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La police aimerait-elle trop les fleurs ?

Publie le vendredi 23 septembre 2005 par Open-Publishing

de Sophie Creusillet

La pièce n’était pas terrible et les quatre copines s’en revenaient du théâtre des Abbesses en devisant joyeusement. Rue de Caulaincourt ce mardi soir, RAS si ce n’est un Indien, vendeur de roses à la sauvette, en pleine altercation avec trois voyous, dont l’un porte négligemment un gros bouquet de fleurs sur l’épaule.Un autre menace le marchand ambulant avec un pic de montagne.

L’incongru piolet, s’avèrera être en fait une matraque télescopique. Une arme d’autodéfense aussi discrète qu’efficace. Le temps de demander en anglais à l’Indien ce qui s’était passé, les trois comparses étaient déjà 50 mètres devant. Anne-Lise Dehée, photographe et bénévole à Médecins du Monde, court à la poursuite des trois lascars, dont une femme d’un mètre quatre-vingt cinq.

L’une des copines, craignant que la cela n’en vienne aux mains, part les rejoindre. Voler des fleurs ! Présenter une matraque au voleur récalcitrant. A un homme qui est probablement sans papiers et qui n’ira pas porter plainte... Peut-on laisser faire sans rien dire ! Ils lui rétorquent qu’ils « ont le droit », laissant subtilement sous-entendre une appartenance aux forces de l’ordre.

Anne-Lise, pas très sûre du statut de ces trois brutes, lance à la cantonade des insultes anti-flics. Sur le chemin du théâtre, trois heures plus tôt, elle avait évoqué Guy Effreye, le jeune Camerounais menacé d’expulsion, les quotas de Sarkozy, la descente musclée à Château Rouge, quartier africain de Paris et l’Oeuf du serpent de Bergman. Les vrais-faux flics descendent la rue de Caulaincourt et décident de faire demi-tour lorsque Lise leur hurle (ils sont plusieurs dizaines de mètres devant) : « un jour c’est vous qui n’aurez pas de papiers ! ».

Son amie, qui court moins vite, la rejoint sur ces mots, la calme, et lui fait rebrousser chemin. Trop tard, des menottes sortent. Les trois voyous sont en fait des policiers en civil. Contrôle d’identité. Aucune loi ne vous oblige à porter un aussweiss pour aller au théâtre à quelques rues de chez vous. « On vous embarque ! ». Pas de brassard, pas de présentation de cartes professionnels. Rien. Anne-Lise se débat. Il ne s’agit plus d’un contrôle d’identité mais d’un outrage. Le motif a changé en un quart de seconde. Ils la menottent. C’est seulement ensuite que la grande fliquette lui fauche les jambes pour la plaquer au sol. Ce qui n’est pas exactement réglementaire...

L’imposante agente de police se fera porter pâle pour quatre jours. Des « coups de pieds au niveau des jambes et des pieds, ainsi que des coups de coudes » l’empêchent d’exercer sa fonction. Au commissariat, elle se plaindra de son poignet avant de changer d’avis : Anne-Lise fait 1,62 m pour 53 kilos. Une bête qui nécessite l’intervention de quatre voitures de police et d’une dizaine de policiers dont certains ont l’air de se demander ce qu’ils font là.

A la terrasse d’un troquet, juste en face, la confusion gagne. Qu’est-ce qui se passe ? Les trois copines expliquent et prennent les numéros de téléphone de tous les témoins. Anne-Lise passera finalement la nuit au commissariat de la rue de la Goutte d’Or où il y a comme un malaise. Air fuyard et coups de téléphone crispés de la part d’un des trois policiers amateurs de roses indiennes, planqué derrière le comptoir. Ses collègues en tenue monte la garde pour que personne ne s’approche. Il refuse de donner son identité et ne se ballade plus avec sa matraque qui, selon une de ses collègue « a sûrement été trouvé sur le vendeur de roses ».

Comme technique de vente, c’est sûr que ça doit marcher ! Les trois grâces de la maréchaussée portent plainte pour outrage et rébellion. Le planton refuse de lui faire passer sa trithérapie. Une prise le matin, une prise le soir. Quand on est séropo depuis 17 ans et qu’on a pris froid sous la pluie, mieux vaut ne pas rater l’heure des Smarties. Mieux vaut aussi ne pas dormir par terre sans couverture. Elle ne verra un médecin que le lendemain midi.

Un médecin qui passera des radios de ses poignets blessés par les menottes. A 15 heures, la convocation en justice est prête à être signée contre libération. Photographe, elle est incapable d’armer son appareil. Son médecin traitant l’a arrêtée pour huit jours.

Pendant que la police offrait le gîte et le couvert à cette dangereuse criminelle, les SMS, les coups de fil, les mails tournaient. Anne-Lise a pour amis de militants aguéris, des personnes souvent équipées d’Internet et rompues aux communications modernes. Et ceux qui n’ont rien de tout ça ? Ceux qui n’ont personne ? Ils vont au tribunal, payent les dommages et intérêts qui arrondiront les fins de mois d’agents de police plus proches du cow boy que du gardien de la paix.

Ce même mardi soir, pendant qu’Anne-Lise s’offrait le luxe de dire qu’elle n’était pas d’accord et qu’elle s’apprêtait à passer la nuit au poste, le fils Galouzeau s’est trouvé mêlé à une altercation « entre deux bandes de jeunes dans les XVI e arrondissement » et embarqué au commissariat. Un coup de téléphone paternel a permis au jeune Arthur de dormir chez lui. C’était quand déjà la nuit du 4 août ?