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La poste, avant…

Publie le mercredi 12 janvier 2011 par Open-Publishing
3 commentaires

Encore une bonne émission (“ Spécial investigation ”) de Canal+ consacrée à La Poste. Bonne, mais courte : 25 minutes pour traiter de la souffrance au travail et de la privatisation – même quand on montre bien que tout est lié, c’est un peu rapide.

Avec la privatisation des postes en Europe, nous sommes en plein dogmatisme libéral. Rien n’obligeait les Européens à privatiser ces services qui fonctionnaient très bien au temps où les employés s’occupaient simplement d’acheminer le courrier.

Dans l’émission de Canal+, j’ai retenu, en particulier, les interventions de trois personnes :

– la mère d’un jeune postier qui s’était suicidé, les conditions de travail étant largement responsables de cette fin tragique ;

– une employée répondant avec le sourire que, pour elle, tout baignait. On découvrait après quelques secondes qu’elle s’exprimait sous la surveillance de deux sbires de la com’ payés grâce aux impôts des contribuables. La Poste, désormais, c’est la Corée du Nord ;

– une carpette de luxe responsable du développement nous expliquant qu’aujourd’hui on essayait de vendre des porte-clés dans les bureaux de poste, et que, si cela ne prenait pas, demain on proposerait autre chose. Je suggère du jus de carotte lyophilisé. C’est ça le libéralisme : on tente des coups, pas de politique à long terme, la recherche du profit n’importe comment, aucun sens du service du service public.

On le sait, ces dérives scandaleuses ont commencé à la fin des années 1980, sous les socialistes. Le ministre Paul Quilès, polytechnicien, donc fonctionnaire jusqu’au bout des sourcils, impulse l’engrenage fatal de la privatisation et de la défonctionnarisation des personnels. La Poste se sépare de France Télécom pour des raisons “ économiques ”, alors que les télécoms font de somptueux bénéfices. Aujourd’hui, La Poste s’est associée à un fournisseur privé pour vendre du téléphone, en pleine concurrence avec Orange.

La logique de l’avancée inexorable vers le privé est la même que partout ailleurs. L’État se désengage ou annonce qu’il va se désengager, et le service public est contraint de chercher des financements privés en vendant par exemple du sperme d’aurochs en poudre. Le patron de La Poste, aux commandes de cette forfaiture, a un intérêt personnel à ce que cela se réalise rapidement, car s’il est reconduit en tant que patron privé, son salaire sera multiplié par 5 ou 10.

Un témoignage personnel sur “ avant ”. Quand j’étais enfant dans les années cinquante, j’habitais dans le Pas-de-Calais. Mes grands-parents résidaient à 850 kilomètres de là, dans le Lot-et-garonne. Nous n’avions pas le téléphone et correspondions par courrier. Si je postais une lettre tôt le matin, le facteur la leur délivrait le lendemain à 10 heures. Si je la postais un peu plus tard, ils la recevaient le surlendemain. À l’époque, il n’y avait pas d’informatique, pas de TGV, quasiment pas d’autoroutes. Le tri était manuel, la plupart des facteurs faisaient leur tournée à pied. Une très grande majorité des employés étaient fonctionnaires, ils ne subissaient aucun harcèlement, n’étaient pas évalués toutes les 48 heures et n’étaient pas sanctionnés parce qu’ils ne vendaient pas suffisamment de jus de carottes lyophilisé. Bref, ça marchait franchement bien. Le village de mes grands-parents est un chef-lieu de canton de 900 habitants (il en a perdu 200 en 50 ans). Il a perdu également sept ou huit commerces. Et il a surtout perdu son bureau de poste, il y a quelques années. Face à une population constituée pour une grande part de personnes âgées et de citoyens d’origine maghrébine, l’administration postale fut sans pitié. Malgré la présence, l’été, de Roger Louret (né à deux pas) et de ses Baladins en Agenais, le village survit difficilement. La Poste lui a enfoncé la tête sous l’eau.

