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Le Conseil d’Etat peut modifier le paysage syndical français

Publie le dimanche 24 octobre 2004 par Open-Publishing
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de Rémi Barroux

La juridiction administrative doit examiner, vendredi 22 octobre, la requête de l’UNSA, qui veut faire reconnaître sa représentativité nationale. L’intronisation du syndicat au côté des cinq grandes confédérations modifierait l’équilibre et compliquerait l’application des règles du dialogue social.

Le paysage syndical français est peut-être à la veille d’un petit tremblement de terre. Le Conseil d’Etat doit examiner, vendredi 22 octobre, la requête de l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), qui demande la reconnaissance officielle de sa représentativité. Si la haute juridiction administrative lui donne satisfaction, le syndicat, fondé en 1993 après une scission de la Fédération de l’éducation nationale (FEN), rejoindra le "club des cinq" confédérations actuellement considérées comme représentatives : la CGT, la CFDT, FO, la CFTC et la CFE-CGC.

La reconnaissance de sa représentativité parmi les salariés ferait de l’UNSA un sixième grand interlocuteur syndical pour le gouvernement et le patronat. Compte tenu des règles du dialogue social en vigueur, sa présence pourrait influer sur la validation des accords de branche et interprofessionnels - qui peuvent être rejetés si une majorité de confédérations s’y déclarent opposées - et ainsi compliquer l’élaboration d’"accords majoritaires". Le syndicat est déjà considéré de longue date comme représentatif dans le secteur public : les représentants de l’UNSA siègent au sein des hauts conseils des trois fonctions publiques (étatique, territoriale et hospitalière).

Ce nouveau statut, s’il lui était accordé, ouvrirait à l’UNSA la porte des instances paritaires (l’Unedic, les caisses d’assurance-maladie et de retraite) et du Conseil économique et social, tout en lui apportant de nouveaux moyens financiers. La reconnaissance de l’UNSA autoriserait aussi tout salarié à créer une section dans son entreprise, de se présenter aux élections professionnelles et de signer des accords.

A l’appui de sa revendication, l’UNSA peut se flatter d’une forte progression lors des dernières élections prud’homales (qui ne concernent que les salariés du secteur privé), en décembre 2002 : elle y avait recueilli 5,01 % des suffrages (260 504 voix), soit 4,3 % de mieux qu’en 1997. C’est fort de ce résultat que le secrétaire général de l’UNSA, Alain Olive, avait écrit à François Fillon, alors ministre du travail, le 16 janvier 2003, pour lui demander de reconnaître le syndicat "comme l’une des organisations syndicales de salariés les plus représentatives au niveau national", et, en conséquence, de modifier l’arrêté du 31 mars 1966 fixant la liste de ces organisations.

M. Olive demandait en même temps l’attribution à l’UNSA de deux sièges à la Commission nationale de la négociation collective et la modification du code du travail correspondante. Faute de réponse du ministre, où les dirigeants du syndicat ont vu un "refus implicite", l’UNSA a formé un recours devant le Conseil d’Etat au mois de juin 2003. C’est ce recours qui doit être examiné vendredi devant la section du contentieux, siégeant en assemblée plénière. L’audience s’ouvrira sur les conclusions du commissaire du gouvernement, Jacques-Henri Stahl - qui, contrairement à ce que son titre peut laisser entendre, est chargé d’éclairer le débat juridique et de suggérer une solution, mais ne s’exprime pas au nom du gouvernement. Dans la plupart des cas, son avis est suivi par la juridiction.

Les douze conseillers membres de la section du contentieux ont été destinataires des mémoires produits par les deux parties : le requérant (l’UNSA) et le défendeur (le ministère de l’emploi), ainsi que leurs répliques respectives à ces mémoires. Outre le rapport de M. Stahl, les magistrats entendront éventuellement, comme dans un procès, les observations et conclusions de l’avocat de l’UNSA et du directeur des relations du travail. Ils décideront ensuite de rendre leur jugement ou de le mettre en délibéré - durant une période indéterminée mais qui ne devrait pas excéder quelques semaines. "Le Conseil d’Etat juge et le gouvernement n’a rien d’autre à faire que de s’exécuter", explique M. Stahl.

Toutes les parties sont conscientes de l’enjeu. "L’UNSA est représentative en fait mais elle ne l’est pas en droit,plaide M. Olive. Nous attendons du Conseil d’Etat qu’il nous rende justice." Au-delà de son audience électorale, le syndicat invoque dans son mémoire le nombre de ses adhérents (307 000), en soulignant qu’il est "plus important que celui de la CFTC" ; sa représentativité déjà établie dans le secteur public et dans trente branches du secteur privé ; sa participation à de nombreuses instances représentatives et même son appartenance à la Confédération européenne des syndicats (CES). Le syndicat précise que les cotisations représenteraient 46 % de son budget.

