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La "tournée" de Naoto Matsumura en France : un suicide radioactif à l’honneur ? 

par Coordination Stop Nucléaire

Publie le vendredi 10 janvier 2014 par Coordination Stop Nucléaire - Open-Publishing
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Naoto Matsumura surnommé « Le dernier homme de Fukushima  » doit se rendre dans l’Est de la France à l’invitation de certains groupes antinucléaires en mars 2014.

Naoto Matsumura a fait le choix de vivre en zone interdite à quelques kilomètres de la centrale de Fukushima, afin de s’occuper des animaux domestiques et d’élevage laissés seuls suite à l’évacuation des habitants de ce territoire après la catastrophe nucléaire.

Nous ne connaissons pas Naoto Matsumura. Nous n’avons jamais échangé avec lui. Nous n’avons pas à juger d’un choix de vie individuel, celui de demeurer seul, là où il est soumis à des taux de radioactivité mortels à plus ou moins longue échéance.

Par contre, nous, membres de la Coordination Stop-Nucléaire qui nous prononçons pour l’arrêt immédiat du nucléaire et dénonçons les effroyables conséquences des catastrophes nucléaires sur l’être humain, sommes plus qu’étonnés par la teneur des discours qui accompagnent sa « tournée » en France et devant le Parlement Européen. (1)

Nous pensons que cette mise en scène va à l’encontre de tout ce que nous dénonçons, qu’elle est contre-productive, voire même dangereuse. Nous voulons ici alerter sur l’utilisation qui ne manquera pas d’en être faite par les médias et le lobby nucléaire. Nous nous interrogeons aussi sur les motifs qui pourraient être à son origine.

Le discours d’Antonio Pagnotta, initiateur de ce projet, mérite qu’on s’y attarde. Face au désastre nucléaire, face à la réalité des taux de radioactivité dans la zone interdite qui engendreront tôt ou tard des pathologies graves pour Naoto Matsumura ou quiconque serait encouragé à suivre son exemple et à s’installer et vivre dans cette zone, il est opposé par Antonio Pagnotta une notion de « résistance » basée sur des valeurs morales, sacrificielles (2), spirituelles et nationalistes.

Tout d’abord, ce sont des valeurs de « courage » qui sont mises en avant. Pénétrant dans la zone interdite pour aller rendre visite à Naoto Matsumura, Antonio Pagnotta lui-même enlève son masque (3). Pour mieux aller tutoyer la mort ? Flirter avec le danger ? Ressentir le grand frisson ? Et au final montrer qu’il vaut mieux aborder le monstre radioactif à visage découvert, sans protection : « Quand le désastre arrivera, il faudra se battre à mains nues, et il faudra faire appel à ce qu’on connaît de mémoire archaïque, c’est à dire la spiritualité  ». (4)

Il est inconscient de suggérer que le monstre radioactif pourrait être affronté ainsi, sans protection et qu’il serait possible de le vaincre grâce aux seules forces intérieures de sa spiritualité. Comment ne pas penser aux liquidateurs de Tchernobyl qui ont « nettoyé » la zone contaminée. On ne « résiste » pas à la radioactivité par la simple force de son esprit.

Dans les textes et vidéos d’Antonio Pagnotta, il est également question de dignité, et d’honneur (5) au nom desquels « Le dernier homme de Fukushima  » aurait refusé l’évacuation, pour ne pas devenir un paria, un pestiféré. Notons que le système de ségrégation qui produit ces parias n’est pas pour autant remis en cause. S’il s’agit, là encore, d’un choix individuel qui regarde Naoto Matsumura, quand Antonio Pagnotta le décrit comme une forme de combat, nous pensons qu’il s’égare. Naoto Matsumura se trouve au contraire dans l’impossibilité de combattre. Il a choisi de rester. Il constitue un exemple de la soumission qui nous sera demandée à la prochaine catastrophe, lors de la non-évacuation ; soumission aux effets irréversibles de la radioactivité et aux diktats du lobby nucléaire international selon lequel la vie en territoire contaminé est non seulement possible, mais souhaitable moyennant quelques petites précautions.

Et puis, dans la kyrielle des notions judéo-chrétiennes et morales mises en avant par Antonio Pagnotta pour justifier le choix de Naoto Matsumura, on trouve la compassion envers les animaux. Il ose même la comparaison entre la perte d’un animal et la perte d’un « être cher » la qualifiant de « catastrophe émotive » (6). Naoto Matsumura, aurait ainsi, « grâce » à la catastrophe nucléaire, trouvé « un sens à sa vie » : « Matsumura montre au monde que la compassion est nécessaire après une catastrophe. Faire survivre les animaux, c’est aussi faire acte d’humanité » (7).

