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Lassitude de l’extrême-droite cubaine à Miami - Posada Carriles - Les Cinq.

Publie le mardi 15 avril 2008 par Open-Publishing
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D’après le Monde diplomatique, n°649, avril 2008

Le mensuel français Le Monde diplomatique, dans son numéro d’avril 2008, nous offre trois articles en sa page centrale respectivement consacrés à l’extrême-droite cubaine à Miami, au terroriste Luis Posada Carriles et aux Cinq. L’auteur, Maurice LEMOINE, rédacteur en chef de la publication, est un spécialiste de la situation politique latino-américaine - et notamment de Cuba. Nous présentons ici une synthèse de ces trois textes.

Miami se lasse de l’extrême-droite cubaine

Little Havana, un quartier de Miami, fut pendant longtemps le bastion anti-castriste sur le sol américain, celui des partisans du dictateur Batista renversé par la Révolution cubaine de 1959, mais aussi « des grands propriétaires, membres de professions libérales, cadres supérieurs, (...) traficants de toutes sortes ayant fui la Révolution ». Là s’ourdirent les complots et les projets d’invasion de Cuba, d’assassinat de Fidel Castro, de déstabilisation de l’île, de pose de bombes et autres plans de lutte mafieuse envers le régime de Fidel.

Depuis les années 1960, plusieurs facteurs ont contribué à la main-mise de l’extrême-droite cubaine à Miami. Il y eut, d’une part, « l’énorme pouvoir économique de son capital de départ, son dynamisme et le coup de pouce que dix administrations américaines successives lui ont octroyé ». Le contrôle des médias ensuite, sous la forme de plusieurs stations de radio, d’une chaîne de télévision et de deux quotidiens en espagnol, permet de relayer une propagande incessante, « de maintenir la ligne et d’exercer une pression sociale, en particulier sur les groupes professant des opinions différentes ». L’anti-castrisme radical de Miami s’entoure d’une multitude d’organisations criminelles, tout en s’octroyant une facade politique respectable par le biais de la Fondation nationale cubano-américaine (FNCA) -fondée par Reagan en 1981 et dédiée principalement à l’achat d’hommes politiques et à l’intimidation de toute personne qui aurait tendance à favoriser le dialogue, et réfuter la violence et le blocus envers Cuba. Dans le domaine politique justement, au niveau fédéral, trois membres républicains de la Chambre des représentants cubano-américains « mènent un travail intense de lobby et sont à l’origine de toutes les lois durcissant l’embargo contre Cuba » et de toutes les actions visant la personne et le pouvoir de Fidel Castro. De plus, depuis 2004, le président Bush a engrangé une série de mesures de durcissement du blocus envers l’île telles que, par exemple, la limitation des voyages, des envois d’argent (las remesas) ou des devises exportables.

Petit à petit, Miami se lasse pourtant de l’extrême-droite cubaine.

Une évolution dans la composition de la population de Little Havane explique en partie ce phénomène. Les exiliés cubains étaient, à l’origine, blancs, riches et profondément anticastristes. La vague antirévolutionnaire jusqu’au milieu des années 1970, l’arrivée en 1980 de cent vingt-cinq mille cubains « libérés » par Fidel et, en 1994, de trente-mille cubains sur des embarcations de fortune (los balseros), nuança, lentement mais sûrement, la « pureté d’origine » de l’exil : petits commerçants, employés, enseignants, artisans et autres cubains « de couleur » ou « de la rue » côtoyèrent bientôt les ex-classes dominante ou moyenne. La ville subit progressivement de profondes modifications. Les Cubains désertent Little Havane dès le milieu des années 1980. La Calle Ocho, artère principale commerciale et de loisirs de Little Havane, se voit remplir petit à petit « de markets honduriens, échoppes nicaraguayennes, restaurants salvadoriens ». Des tensions naissent entre les cubains « privilégiés » par l’administration américaine d’une part, et les autres latinos ou les Noirs américains d’autre part : ceux-ci craignent pour leurs emplois -pourtant mal payés-, ceux-là ne comprennent pas pourquoi les exiliés cubains sont toujours régularisés sans problème. Quand le soleil se couche sur Miami, on peut se croire à La Havane : plus de 20° en février. Mais la ressemblance maintenant s’arrête là : aux premières lueurs de la lune, « les échoppes latinas de restauration rapide jettent leurs derniers éclats de salsa », et Little Havane n’est bientôt plus qu’une banlieue morne.

Une autre explication du phénomène actuel de « désintérêt » envers l’extrême-droite cubaine se trouve dans la motivation de l’immigration cubaine. Au contraire des premiers anticastristes, la majorité d’entre eux sont arrivés pour des raisons économiques. C’est vrai qu’ils ont courbé l’échine face aux extrémistes -mais plus par peur que par conviction. La famille de ces exilés est restée au pays, et les latinos, même dans des conditions modestes, ne rêvent qu’à aider leurs parents, leurs frères, leurs sœurs, à aller les voir de temps en temps. Les idées de blocus ou d’invasion militaire ne les enchantent guère.
Les récentes mesures supplémentaires prises par le président américain semblent avoir changé la donne. Tout doucement, on ne pense plus systématiquement « républicain ». Le parti démocrate local a compris le message : trois de leurs candidats seront inscrits sur les listes des élections législatives de novembre prochain -avec des chances d’être élus, en conséquence de la naissance d’un fort courant d’opinion contre l’extrême-droite cubaine. Les candidats démocrates proposent entre autres un assouplissement des mesures concernant les liens familiaux avec l’île - proposition qui ne peut être que très populaire. Pour la première fois à Little Havane, le vent tourne. La victoire aux élections d’un ou de deux candidats démocrates serait une secousse sérieuse pour l’extrême-droite. L’ambiance pourrait changer, jusqu’à influencer... Washington.

