales impliquent une responsabilité globale.

Il y a vingt ans, le monde était divisé sur le plan économique et idéologique et sa sécurité était assurée par les potentiels stratégiques immenses des deux superpuissances.

La confrontation globale reléguait les problèmes économiques et sociaux urgents à la périphérie des relations internationales et de l’agenda mondial. De même que n’importe quelle guerre, la Guerre froide nous a laissé, pour ainsi dire, des « obus non explosés ». Je pense aux stéréotypes idéologiques, aux doubles standards et autres clichés hérités de la mentalité des blocs.

Le monde unipolaire proposé après la Guerre froide ne s’est pas non plus réalisé.

Certes, l’histoire de l’humanité a connu des périodes d’unipolarité et d’aspiration à la domination mondiale. L’histoire de l’humanité en a vu de toutes sortes.

Qu’est ce qu’un monde unipolaire ? Malgré toutes les tentatives d’embellir ce terme, il ne signifie en pratique qu’une seule chose : c’est un seul centre de pouvoir, un seul centre de force et un seul centre de décision.

C’est le monde d’un unique maître, d’un unique souverain. En fin de compte, cela est fatal à tous ceux qui se trouvent au sein de ce système aussi bien qu’au souverain lui-même, qui se détruira de l’intérieur.

Bien entendu, cela n’a rien à voir avec la démocratie, car la démocratie, c’est, comme on le sait, le pouvoir de la majorité qui prend en considération les intérêts et les opinions de la minorité.

A propos, on donne constamment des leçons de démocratie à la Russie. Mais ceux qui le font ne veulent pas, on ne sait pourquoi, eux-mêmes apprendre.

J’estime que le modèle unipolaire n’est pas seulement inadmissible pour le monde contemporain, mais qu’il est même tout à fait impossible. Non seulement parce que, dans les conditions d’un leader unique, le monde contemporain (je tiens à le souligner : contemporain) manquera de ressources militaro-politiques et économiques. Mais, et c’est encore plus important, ce modèle est inefficace, car il ne peut en aucun cas reposer sur la base morale et éthique de la civilisation contemporaine.

Cependant, tout ce qui se produit actuellement dans le monde - et nous ne faisons que commencer à discuter à ce sujet - est la conséquence des tentatives pour implanter cette conception dans les affaires mondiales : la conception du monde unipolaire.

Quel en est le résultat ?

Les actions unilatérales, souvent illégitimes, n’ont réglé aucun problème. Bien plus, elles ont entraîné de nouvelles tragédies humaines et de nouveaux foyers de tension. Jugez par vous-mêmes : les guerres, les conflits locaux et régionaux n’ont pas diminué. Monsieur Teltschik l’a mentionné d’une manière très délicate. Les victimes de ces conflits ne sont pas moins nombreuses, au contraire, elles sont bien plus nombreuses qu’auparavant.

Nous sommes en présence de l’emploi hypertrophié, sans aucune entrave, de la force - militaire - dans les affaires internationales, qui plonge le monde dans un abîme de conflits successifs. Par conséquent, aucun des conflits ne peut être réglé dans son ensemble. Et leur règlement politique devient également impossible.

Nous sommes témoins d’un mépris de plus en plus grand des principes fondamentaux du droit international. Bien plus, certaines normes et, en fait, presque tout le système du droit d’un seul Etat, avant tout, bien entendu, des États-Unis, a débordé de ses frontières nationales dans tous les domaines : dans l’économie, la politique et dans la sphère humanitaire, et est imposé à d’autres États. À qui cela peut-il convenir ?

Dans les affaires internationales, on se heurte de plus en plus souvent au désir de régler tel ou tel problème en s’inspirant de ce qu’on appelle l’opportunité politique, fondée sur la conjoncture politique.

Évidemment, cela est très dangereux, personne ne se sent plus en sécurité, je tiens à le souligner, parce que personne ne peut plus trouver refuge derrière le droit international. Évidemment, cette politique est le catalyseur de la course aux armements.

La domination du facteur force alimente inévitablement l’aspiration de certains pays à détenir des armes de destruction massive. Qui plus est, on a vu apparaître des menaces foncièrement nouvelles qui étaient connues auparavant, mais qui acquièrent aujourd’hui un caractère global, par exemple, le terrorisme.

Je suis certain qu’en ce moment crucial il faut repenser sérieusement l’architecture globale de la sécurité.

Il faut rechercher un équilibre raisonnable des intérêts de tous les acteurs du dialogue international. D’autant plus que le « paysage international » change très rapidement et substantiellement en raison du développement dynamique de toute une série d’États et de régions.

Mme la chancelière fédérale l’a déjà mentionné. Ainsi, le PIB commun de l’Inde et de la Chine en parité de pouvoir d’achat dépasse déjà celui des États-Unis. Le PIB des États du groupe BRIC - Brésil, Russie, Inde et Chine - évalué selon le même principe dépasse le PIB de l’Union européenne tout entière. Selon les experts, ce fossé va s’élargir dans un avenir prévisible.

