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La laïcité doit s’imposer par le dialogue plutôt que par le rejet

Publie le vendredi 16 février 2007 par Open-Publishing
3 commentaires

Chaque semaine, La Croix propose à l’un des candidats de s’exprimer sur la place de la religion dans le débat public Pour Marie-George Buffet, le repli communautaire naît moins du refus de la laïcité que de la violence sociale

Quelle est votre vision de la laïcité, quel rôle attribuez­ vous aux religions dans le débat public ?

MARIE-GEORGE BUFFET : Je suis pour que toutes les pensées phi­ losophiques, toutes les religions puissent exister et s’épanouir sans que la République soit sous la tutelle d’aucune. Les religions peuvent évidemment jouer un rôle dans le débat, notamment en insistant sur leurs valeurs. Mais il y a aussi des droits qui s’appli­ quent pour tous. Par exemple, le droit pour la femme à la maîtrise de son corps est un droit reconnu dans notre pays et j’espère qu’il le sera un jour dans tous les pays européens. Les religions n’ont pas à remettre en cause ce droit.

Quelle portée accordez-vous à un texte comme « Qu’as-tu fait de ton frère », publié par l’Église catholi­ que à l’occasion des élections ?

Lorsque l’Église catholique s’élève contre la chasse aux enfants, cela compte dans l’opinion. Cela témoi­ gne que la résistance à cette chasse aux familles et aux enfants traverse de larges pans de notre société. Cela donne évidemment beaucoup de force à ceux qui se mobilisent, car cette voix représente quelque chose dans la conscience politique des Français. La religion catholi­que fait partie, qu’on le veuille ou non, de la tradition de notre pays. Sa parole, même si elle n’influence plus de la même façon la société, reste écoutée et entendue

Sentez-vous une montée du com­ munautarisme en France ?

La société est violente et cette violence sociale est souvent niée. Par exemple, ceux qui se plaignent de l’usure du travail à la chaîne ont le sentiment que la plupart des gens font mine de croire que ce travail à la chaîne n’existe plus ! C’est cette souffrance sociale qui peut conduire à l’intégrisme, à la recherche d’un groupe qui per­ mette d’exister. Ce besoin d’appartenance existait aussi hier, qu’il passe par une paroisse ou une cellule du Parti communiste…

Certes, mais la situation est bien différente aujourd’hui.

Ceux qui hier s’engageaient dans leur pa­roisse ou au PCF – et parfois les deux à la fois – étaient tournés vers les autres. Maintenant beaucoup s’enferment dans le communauta­risme comme dans un refuge. Ils ne cherchent nullement à changer la société. Ils sont un peu comme les Témoins de Jéhovah qui disaient aux gens des cités : ne votez pas, il n’y a rien à changer dans le monde réel. Cela revient à vouloir se construire un petit paradis avec son petit groupe sans essayer de faire bouger l’ensemble du monde. C’est un renoncement. Voilà bien l’enjeu de la période qui vient : si la politique donne le sentiment qu’elle ne peut plus rien, alors le risque est grand que ceux qui souf­ frent se replient vers la recherche de refuges artificiels

Comment l’islam peut-il trouver sa place en France ?

La création du Conseil français du culte musulman (CFCM) est un dé­ rapage, à l’exact opposé de ce qu’il faudrait faire. Que les musulmans s’organisent, c’est bien ; mais c’est leur affaire. Cela ne peut pas être la représentation officielle, orga­ nisée par l’État, d’une partie de la population. Pour faire avancer les choses, je propose d’abord d’arrêter de stigmatiser l’islam. On ne parle de cette religion que pour la montrer du doigt, à travers l’islamisme, mais ce n’est tout de même pas la seule religion à avoir ses intégristes.

Pensez-vous qu’il faille modifier la loi de 1905 pour accompagner l’installation de l’islam ?

Il est vrai que l’islam n’a pas encore trouvé sa place sur notre territoire. Cela dit, je ne pense pas que toucher à la loi sur la laïcité soit la solution. D’ailleurs, je remarque que ce n’est pas une revendication majoritaire chez les musulmans. Il y a d’autres façons pour les collec­ tivités d’aider l’islam sans toucher à la laïcité. L’argent public n’a pas à soutenir telle ou telle religion. Je pense qu’il ne faut pas traiter l’islam différemment des autres religions, au risque d’ajouter une discrimination à d’autres. Le nom, le lieu ou vous habitez, la ligne RER que vous utilisez… tout cela constitue déjà la triple ou la qua­ druple peine, comme me le disait récemment une femme. Arrêtons donc avec ces stigmatisations car c’est cela qui conduit un individu à s’enfermer dans un groupe en considérant le reste de la société comme un ennemi.