D’après Antonio Pagnotta, « Il a surmonté sa peur du spectre nucléaire. La perte de sa dignité lui coûtait plus que la perte de sa santé, ou de sa vie » (8) ...« Nous serons confrontés aux mêmes choix et nous devrons surmonter nos peurs ». Cet appel à surmonter la peur du nucléaire n’est pas acceptable car il ne fait que servir le point de vue du lobby nucléaire : la peur de la radioactivité serait à dominer car relevant d’une phobie irrationnelle.

Cette idée d’un « spectre irrationnel du nucléaire » n’est pas neuve : on se souvient du travail du lobbyiste pro-nucléaire Maurice Tubiana qui, en 1958, expédiait un rapport à l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) proposant la psychiatrie comme explication des effets néfastes de la radioactivité (9), et avant de mourir, publiait récemment un livre intitulé « Arrêtons d’avoir peur ! », pour nous inviter à mettre la tête dans le sable concernant les OGM, les ondes, le nucléaire, etc. Ceci rejoint également le sulfureux professeur Sunichi Yamashita : « si vous ne souriez pas, les radiations auront un effet sur vous ». (10)

Nous pensons au contraire que cette peur est légitime, qu’il n’est pas question de la « surmonter », mais bien de la libérer. Elle doit nous pousser à agir contre le nucléaire, maintenant, et pas après la catastrophe.

Il n’y a rien de mystique ou d’irrationnel à craindre les conséquences d’une catastrophe nucléaire : le nucléaire n’est pas un « spectre ». Les dangers en sont bien réels : les gens, les enfants, les animaux sont irradiés, la radioactivité entre dans la chaîne alimentaire, se retrouve dans le sol, dans l’air, dans l’eau, et les gens, les enfants, les animaux développent des pathologies, leur génome se détériore, leur vie est dégradée. Globalement, la plupart des êtres soumis à la radioactivité meurent plus vite.

Un autre argument d’Antonio Pagnotta, et qui nous paraît plus que suspect, est celui de la « survie » de la nation. « A Fukushima, le Japon joue sa survie, son existence même en tant que nation », ou encore « le gouvernement nippon a appris à ses dépens une dramatique leçon de Fukushima... Il va falloir accepter la radioactivité... ». (11)

C’est à peine croyable : d’où Monsieur Pagnotta peut-il bien tirer la conclusion que le gouvernement japonais aurait appris quoi que se soit, à part maintenir les réfugiés dans des logements provisoires depuis presque trois ans, à part refuser de les dédommager s’ils veulent partir, à part nier les conséquences de la radioactivité et à part faire s’écouler des milliers de tonnes d’eau radioactive dans le Pacifique ?

Le gouvernement japonais veut faire revenir les réfugiés en zones contaminées. Le gouvernement japonais veut rouvrir les réacteurs au Japon et, faisant partie de la grande famille internationale des nucléocrates, s’emploie tout comme la France, à faire la promotion de son « savoir-faire » nucléaire à l’étranger.

Et Naoto Matsumura d’être présenté comme quelqu’un qui sauverait « la dignité de sa ville et de tout le Japon » (12) : un nouveau « martyr » à la gloire de la nation japonaise ? Comme les kamikazes de la 2ème guerre mondiale envoyés à la mort pour l’honneur et la survie de l’empire ? Alors que ceux qui ont choisi de fuir la radioactivité sont considérés comme des traîtres à la nation ?

Nous pensons que cette théâtralisation de Naoto Matsumura, victime pourtant bien réelle de la catastrophe nucléaire de Fukushima, qui le montrerait comme une sorte de « héros » des temps modernes face à la technologie nucléaire, mais aussi comme un « martyr » seul face à TEPCO, va à l’encontre de nos objectifs dans la lutte contre le nucléaire.

Le choix personnel de Naoto Matsumura s’apparente à un suicide programmé et visiblement assumé. Nous pensons que l’ériger en exemple et faire l’apologie d’un comportement suicidaire sont irresponsables.

Allez ! Un peu de courage, de dignité, de l’honneur, une pincée de spiritualité et de compassion et le tour serait joué. Se sacrifier pour sauver la dignité de son pays, la condition humaine et la condition animale, quelle belle mort !

Mais revenons un instant sur Antonio Pagnotta, auteur de « Le dernier homme de Fukushima », ouvrage que nous n’avons décidément aucune envie de nous procurer au vu de ses déclarations et vidéos (13), et metteur en scène de cette « tournée ».

