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La politique vue par les forts en thèmes

Publie le vendredi 19 décembre 2003 par Open-Publishing
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C’est frais ou c’est faux ?
La politique vue par les forts en thèmes

par Guillaume Dupont

Sous le titre "L’extrême gauche s’impose comme une force de renouvellement", Le Monde présentait dans son édition du 29 novembre 2003 les résultats d’un sondage (Le Monde-Cecop-CSA) qui, à en croire le quotidien, "met en évidence le changement d’image de la mouvance incarnée par Arlette Laguiller et Olivier Besancenot".

Le premier reproche que l’on peut faire à cette entreprise de décryptage est qu’elle s’en tient très largement aux images. Selon les auteurs de l’article (Hervé Gattegno, journaliste au Monde, et Jérôme Jaffré du Cecop), l’extrême-gauche est "jugée plus réformiste que révolutionnaire" - deux étiquettes dont on peut se demander à quoi elles renvoient. Qu’en disent les analystes ? Ils sont assez perplexes et citent sans trop de conviction un propos qui se voudrait profond : ""Je suis tellement réformiste que je suis révolutionnaire", expliquait récemment M. Besancenot dans un débat télévisé, sur France 5." Ce qui est sûr, c’est qu’une telle affirmation est tout sauf une "explication".

En même temps, pourquoi se soucier de comprendre la distinction entre réforme et révolution ? En effet, les questions du sondage portaient moins sur un discours, porteur d’un projet politique, que sur des "thèmes" :
"si le thème qui lui est le plus volontiers associé - "la lutte contre les patrons" - ne fait guère recette parmi l’ensemble des sondés, qui le classent au 7e rang dans l’ordre de préférence des dix thèmes cités, l’extrême gauche paraît avoir réussi à préempter la "critique de la mondialisation" et la "lutte contre les OGM -organismes génétiquement modifiés-", respectivement classés aux 2e et 3e rangs."
Comme les "concepts" dont regorgent les études de marché, les "thèmes" politiques jouent un rôle d’interface : d’un côté, il y a ce que les spécialistes de l’opinion publique croient repérer comme une tendance et de l’autre côté, les techniques à l’aide desquelles les spécialistes du positionnement politique espèrent attirer électeurs et sympathisants. Ce sont ces croyances et ces espoirs que vient glorifier un sondage comme celui-ci, sondage dont les analyses révèlent (je sais, vous n’en pouvez plus d’attendre)... que la mouvance LO-LCR "capte les nouveaux thèmes de la contestation à gauche et fait peser une pression sur le PS".

La politique a-t-elle délaissé les projets pour les slogans, a-t-elle quitté le monde du discours et de l’action pour celui de l’image publicitaire et de ses effets de charme ? La lecture d’un seul et unique sondage ne suffit sans doute pas à prononcer une condamnation aussi radicale. D’autant que notre lecture est peut-être un peu rapide. De fait, dans ce sondage, il est aussi question d’idées :
"Une majorité de sondés considèrent, en outre, que l’extrême gauche n’est "pas démocratique" (51 %) et qu’elle apporte "des idées fausses" (52 %) plutôt que "des idées neuves" (30 %). Les sympathisants écologistes (à 46 % contre 35 %) et socialistes (à 44 % contre 40 %) le pensent aussi."
Notons au passage que cette force politique jugée majoritairement "pas démocratique" est celle-là même qui "s’impose comme une force de renouvellement", ce qui nous promet des réveils un peu difficiles. Ajoutons-y l’écart surprenant entre ce qu’annonce le titre de l’article et ce que révèlent les résultats du sondage : si 30 % seulement des sondés répondent que l’extrême-gauche apporte "des idées neuves", qu’est-ce qui permet de dire qu’elle "s’impose comme une force de renouvellement" ?

Mais le plus étrange réside dans la formulation même de la question. Comme souvent, les sondés furent guidés dans leur réponse par un éventail de termes. Dans le cas qui nous intéresse ici, le choix se limitait à deux possibilités :
1) pensez-vous que cette mouvance apporte "des idées fausses" ?
2) pensez-vous qu’elle apporte "des idées neuves" ?
Perplexité du sondé (on le suppose). En effet, couramment, le contraire d’une idée fausse, ce n’est pas une idée neuve. De même que le contraire d’une idée neuve n’est pas une idée fausse. Pour pouvoir répondre correctement à cette question, il faut cependant arriver à déconnecter ces deux termes, "faux" et "neuf", de leur sens courant. Ce qui semble assez difficile.
Ainsi en choisissant, mettons, la première réponse ("des idées fausses"), le sondé laisse de côté deux autres réponses possibles :
- l’une qu’il rejette officiellement, parce que c’est l’autre réponse offerte : "l’extrême-gauche apporte des idées neuves",
- l’autre qu’il ne peut pas ne pas avoir à l’esprit : "l’extrême-gauche apporte des idées vraies".
Aïe ! le mot est laché : des idées vraies. Qu’est-ce que cela signifie en politique ? Plus précisément, quelle place peuvent trouver dans ce domaine les critères de cohérence et d’adéquation au réel, traditionnellement employés pour définir la vérité ? Si cette question mérite d’être posée, c’est que le terme de "vérité" n’est peut-être pas le plus approprié et il faudrait au moins l’articuler à d’autres termes : si l’évaluation d’un projet politique implique l’examen critique de la vérité du discours dans lequel il s’énonce, elle suppose également de s’interroger sur les choix qu’il propose et sur les principes qui peuvent les justifier.

Un tel sondage ne nous y aide pas, c’est peu de le dire. En effet, ce n’est pas en faisant du faux le complémentaire du neuf que l’on pourra y voir plus clair. Cette enquête d’opinion crée une opposition artificielle à laquelle il est bien difficile de donner un sens, sauf à considérer le discours politique comme un produit de consommation parmi d’autres. De ce point de vue, l’adjectif "neuf" est bien choisi : il sonne mieux que le terme "nouveau". Des idées neuves, ce sont pas tant des idées nouvelles que des idées excitantes portées par des gens sympas.
S’il convient de dénoncer ce type de recensements thématiques et l’embrouillamini conceptuel qui va avec, ce n’est pas pour se lamenter sur la fin d’un idéal. C’est pour encourager le développement d’une pensée politique qui articule le souci de la vérité et l’exigence de justice. Loin du "frais ou faux".

Guillaume Dupont, décembre 2003
 http://www.philosophiepolitique.net/representationdossier/fraisoufaux.htm

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Un sondage inepte
18 décembre 2003 - 11h18
 https://bellaciao.org/fr//?page=article&id_article=3734#forum737

Bonjour le site "www.philosophiepolitique.net" a mis en ligne un article sur ce sondage publié par le Monde :

 http://www.philosophiepolitique.net/representationdossier/fraisoufaux.htm

Bonnes lectures

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