Il ne fait pas de doute que le potentiel économique des nouveaux centres de la croissance mondiale sera inévitablement converti en influence politique, et la multipolarité se renforcera.

Le rôle de la diplomatie multilatérale s’accroît considérablement dans ce contexte. L’ouverture, la transparence et la prévisibilité en politique n’ont pas d’alternative raisonnable et l’emploi de la force doit effectivement être une ultime mesure, de même que la peine de mort dans les systèmes judiciaires de certains États.

Aujourd’hui, au contraire, nous observons une situation où des pays dans lesquels la peine de mort est interdite même à l’égard des assassins et d’autres dangereux criminels participent allégrement à des opérations militaires qu’il est difficile de considérer comme légitimes et qui provoquent la mort de centaines, voire de milliers de civils !

Une question se pose en même temps : devons-nous rester impassibles face à divers conflits intérieurs dans certains pays, aux actions des régimes autoritaires, des tyrans, à la prolifération des armes de destructions massive ? C’est le fond de la question posée à la chancelière fédérale par Monsieur Lieberman [1] , notre vénérable collègue. Ai-je bien compris votre question (dit-il en s’adressant à Joseph Lieberman) ? Bien entendu, c’est une question importante ! Pouvons-nous assister impassiblement à ce qui se produit ? J’essaierai de répondre à votre question. Bien entendu, nous ne devons pas rester impassibles. Bien sûr que non.

Mais avons-nous les moyens de faire face à ces menaces ? Oui, nous les avons. Il suffit de se rappeler l’histoire récente. Le passage à la démocratie n’a-t-il pas été pacifique dans notre pays ? Le régime soviétique a subi une transformation pacifique, malgré la grande quantité d’armes, y compris nucléaires, dont il disposait ! Pourquoi donc faut-il bombarder et pilonner aujourd’hui à tout bout de champ ? Manquerions-nous de culture politique, de respect pour les valeurs démocratiques et le droit, en l’absence d’une menace d’extermination réciproque ?

Je suis certain que la Charte des Nations unies est l’unique mécanisme d’adoption de décisions sur l’emploi de la force en tant que dernier recours. Dans cet ordre d’idées, ou bien je n’ai pas compris ce qui vient d’être déclaré par notre collègue ministre italien de la Défense [2], ou bien il ne s’est pas exprimé clairement. En tout cas, j’ai entendu ce qui suit : l’usage de la force ne peut être légitime que si cette décision a été prise par l’OTAN, l’Union européenne ou l’ONU. S’il l’estime effectivement, alors nos points de vue sont différents. Ou bien j’ai mal entendu. L’usage de la force n’est légitime que sur la base d’un mandat des Nations unies. Il ne faut pas substituer l’OTAN et l’Union européenne à l’Organisation des Nations unies. Lorsque l’ONU réunira réellement les forces de la communauté internationale qui pourront réagir efficacement aux événements dans certains pays, lorsque nous nous débarrasserons du mépris du droit international, la situation pourra changer. Sinon, elle restera dans l’impasse et les lourdes erreurs se multiplieront. Il faut oeuvrer pour que le droit international soit universel aussi bien dans sa compréhension que dans l’application de ses normes.

Il ne faut pas oublier qu’en politique, le mode d’action démocratique suppose nécessairement une discussion et une élaboration minutieuse des décisions.

Mesdames et messieurs !

Le risque potentiel de déstabilisation des relations internationales tient également à l’absence évidente de progrès dans le domaine du désarmement.

La Russie se prononce pour la reprise du dialogue à ce sujet.

Il est très important d’appliquer les normes juridiques internationales en matière de désarmement, tout en poursuivant la réduction des armements nucléaires.

Nous avons convenu avec les États-Unis de ramener nos charges nucléaires équipant les vecteurs stratégiques à 1700 - 2 200 unités d’ici au 31 décembre 2012. La Russie a l’intention de respecter strictement ses engagements. Nous espérons que nos partenaires agiront en toute transparence, eux aussi, et ne garderont pas sous le coude quelques centaines de charges nucléaires pour les « mauvais jours ». Donc, si le nouveau ministre états-unien de la Défense annonce que les Etats-Unis se garderont de mettre leurs charges excédentaires en stock, ni de les dissimuler « sous un coussin » ou « sous une couverture », je vous demanderai de vous lever pour applaudir ses paroles. Ce serait une déclaration très importante.

La Russie respecte strictement le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et le régime multilatéral de contrôle de la technologie des missiles, et elle a l’intention de les respecter à l’avenir également. Les principes à la base de ces documents revêtent un caractère universel.

À cette occasion, je tiens à rappeler que dans les années 1980, l’URSS et les États-Unis ont signé un Traité sur l’élimination des missiles à moyenne et plus courte portée sans toutefois conférer de caractère universel à ce document.

