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La révolte des jeunes désenchantés d’Athènes

Publie le vendredi 15 mai 2009 par Open-Publishing

« On nous prévient que notre vie sera pire que celle de nos parents. À nous de changer ça. »

de Marc PENNEC

En décembre,la Grèces’enflammaitaprès la mortd’un adolescent.Et l’Europe tout entière découvrait le désarroide sa jeunesse.Chômage, diplômes dévalués, systèmeà bout de souffle.Cinq mois après la révolte,nous sommes retournésà Athènes, avant les élections européennes du 7 juin.

Au carrefour de deux ruelles, dans le quartier étudiant d’Exarchia, il y a un petit autel où brûlent des bougies, nuit et jour. Les murs sont comme le cahier de brouillon d’un adolescent avec graffitis, ratures, injures que le soleil et les pluies fanent. Une phrase murmure : « Nous sommes une armée de rêveurs et pour cette raison nous sommes invincibles. »

Il y a quelques semaines, une foule de jeunes gens tout en noir, anarchistes, autonomes, enragés, y a vissé une plaque. On y voit le visage d’un jeune garçon et ces mots : « Le 6 décembre 2008, sans raison, le sourire enfantin d’un gosse de 15 ans a été éteint par la balle d’un policier qui ne regrette rien. » Ce gosse s’appelait Alexis Grigoropoulos.

Les émeutes qui ont suivi cette mort brutale ont braqué une lumière crue sur le désarroi de toute une jeunesse, grecque et plus largement européenne. Dans l’air d’Athènes comme celui de Berlin, Barcelone, Caen ou Liverpool, tournoie une saleté de malaise. Sentiment de déclassement, impression « d’impasse dans un monde essoufflé, verrouillé par des vieux ». Richard Someritis, éditiorialiste du quotidien To Vima, lui-même sexagénaire, confirme : « La Grèce est effectivement un pays de vieux. Ils tiennent absolument tous les pouvoirs. »

L’appartement est celui d’étudiants, près de la gare Victoria, dans le centre d’Athènes. Désordre sympa où perdre son chat, sodas et cigarettes bon marché sur la table. Astéris s’extrait d’une bruyante partie de backgammon. « Mais oui, ricane-t-il, il n’y a pas de place pour nous dans ce pays ! » Il a 18 ans, une bouille ronde d’ado à la Pete Doherty (rock-star britannique) et prépare l’école des Beaux-Arts.

À côté de lui, Iannis, 20 ans, école de graphisme, ronchonne dans le canapé : « Ici, on se méfie des idées nouvelles. C’est arriéré. Et dire que nous sommes le pays qui a inventé la démocratie ! Depuis la fin de la dictature en 1974, deux familles, les Papandréou (gauche) et les Caramanlis (droite, aujourd’hui aux affaires) se partagent le pouvoir. Il y a une succession de scandales, de la corruption et tout est bloqué. »

Bloqué ? Comme le système d’éducation. « Le lycée n’est pas suffisant pour passer le concours d’entrée à l’université, déplore Richard Soméritis. Alors les parents se saignent pour payer des cours particuliers, des écoles privées. »

Si encore les diplômes ouvraient les portes du travail ! À la sortie de la fac, au mieux ce sont des embauches avec salaires bas de plafond ou la déqualification comme serveurs, vendeurs de pizza ou de téléphones portables. Et voilà la désenchantée « génération 700 € » (le salaire minimum, passé à 740 € début mai) !

Patrick, 19 ans, pensait avoir contourné l’écueil en préparant un diplôme de mécanicien auto. Lui aussi déchante. Depuis quatre mois, il s’ennuie à servir de l’essence dans une station-service pour 700 €. « Travailler comme mécano ? Mais si t’as pas d’expérience, t’es encore moins payé que dans une station-service. Tu ne peux pas savoir comme j’en veux aux patrons ! »

Angélique, 20 ans, préfère regarder au-delà de la Méditerranée et de l’Atlantique. Elle a arrêté ses études, travaille trois jours par semaine dans un bowling, 300 € par mois. « J’ai de la famille aux États-Unis, y paraît qu’on gagne bien sa vie là-bas. Je vois bien ça dans mon futur. » Le goût du départ reprend les jeunes Grecs.

Iannis Maistros connaît bien cette génération « prête à s’enflammer à la moindre étincelle », qui « ne gobe pas tout ce qu’on voudrait lui faire gober », qui « ne se résigne pas ». De tête, il cite les slogans de décembre : « Nous ne paierons pas vos fautes » ou « Notre futur maintenant et tout de suite ». Iannis enseigne l’informatique à l’École polytechnique d’Athènes, celle-là même qui forme les cadres de la nation et abritait le bastion des enragés fin 2008.

Il dit : « Ces jeunes ne sont pas plus idéalistes qu’avant. Ils sont plus durs, plus exigeants. Et c’est de notre faute. Ils attendent tout. Ils n’ont pas eu de privations, pas eu à se battre jusqu’à maintenant. » En écho, Iannis, professeur de gym dans un lycée de la capitale, lâche : « Qu’est-ce que la génération d’avant leur a laissé ? Pas grand-chose et sans doute pas le meilleur. L’envie d’argent, de réussite sociale ? Ils sont perdus, désorientés, sans modèles précis. »

Depuis décembre, Athènes est un tas de braises. Prêtes à rougir au moindre souffle. De loin en loin, il y a de petits attentats. Et des manifestations. Ces dernières semaines, la jeunesse la plus radicale a entrepris de labourer les parkings à ciel ouvert du centre pour les planter d’arbres. Besoin de chlorophylle dans un monde qui étouffe.

 Ouest France du vendredi 15 mai 2009


 Défilé contre le projet d’interdiction du port de la cagoule
lors de manifestations à Athènes, le 4 avril 2009