Sans surprise, l’accueil réservé par les grandes confédérations à sa requête est loin d’être enthousiaste. "Nous n’avons eu l’appui d’aucune confédération et je dirai même que nous avons affronté l’hostilité de la majorité", indique M. Olive. Pourtant allié actuel de l’UNSA face au gouvernement, la CGT n’a pas même répondu à la lettre qui l’informait, en janvier 2003, de sa demande de reconnaissance officielle et proposait une discussion sur ce sujet. Inquiètes de voir surgir une nouvelle confédération dans un paysage syndical déjà atomisé, les autres confédérations n’auraient guère à se féliciter d’une légitimation de l’UNSA par la justice. Seule la CGT pourrait à la rigueur se satisfaire de l’émergence d’une nouvelle organisation dotée de moyens supplémentaires et ainsi capable de chasser sur les terres de FO et de la CFDT.

En arrière-plan du débat juridique, c’est l’évolution du jeu syndical tout entier qui est en cause, dans un pays qui compte aujourd’hui cinq grandes confédérations mais dont le taux de syndicalisation reste largement inférieur à 10 %.

Rémi Barroux

Cinq confédérations, cinq histoires

CGT : née en 1895, c’est en 1902 que la CGT prend son véritable essor. Arrivée en tête des élections prud’homales de décembre 2002, avec 32,1 % des voix, elle déclare 650 000 adhérents à la Confédération européenne des syndicats (CES). Elle arrive en tête (22,56 % des voix) au niveau de trois fonctions publiques (Etat, collectivités locales, hôpitaux). Bernard Thibault est secrétaire général de la CGT depuis mai 1998.

CFDT : elle est née en 1964 de la déconfessionalisation de la CFTC. Membre de la CES, elle déclare auprès de celle-ci 865 528 adhérents. Elle a recueilli 25,2 % des voix aux élections prud’homales de décembre 2002 et représente 18,68 % dans les fonctions publiques. Le secrétaire général de la CFDT est François Chérèque depuis mai 2002.

CGT-FO : le syndicat est né au moment de la guerre froide, en 1948, d’une scission avec la CGT alors liée au PCF. Avec 18,3 % des suffrages aux prud’homales et 17,2 % dans les fonctions publiques, la confédération revendique 800 000 adhérents à la CES. Le secrétaire général de FO est Jean-Claude Mailly depuis février 2004.

CFTC : les syndicats chrétiens, apparus dès 1887, se confédèrent en 1919. La CFTC, qui se réfère à la "doctrine sociale de l’Eglise", perd une grande partie de ses adhérents, en 1964, au profit de la CFDT. Elle a recueilli 9,7 % des voix aux dernières prud’homales et pèse 3,32 % dans l’ensemble des fonctions publiques. Elle déclare à la CES, dont elle est membre, 250 000 adhérents. Le président de la CFTC est Jacques Voisin depuis novembre 2002.

CFE-CGC : créé en octobre 1944, le syndicat des cadres a changé son nom de CGC en CFE-CGC en 1981, pour tenir compte de la présence des agents de maîtrise. Elle annonce 140 000 adhérents. Aux dernières prud’homales, elle a recueilli 7 % des voix, et recueille 2,2 % des suffrages dans les fonctions publiques fin 2003. Le président de la CFE-CGC est Jean-Luc Cazettes depuis juin 1999.

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3224,36-383807,0.html

Messages

  • Pourtant allié actuel de l’UNSA face au gouvernement, la CGT ... : Le Monde tire des conclusions décidément étonnantes !
    LA CGT et l’UNSA divergent fortement sur certains points fondamentaux (quelques exemples) :
     projet de loi Larcher : l’UNSA soutient (avec réserve, certes), la CGT combat ; notamment, l’UNSA accepte les "accords de méthode" qui peuvent être inférieurs à la loi et la définition du licenciement "compétitif"
     assurance maladie : l’UNSA et la CGT sont loin de partager une position commune
     plan Borloo : l’UNSA l’approuve, la CGT le rejette et fait des contre-propositions
     constitution européenne : l’UNSA s’est prononcée "pour" depuis juin 2004, la CGT attend la consultation des syndicats de base pour se prononcer ; dans l’attente, elle s’abstient à la CES

    Alors, si la CGT et l’UNSA se retrouvent parfois sur des positions communes, notamment sur la bataille des retraites, le journaliste du Monde se montre pour le moins péremptoire !
    La conception du "syndicalisme rassemblé" de la CGT ne signifie pas des alliances au sommet artificielles.

    On pourrait s’interroger aussi sur la balkanisation syndicale, la volonté d’un syndicat né de l’éclatement d’une fédération catégorielle de fonctionnaires (la FEN) à prétendre à l’interprofesionnel.
    Le G10 est un autre exemple avec sa composante SUD.
    Où s’arrêtera-t-on dans la division ? Ceux qui sont gagnants à tous les coups, ce sont les capitalistes !

    salutations militantes

    Patrice Bardet, délégué syndicat Ufict-CGT (ceci n’engage que moi)

    remarque : je constate les dégats de la balkanisation syndicale dans ma boite (9 syndicats, 4 associations catégorielles ....). Alors, la direction s’appuie sur le "moins disant", et manoeuvre dans "l’intérêt général". Et le Comité d’Entreprise (alliance autonomes, SUD, FO) donne la mutuelle du personnel...au MEDEF !