Le moins qu’on puisse en dire est qu’il est peu regardant sur ses fréquentations quand il s’agit de faire sa promotion. Pourquoi a-t-il jugé utile de participer à un séminaire en septembre 2012 organisé à Sciences-Po Paris, par l’IDDRI (Institut du Développement Durable et des Relations Internationales) dont la présidente n’est autre que Laurence Tubiana, facilitatrice du débat sur la transition énergétique et qui ne laisse aucun doute quant à ses convictions sur la question nucléaire : « Le nucléaire est encore avec nous pour longtemps, quelles que soient les décisions qui seront prises après 2017 » (14) ? Cette même Laurence Tubiana explique également que : « … la sûreté et la sécurité dans centrales... relèvent de la responsabilité… d’un débat citoyen. Le risque pris doit être pleinement accepté par la société... » (15)

Ce séminaire était organisé dans le cadre du projet DEVAST (16) dont le coordinateur, François Gemmene déclare dans la même veine que : « Tous savent qu’il est illusoire de vouloir sortir du nucléaire. Mais il faut que le mensonge s’arrête, et que ce débat cesse d’être confisqué aux citoyens ». (17)

Sur le but affiché de ce projet, Reiko Hasegawa, chargée d’étude, quant à elle, précise : « La question c’est comment augmenter la transparence de la part de l’autorité pour la gestion de crise surtout pour l’accident nucléaire et comment la population peut participer à cette décision politique. Ca c’est vraiment la question clé après la catastrophe. » (18)

N’est-ce-pas exactement ce que recherchent nos autorités nucléaires, ASN et IRSN, dans la définition du CODIRPA : « Dans le cadre du programme de gestion post-accidentelle : le processus de décision en période de transition évolue vers un mode concerté et participatif, associant les populations concernées, les acteurs économiques, les associations et les élus locaux » ? (19)

Antonio Pagnotta ignore-t-il tout des motivations de ce genre de colloques ou en fait-il consciemment le jeu ? Dans les deux cas, quelle aubaine pour tous les « gestionnaires » post-catastrophe que l’exemple de Naoto Matsumura, cet homme qui a fait le choix de rester en zone interdite, et « d’ [en] accepter… le risque ». A ce propos, un récent article de l’« expert nucléaire » de Greenpeace Belgique a du également les réjouir au plus au point. Il s’y vante d’avoir permis à une agricultrice de rester sur sa ferme à 45 km de la centrale de Fukushima grâce à l’utilisation d’un appareil de mesure mis au point par Greenpeace. (20)

Oui, vraiment, de quoi réjouir tous les promoteurs de la « gouvernance », de la « démocratie participative », du « débat populaire », tous ceux qui cherchent à ce que les « citoyens » deviennent « parties prenantes », acteurs consentants dans la tragédie qui leur est imposée, pourvu que le nucléaire soit « transparent », les manquements à la sûreté punis, mais surtout, surtout qu’il ne soit pas question d’y mettre fin.

Yannick Rousselet, chargé de la question du nucléaire au sein de Greenpeace France ne dit rien d’autre à la sortie de la conférence nationale des CLI, ce 11 décembre 2013 : « Nous sommes des alliés objectifs [ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) et membres des CLI (Commissions Locales d’Information)] sur la sûreté et la transparence... Tout le monde y gagne dans ces lieux d’échange pluralistes, … Ils sont un outil très intéressant de démocratie et de débat. » (21)

Que des antinucléaires réputés actifs dans la lutte soutiennent la « tournée » de Naoto Matsumura en France sans aucune réticence et sans en apprécier les conséquences ne laisse rien présager de bon quant à l’élaboration de stratégies pour l’arrêt du nucléaire.

Il n’est pas responsable de succomber aux sirènes d’une médiatisation facile sans réfléchir aux messages que les médias et le lobby nucléaire vont se faire un plaisir de relayer, et aux buts qu’on cherche à atteindre.

Pourquoi les nucléocrates se priveraient-il de saisir la perche qui leur est tendue et de faire passer les antinucléaires pour une bande d’« allumés mystico-délirants », défenseurs de la cause animale et soutiens à de nouvelles idoles : Naoto Matsumura, le « buddha de Fukushima » (22) ; Ren Yabuki qui fera partie de la tournée française, le « Christ des mouches » (sic) (23), présenté comme « potentiellement un leader, un chef dont le mouvement écologiste ... du Japon a besoin dans les années qui arrivent. » (24). Pourquoi se priveraient-ils d’une nouvelle occasion de décrire les antinucléaires comme une bande d’arriérés irrationnels qui refusent le progrès ?

Mais hélas, le délire ne s’arrête pas là, car en toute humilité, la venue de Naotoa Matsumura est présentée comme « une inspiration » et une « amplification de tous les projets antinucléaires en cours » (25). Rien que ça !

