Accueil > La route vers l’enfer

La route vers l’enfer

Publie le dimanche 19 février 2006 par Open-Publishing

de HUBERT HEYRENDT

Avec "Road to Guantanamo", Michael Winterbottom signe une oeuvre forte et engagée.Il retrace le parcours de trois jeunes Anglais jusqu’à la prison de Guantanamo.

En 2003, Michael Winterbottom empochait l’Ours d’or à Berlin avec "In this World", qui décrivait de manière hyperréaliste le voyage de deux réfugiés afghans jusqu’à Londres. Avec "Road to Guantanamo", l’Anglais fait la route en sens inverse en retraçant au sein d’un docu-drama passionnant le parcours des "trois de Tipton", trois jeunes Anglais d’origine pakistanaise dont le retour au pays pour le mariage de l’un d’eux les mènera finalement dans l’enfer de la prison américaine de Guantanamo Bay. Avant d’être libérés après deux ans et demi de détention. Un film utile au moment où un rapport de l’Onu a condamné les pratiques américaines à Cuba.

Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce film ?

J’ai vraiment été choqué quand les Américains ont « inventé » Guantanamo à Cuba afin d’échapper aux lois américaines et de pouvoir emprisonner des gens sans aucune contrainte légale, sans procès. Quand Asif et ses camarades ont été libérés, je me suis dit que c’était une histoire incroyable. Nous les avons rencontrés un mois ou deux après. Nous leur avons simplement demandé s’ils voulaient nous raconter leur histoire. Et trois ou quatre semaines plus tard, on commençait les interviews.

Comment se sont déroulées ces interviews ?

Au début, c’était amusant parce qu’ils racontaient leur histoire comme des vacances, parlant de la bouffe, des maladies... C’était juste trois adolescents qui se rendaient à un mariage, pas ces terroristes pour lesquels on a construit une prison spéciale. S’ils étaient croyants avant le départ, ils sont devenus religieux en traversant l’horreur. En survivant à cette épreuve, ils ont retiré quelque chose.

Finalement, c’est cette expérience qui les a conscientisés...

Evidemment. Il est clair que ce n’est pas en bombardant au nom de la démocratie, en réprimant la religion que l’on arrive à quelque chose. Cela ne fait que radicaliser les gens...

Quel est votre but ?

Je veux quelque chose de concret, que l’on sorte de ce film en se disant qu’il faut fermer cette prison. Même si l’on n’aime pas l’idée de mélanger archives, interviews et reconstitution, c’était la meilleure manière de raconter leur histoire. Nous voulions qu’ils soient dans le film pour que l’on puisse voir à quoi ils ressemblent. Mais nous voulions aussi que ce soit vivant ; c’est pourquoi nous avons opté pour la reconstitution. Ce n’est peut-être pas une forme cinématographique très élégante mais c’était la bonne dans ce cas. Je voulais être le plus efficace possible parce que Guantanamo est toujours là. Ce n’est pas un film historique. Pour 500 personnes, Guantanamo est toujours une réalité. Tant que les Américains ne prendront pas la décision de fermer cette prison, ils souffriront les mêmes horreurs qu’Asif et les autres ont subies.

Le film mélange images d’archives et recréation mais, parfois, la frontière entre les deux semble s’effacer...

On a utilisé les images d’archives pour expliquer simplement ce qui se passait en Afghanistan, pour rappeler le contexte dans lequel évoluaient ces trois individus. C’est vrai que les reconstitutions sont visuellement assez proches d’images réelles. Cela permet de garder à l’esprit que cette histoire est vraie, que ce n’est pas une fiction.

Dans le film, les interrogatoires de l’armée américaine apparaissent presque surréalistes...

A Guantanamo, on a perdu tout sens de la réalité. Et encore, ces trois-là avaient de la chance parce des charges spécifiques étaient retenues contre eux. Ils ont pu prouver facilement qu’elles étaient fausses. Mais pour ceux qui ne sont accusés de rien en particulier, il est impossible de se défendre...

http://www.lalibre.be/article.phtml...