Pour la première fois à Little Havane, on commence à respirer un autre air. Un vent frais soufflerait-t-il d’une île au large, à quelque 150 km de là ?

Posada Carriles (Luis)

 1961. Le président Kennedy et la CIA lancent une opération militaire de débarquement sur Cuba, obsédés par sa Révolution et la présence d’un régime communiste à seulement 150 km des Etats-Unis. Mille cinq cents hommes de la Brigade 2506 composée d’exiliés cubains entraînés au Guatemala -parmi lesquels un certain Luis Carriles Posada, membre de la Central Intelligence Agency (CIA) américaine- débarquent le 17 avril dans la Baie des Cochons. Mais les services de renseignements de Fidel Castro sont au courant, et l’armée cubaine les attend de pied ferme. Le débarquement échoue, c’est un échec pour le président Kennedy.
 1976. On retrouve Luis Posada Carriles à Caracas, Venezuela. Il y prépare avec un complice un attentat à la bombe sur un avion de la compagnie cubaine Cubana de Aviación. Le 6 octobre, le vol CU 455 explose au décollage. Bilan : 73 morts.
 1985. Emprisonné à Caracas pour l’attentat sur l’avion cubain, Luis Posada Carriles réussit à s’évader avec l’aide de la CIA et de la Fondation nationale cubano-américaine (FNCA). On le revoit alors au Salvador, où il arme les contre-révolutionnaires en se finançant par un trafic de drogues.
 1997. A Cuba, des hôtels sont frappés, d’avril à septembre, par une vague d’explosions. C’est Luis Posada Carriles qui les organise, depuis le Salvador.
 2000. Fidel Castro se rend au Panamá et doit notamment, lors de sa visite, donner une conférence à des étudiants. Un attentat à la bombe contre sa personne est déjoué. L’auteur, Luis Posada Carriles, est arrêté et écroué.
 2004. Luis Posada Carriles est condamné à huit années de prison au Panamá. Il n’y restera que trois mois. La présidente panaméenne le grâcie « pour raison humanitaire » suite à une visite du Secrétaire d’Etat américain.
 2005. Les gouvernements du Venezuela et de Cuba détectent Luis Posada Carriles aux Etats-Unis, où il est rentré clandestinement. Ils réclament son arrestation pour activités terroristes et son extradition. Il demande l’asile politique, par sa défense continue, depuis 40 ans, des « intérêts américains ». Mais surtout, il se livre au chantage : c’est qu’il en connaît pas mal sur le FBI, la CIA et le clan Bush ! On l’emprisonne finalement pour entrée illégale sur le territoire américain - rien de plus. L’accusé fait appel de son procès, ce qui empêche toute possibilité d’extradition. Luis Posada Carriles a 80 ans.
 2007. La justice américaine accepte, le 19 avril, de remettre Luis Posada Carriles en liberté conditionelle. La caution s’élève à 221.350 euros.

Les « Cinq »

Les attentats organisés depuis Miami contre le régime de Cuba ont déjà coûté à celui-ci 3400 morts et 2000 handicapés. Mais Fidel Castro dispose d’un service de contre-espionnage performant. Afin de prévenir toute nouvelle tentative d’attaque contre l’île, cinq de ses agents – les « Cinq »- infiltrent les groupes anti-castristes de Miami. Lors d’une amélioration paradoxale, en 1998, des relations entre les Etats-Unis et Cuba, Fidel Castro remet au FBI un dossier complet –sur base du travail de collection d’informations des Cinq- prouvant la pleine implication de Miami dans la vague d’attentats de l’année précédente dans les hôtels de l’île. Mais l’extrême-droite cubaine veille et intervient. Les Cinq sont arrêtés par le FBI et isolés complètement pendant dix-sept mois. Ils sont accusés de conspiration. Lors du procès -qui a lieu de manière on ne peut plus partiale à Miami-, « aucune preuve ou témoignage ne démontrera que les Cinq ont obtenu ou recherché des informations pouvant porter préjudice aux Etats-Unis ». Que cela ne tienne. Pour avoir infiltré des réseaux pourtant responsables d’actes criminels, ils écopent, en décembre 2001, de trois condamnations à perpétuité et de peines de 19 et 15 ans d’emprisonnement. La Cour d’Appel d’Atlanta frappe le procès de nullité en août 2005, décision à son tour cassée par la Cour Plénière d’Atlanta en août 2006. La dernière instance, la Cour Suprême d’Atlanta, rend audience en août 2007. Le verdict est toujours attendu. Quant aux respect des droits élémentaires de visite des prisonniers, on peut oublier : deux parmi les Cinq n’ont pas revu leur épouse depuis sept ans.

Thierry PIGNOLET, 15 Avr 08
Contact : thierry.pignolet@yahoo.es

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