Et bien nous, nous n’avons aucune envie d’être « inspirés », ni que notre parole soit « amplifiée » par ce qui suit :

« Naoto rêvait les yeux ouverts. Il réfléchissait à son grand projet : ramener Tomioka à la vie. Sa rencontre avec Masamichi Yamashita de l’agence spatiale japonaise lui avait ouvert des horizons inconnus. Le chercheur avait mis au point des méthodes pour réduire les déchets organiques à un pour cent de leur volume ; une méthode utile dans les vaisseaux ou stations spatiales en orbite. Dès les premières semaines du désastre nucléaire, le docteur Yamashita avait imaginé utiliser les technologies de l’espace pour la décontamination. ...Le projet que voulait développer Matsumura était la base de toute civilisation : un noyau de vie autour duquel la ville pourrait recommencer à vivre, la ferme originelle. Le petit village minuscule qu’avait été Tomioka dans la nuit des temps pourrait ainsi être recréé, première étape nécessaire au retour de la civilisation. » (26)

Finalement, avec tout ce que ce discours comporte de délirant, de nauséabond, ou tout simplement d’inconscient, on se dit que si certains voulaient saborder la lutte antinucléaire, ils ne s’y prendraient pas autrement !

Le 7 janvier 2014,
Coordination Stop Nucléaire.
http://www.coordination-stopnucleaire.org

Références :
(1),(11)http://www.ledernierhommedefukushimaafessenheim.com/index.php/le-voyage/pourquoi-soutenir
(2),(4)http://www.dailymotion.com/video/xy3yv2_antonio-pagnotta-matsumura-le-dernier-homme-de-fukushima_news?from_related=related.page.int.meta2-only.ee6ad4d444e91a236c9fc8121ae2c0a7138694800
(3)http://www.dailymotion.com/video/xs5gd7_le-dernier-homme-de-fukushima-entretien-avec-le-photoreporter-antonio-pagnotta_news
(5),(12)http://www.dailymotion.com/video/xy3yv2_antonio-pagnotta-matsumura-le-dernier-homme-de-fukushima_news?from_related=related.page.int.meta2-only.ee6ad4d444e91a236c9fc8121ae2c0a7138694800
(6)http://www.ledernierhommedefukushimaafessenheim.com
(7)http://www.youtube.com/watch?v=97DlzzVJgJI
(8)http://www.ledernierhommedefukushimaafessenheim.com/index.php/le-voyage/la-peur-de-l-irradie
(9) Rapport technique pour l’OMS n°151 « Questions de santé mentale que pose l’utilisation de l’énergie atomique à des fins pacifiques », 1958,http://apps.who.int/iris/bitstream/10665/37054/1/WHO_TRS_151_fre.pdf
10)http://www.spiegel.de/international/world/studying-the-fukushima-aftermath-people-are-suffering-from-radiophobia-a-780810.html
(13) bien qu’il figure sur la liste cadeaux de Noël du réseau sortir du nucléaire http://boutique.sortirdunucleaire.org
(14)http://www.la-croix.com/Actualite/France/Laurence-Tubiana-Nous-pouvons-enfin-sortir-des-debats-convenus-sur-le-nucleaire-ou-le-gaz-de-schiste-2013-03-28-926229
(15)http://www.alternatives-economiques.fr/le-monde-d-apres_fr_art_1088_53946.html
(16),(18) DEVAST : Disaster Evacuation and Risk Perception in Democracies www.terre.tv/fr/5060_le-projet-devast
(17)http://www.terraeco.net/Pour-que-les-choix-energetiques,16850.html
(19) page XIX « Elements de Doctrine pour la Gestion Post-accidentelle d’un accident nucléaire », par le Comité directeur pour la gestion de la phase Post-Accidentelle d’un accident nucléaire, oct 2012 : http://www.asn.fr/index.php/Bas-de-page/Sujet-Connexes/Gestion-post-accidentelle/Comite-directeur-gestion-de-phase-post-accidentelle/Elements-de-doctrine-pour-la-gestion-post-accidentelle-d-un-accident-nucleaire-5-octobre-2012
(20)http://www.greenpeace.org/belgium/fr/actualites-blogs/actualites/fukushima-toujours-en-cours
(21)http://www.lagazettedescommunes.com/212187/les-cli-ont-un-peu-le-blues-mais-beaucoup-denvies
(22)http://www.youtube.com/watch?v=LAaQkUoh4wU&list=PL2B060D6068D16AC1&index=2
(23)http://www.ledernierhommedefukushimaafessenheim.com/index.php/presentation-de-l-equipe-du-projet/ren-yabuki
(24),(25)http://www.ledernierhommedefukushimaafessenheim.com/index.php/le-voyage/faq3
(26)http://www.ledernierhommedefukushimaafessenheim.com/index.php/l-association-et-le-projet-de-naoto/decontaminer-la-region

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