À l’heure actuelle, toute une série de pays possèdent des missiles de cette classe : la République populaire démocratique de Corée, la République de Corée, l’Inde, l’Iran, le Pakistan, l’État d’Israël. De nombreux autres pays sont en train de concevoir ces systèmes et envisagent d’en doter leurs forces armées. Or, seuls les États-Unis d’Amérique et la Russie restent fidèles à leur engagement de ne pas construire ces armes.

Il est clair que dans ces conditions nous sommes obligés de veiller à assurer notre sécurité.

En même temps, il faut empêcher l’apparition de nouveaux types d’armes de pointe susceptibles de déstabiliser la situation. Je ne parle pas des mesures visant à prévenir la confrontation dans de nouveaux milieux, surtout dans l’espace. On sait que les « guerres des étoles » ne relèvent plus de la fiction, mais de la réalité. Dès le milieu des années 1980, nos partenaires états-uniens ont réussi à intercepter un de leurs satellites.

Selon la Russie, la militarisation de l’espace est susceptible d’avoir des conséquences imprévisibles pour la communauté mondiale, conséquences qui ne seraient pas moins graves que l’avènement de l’ère nucléaire. C’est pour cela que nous avons maintes fois lancé des initiatives visant à prévenir le déploiement d’armes dans l’espace.

Aujourd’hui, je tiens à vous dire que nous avons préparé un projet de Traité sur le non-déploiement d’armes dans l’espace. D’ici peu, nous l’enverrons à nos partenaires en qualité de proposition officielle. Je propose de travailler ensemble sur ce document.

En ce qui concerne les projets prévoyant le déploiement en Europe d’éléments du système de défense antimissiles, ils ne manquent pas non plus de nous inquiéter. Qui a besoin d’une nouvelle relance - inévitable en l’occurrence - de la course aux armements ? Je doute fort que ce soient les Européens.

Aucun des pays dits « à problèmes » ne possède de missiles ayant une portée de l’ordre de 5 000 à 8 000 kilomètres et susceptibles de menacer l’Europe. Mieux, dans un avenir prévisible, leur apparition dans ces pays n’est pas envisageable. Je dirais même plus : une tentative de lancer un missile nord-coréen, par exemple, vers les États-Unis via l’Europe serait contraire aux lois de la balistique.

Profitant de mon séjour en Allemagne, je tiens à évoquer la crise que traverse le Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe.

Signé en 1999, ce Traité était adapté à une nouvelle réalité géopolitique : le démantèlement du bloc de Varsovie. Sept ans se sont écoulés depuis, mais il n’a été ratifié que par quatre pays, dont la Fédération de Russie.

suite : http://20six.fr/basta/art/10229367

http://www.mondialisation.ca/

Messages

  • Le pouvoir d’un seul débouche vite sur l’arbitraitre.Les citoyens devraient s’inquiéter du recul démocratique en Europe.Sarko a déjà remplacé la devise française:Liberté,égalité,fraternité par:Patrie,travail,famille,comme sous vichy !Les gens croient que son discours est nouveau mais ça ne l’est pas.C’est un recyclage des vieilles idées pas forcément démocratiques.

    • Ainsi parlait Poutine

      "Madame la chancelière fédérale, Monsieur Teltschik, Mesdames, Messieurs,

      Je vous remercie pour cette invitation à participer à une conférence aussi représentative, qui a réuni hommes politiques, militaires, entrepreneurs et experts de plus de 40 pays du monde.

      Le format de conférence me permet d’éviter les formules de politesse superflues et de recourir aux clichés diplomatiques aussi agréables à entendre que vides de sens. Le format de la conférence me permet de dire ce que je pense des problèmes de la sécurité internationale et, si mes jugements vous semblent inutilement polémiques ou même imprécis, je vous demande de ne pas m’en vouloir. Ce n’est qu’une conférence et j’espère que dans deux ou trois minutes Monsieur Teltschik n’allumera pas la « lampe rouge ».

      On sait que les problèmes de la sécurité internationale sont bien plus larges que ceux de la stabilité militaro-politique. Ces problèmes concernent la stabilité de l’économie mondiale, la lutte contre la pauvreté, la sécurité économique et le développement du dialogue entre les civilisations.

      Le caractère universel et indivisible de la sécurité est reflété dans son principe de base : « la sécurité de chacun signifie la sécurité de tous ». Franklin Roosevelt avait déclaré au début de la Seconde Guerre mondiale : « Où que la paix soit rompue, c’est le monde entier qui est menacé ».

      Ces paroles restent valables aujourd’hui. D’ailleurs, le sujet de notre conférence en témoigne : Les Crises globales impliquent une responsabilité globale."

      Suite du discours de Poutine a Munich sur http://www.salutpublic.fr/spip.php?article204