Accueil > La sensibilité imposée

En 1962, c’était la Mauritanie la première à recevoir les foudres du palais royal. En 1963, l’Algérie, à peine relevé d’une longue guerre contre le colonialisme français, encaissait l’agression des forces armées royales. Un poignard dans le dos de la jeune république. En 1975, c’était au tour du peuple sahraoui de subir les conséquences de la néfaste politique alaouite.
Les revendications marocaines sur la Mauritanie n’ont pas empêché celle-ci d’accéder à l’indépendance et le Maroc a fini par y renoncer. Idem pour la partie algérienne revendiqué par Rabat. Parce que l’Algérie est un grand pays avec plus de 30 millions d’habitants. Une proie difficile. Dans les deux cas précédents, il n’a jamais été question de parler de "sensibilité" envers la Mauritanie ou envers Tindouf. Cette prétendue sensibilité est, en fait, née, en 1975 lors de l’invasion du Sahara Occidental. Etant donné que le nombre d’habitants de ce pays ne dépasse pas le démi-million, le Maroc va s’y accrocher et devenir, soudain, très sensible à ce territoire si désertique, mais aussi si riche en resssources naturelles. Un immense territoire de cailloux qui n’aurait jamais eu les honneurs du royaume chérifien s’il n’avait pas autant de phosphates de la meilleure qualité et une richesse halieutique unique dans la région. C’est cette immense richesse qui a poussé le régime à parler de sensibilité. En réalité, c’est une fixation pour le Sahara. Une fixation élevée à la puissance obsessionnelle. Cette réalité économique qui crève tous les strabismes politiques a été convertie par le régime en un enjeu géostratégique qui va être dissimulé et présenté sous le faux nom de "sensibilité marocaine", "consensus", "unanimité", envers la question du Sahara.
Pourquoi cette sensibilité n’a pas poussé le Maroc à se battre pour la Mauritanie et Tindouf ? Ne disait-il pas qu’elles faisaient partie intégrante du Grand Maroc ? La légitimité des revendications marocaines aurait pu être renforcée si le Maroc s’était accroché à récupérer ces deux territoires aussi.
Aujourd’hui, la résistence du peuple sahraoui a converti les rêves marocains en cauchemar. Les autorités marocaines se sont enfin rendu à l’évidence : La solution, il faut pas la chercher en algérie. Elle est entre les mains du peuple sahraoui. Tous les calculs doivent être basés sur cette réalité longtemps occultée au peuple marocain. Celui-ci en a vu de toutes les couleurs. D’abord on lui dit que ceux qui s’en prenaient aux forces armées royales étaient des algériens, ensuite des vietnamiens, des coréens, des mercenaires à la solde de l’Algérie… Plus de 30 ans après, le peuple marocain commence enfin à entendre une partie de la vérité, même si ses dirigeants continuent à jouer les autruches en s’accrochant à leur mirage de l’autonomie, comme pour mieux se mettre la tête dans le sable.
Pendant plus de trois décennies, l’intérêt des peuples de la région est resté au congélateur à cause de l’agressivité du régime marocain. C’est là que réside le nœud de tous les problèmes de ce coin de l’Afrique. Cette triste réalité a été suffisamment dite et répétée à qui veut l’entendre.
Cette sensibilité est, en réalité, un piège dans lequel est tombée toute la classe politique marocaine. C’est pourquoi il est pertinent de rappeler le rôle du conflit sahraoui dans le rééquilibrage du système politique marocain en engendrant un consensus politique et conduisant à la réinsertion des partis d’opposition.
Le thème de l’intégrité territoriale était contenu dans le programme des principaux partis politiques, y compris ceux de l’opposition. Cette question représenta une grande opportunité pour la monarchie, dans la mesure où elle a été un vecteur de cohésion, et eut pour conséquence de rassembler l’ensemble de la société civile et des forces politiques du pays. Celles-ci ont revendiqué avec virulence le Sahara occidental sur la base de l’unité et de l’intégrité du pays. Ce consensus eut pour effet d’engendrer une ouverture du régime vis-à-vis des partis d’opposition ; toutefois elle s’exerça de manière contrôlée. A titre d’exemple, le parti UNPF-Rabat, interdit à la suite du complot de mars 1973, retrouva son statut légal. De la même façon Ali Yata, leader du parti communiste suspendu, fut autorisé à créer une nouvelle formation baptisée sous le nom de Parti du progrès et du socialisme (PPS). Par ailleurs, la presse des partis d’opposition réapparut, même si elle fut restreinte et soumise à certaines conditions.
Au sein de la classe politique marocaine actuelle, seul le parti La Voie démocratique soutient le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. Ce parti a pris publiquement position en faveur de l’indépendance du peuple sahraoui. En réaction, l’Association Sahara marocain a demandé la condamnation de ce parti politique pour non-respect de la Constitution marocaine conformément à la loi en vigueur qui interdit de remettre en cause la marocanité du Sahara occidental.
Cela montre que la sensibilité dont parle les médias officiels marocains est une sensibilité imposée par l’Etat. Personne ne peut s’opposer à la "marocanité" du Sahara. Le peuple marocain n’a pas le droit de se prononcer en faveur de son frère, le peuple sahraoui. Aux yeux de l’Etat, il a le droit de le combattre avec l’armée, à le réprimer, à le torturer et à le jeter en prison, mais surtout pas question d’être tendre avec lui.