Faut-il des règles pour imposer la laïcité dans les lieux publics ?

Il faut une pratique de la laïcité dans tout ce qui relève de l’espace public : l’école, l’hôpital, les services publics, mais aussi partout dans les entreprises où il y a contact avec le public. Cela ne concerne pas que le voile, mais tous les signes religieux. Mais la laïcité doit s’im­ poser par le dialogue plutôt que par le rejet et c’est pour cela que je n’ai pas voté la loi sur les signes religieux à l’école. Qu’on le veuille ou non, cela a été ressenti comme une loi contre le voile, contre les femmes voilées. Bien sûr, en tant que femme, avec mon itinéraire, je vis le voile comme une blessure. Je me demande toujours si la femme qui le porte est contrainte. Cela, il faut évidemment l’empêcher, mais il y a aussi des femmes qui font le choix du voile. Les femmes ne sont pas des individus inaptes à choisir, à se défendre.

Si c’est leur choix, je le respecte Comment peut-on combattre les tentations communautaristes ?

Si nous vivons ces problèmes de communautarisme et d’intégrisme, ce n’est pas parce que des gens ont pensé qu’il fallait attaquer la laïcité. C’est la société telle qu’elle est qui produit ce repli. Pour défendre la laïcité, il faut donc s’attaquer aux causes et faire en sorte que des hommes et des femmes ne soient plus amenés à chercher dans l’in­ tégrisme la place qu’on leur refuse ailleurs. Reparlons des droits, de l’égalité pour chaque homme et chaque femme quelles que soient sa religion ou sa philosophie. Alors, là, la laïcité s’épanouira.

La Croix du 15 février 2007

Messages

  • à Ploërmel dans le Morbihan, la statue de Jean-Paul II a été installée récemment sur un lieu public (la place Jean-Paul II) et avec une partie de financement public, en infraction avec la Loi de 1905.
    Ce soir, en conseil municpal ; la majorité conduite par le maire Paul Anselin a accepté le don d’une nouvelle statue "offerte" par le sculpteur milliardaire, d’origine Georgienne, Zurab Stereteli.
    Cette fois-ci il s’agit de la "statue de St-Georges terrassant le dragon", toujours sur un lieu public et toujours avec des fonds publics.
    Informations complémentaires sur le site suivant :

    http://collectif-anti-statue-ploermel.over-blog.com/

  • Les religions peuvent évidemment jouer un rôle dans le débat, notamment en insistant sur leurs valeurs. Mais il y a aussi des droits qui s’appli­quent pour tous. Par exemple, le droit pour la femme à la maitrise de son corps est un droit reconnu dans notre pays

    Peut-on débattre de tout avec tout le monde ? Non, sans doute. Par exemple, la bioéthique. Sur l’IVG, sur la recherche sur les embryons et les foetus, les positions des catholiques (des plus conservateurs à Mgr Gaillot inclus) ne sont absolument pas compatibles avec les options prises depuis 30 ans et plus. Je ne vois pas ce que les cathos savent/peuvent dire dans un débat sur le clonage à part "pas d’accord" et je ne vois de quoi on peut débattre avec des gens qui refusent le principe même.

    Autrement dit, pour débattre il faut qu’il y ait un socle commun (ce qui fait que Besancenot peut débattre avec Bové ou Buffet, mais pas avec de Villiers - c’est un exemple). En matière de bioéthique il n’y a pas de base commune entre (par exemple) le Comité Consultatif d’Ethique d’une part, et les catholiques d’autres part. Les uns pensent qu’un foetus peut devenir un être humain, les autres pensent que c’est déjà un être humain. Tant qu’on n’est pas d’accord sur ce point, on ne peut pas être d’accord sur ce qu’on peut en faire... ou pas.

  • Bonjour,

    Je me permets une petite rectification. Je suis Témoins de Jéhovah depuis 24 ans, mes parents l’étaient avant moi et même certains de mes grands-parents. Je peux donc vous affirmer que nous n’interdisons pas du tout aux gens de voter, d’ailleurs je vote moi-même.

    Amicalement,

    YD