Il y a une trentaine d’années, il m’a été donné de rencontrer longuement Robert Galley, qui avait été, auparavant, ministre des PTT. Galley fut un homme politique farouchement de droite mais, peut-être parce qu’il avait été un grand résistant (et pas un descendant d’une famille expropriée par l’Armée rouge en 1944), il fit honneur au sens de l’État. Pour lui, être en politique ne signifiait pas, comme pour les avocats d’affaires d’aujourd’hui en mission dans des territoires qu’ils doivent ravager, tuer le service public, mais, au contraire, le faire vivre au service de la collectivité. Il m’expliqua que le budget des PTT était autonome par rapport au budget de l’État. Les communications téléphoniques, la vente des timbres suffisaient à payer les fonctionnaires et à faire tourner cette énorme administration. Pas de surendettement, pas de rachat d’entreprises concurrentes, pas de guichets réservés aux entreprises, pas d’arnaque aux colis envoyés à des prix exorbitants, pas de vente de bureaux de poste et de location de boîtes à chaussures où les personnes âgées font la queue pendant vingt minutes sans pouvoir s’asseoir, pas de “ Banque postale ” (mais on recevait un avis du centre de CCP lors de chaque transaction). Pas de nouvelles tâches imposées aux travailleurs comme le relevé des compteurs de gaz, l’installation de la TNT, la mise en place de dispositifs de téléalarmes pour les personnes âgées, la conception, l’impression et le portage de prospectus publicitaires. Pas d’UPS, pas de DHL.

Le bonheur de lire le mardi midi une lettre que mon grand-père m’avait écrite le lundi matin.

Messages

  • J’ai commencé aux PTT sur le train poste ( ambulants ), affecté sur la ligne de Paris-Bordeaux : à cette époque on recevait pour le départ du train de Bordeaux - Paris à 21 h, le courrier posté dans l’après midi des départements 64,65,40,33 et bien une lettre de Lourdes ou Bayonne pour Nancy ou Lille était acheminée et distribuée le lendemain.
    Aujourd’hui il faut 3 jours ( cherchez l’erreur !...)

    Ensuite j’ai été Receveur , puis j’ai terminé comme Directeur de centre courrier.
    A la retraite depuis 4 ans j’ai vu et subit la dégradation du service postal à/c de 1994 , et à/c du 2001 la destruction complète d’une administration au service de tous .
    La nomination dans les directions de trous du cul sortant de grandes écoles commerçiales ou de grandes banques privées ont crée un climat malsain et criminel pour le personnel.

    Le charentais révolté

    • On ne soulignera jamais assez ce que nous devons aux socialistes qui jouèrent un rôle important pour la privatisation de La Poste. La Loi Quilès-Rocard de 1990 a scellé le sort de deux services publics partie intégrante de la vie quotidienne et de la richesse culturelle de la France.
      Le PS, parti non issu de la Résistance, né dans les années 70 de différentes tendances réunies pour le service exclusif d’un ancien Pétainiste a drainé toute une faune de carriéristes, spéculateurs et autres élites de la haute fonction publique qui nous ont vendus à de nouveaux maîtres : les USA et leur Dollar.
      Quilès a par exemple recruté un cabinet américain pour re...mettre à plat le fonctionnement des services du Personnel (le Personnel est composé de personnes) pour en faire une direction des ressources humaines (l’"humain" doit rapporter à l’entreprise)
      Je suis étonné que La Poste en soit arrivée là sans réaction significative des Personnels en dehors de ses prolétaires : 3000 cadres seulement s’étaient opposés en 1990 à la Loi Quilès.
      A l’heure où certains s’émeuvent à contresens de la pression de l’Etat sur les cultures régionales (l’Etat se désengage et les régions gèrent la pénurie), l’UMPS a détruit tout ce qui se rapproche des idéaux républicains contenus dans le programme de 1943 du CNR : finie l’égalité entre Citoyens dans le même pays, finie la répartition équilibrée des richesses entre les régions, la péréquation tarifaire qui garantit un prix modéré des ex- services publics.
      A ceux qui s’étonnent faussement (en ce qui concerne nos amis de la Gauche non communiste) de la dictature du Capitalisme qui tue en nous la diversité et l’humanisme, je dis il faut être aveugle.

  • Factrice depuis 30 ans, je puis affirmer que nous sommes devenus corvéables à merci . Nous subissons restructurations sur restructurations. Facteurs d’avenirs, égal dépassements quotidien des horaires sans la moindre compensation et un mépris permanent de nos supérieurs . A quand les distributeurs de Prozac dans les bureaux de poste !