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Le bug juridique dans Perben 2 doit vider les prisons...

Publie le samedi 3 septembre 2005 par Open-Publishing

Incroyable mais vrai !! le "bug" juridique qui doit vider les prisons

jeudi 1er septembre 2005

C’est écrit dans le Canard du 31 août 2005 :

Laxiste sans le savoir, Perben a mal rédigé un article de sa loi.

Ça a l’air d’un gag, mais c’est en réalité un incroyable « bug »législatif.
Si elle était strictement appliquée, la fameuse loi « Perben 2 », que l’on
croyait répressive en diable, devrait vider les prisons. Des milliers de
détenus se trouvent aujourd’hui en droit de demander une libération
immédiate, leur peine ayant soudain fondu après une modification du calcul
des réductions automatiques. Mais ils ne le savent pas, et leurs avocats non
plus. Jusqu’à présent, aucun tribunal de l’application des peines n’a été
saisi, car nul n’a encore repéré le vice caché de la nouvelle loi. Après la
publication de cet article, les débats risquent d’être vifs dans les
prétoires.

Calculs de taulards

A l’origine de ce sac de noeuds juridique : une banale modification de l’
article 721 du Code de procédure pénale. Avant la loi Perben, le juge d’
application des peines pouvait accorder des remises pour bonne conduite. « 
Le système était trop compliqué, explique le député UMP Jean-Luc Warsmann,
qui a participé à l’élaboration du nouveau texte. Un détenu ne connaissait
jamais la date de sa sortie, modifiée à chaque remise. » La loi Perben
attribue désormais à chaque condamné, et de façon automatique, un « crédit
de réduction de peine » qui devient un droit. Mais ce crédit est susceptible
d’être réduit ou supprimé par le juge si le comportement du détenu laisse à
désirer.

Il y a donc eu inversion du système : les remises ordinaires ne sont plus
des récompenses pour bonne conduite, c’est leur suppression qui devient une
sanction en cas d’indiscipline.

Là où ça se corse, c’est pour le calcul de ce « crédit de réduction de
peine ». La loi nouvelle fixe ce crédit à « 3 mois pour la première année »
de détention, « 2 mois pour les années suivantes ». Elle ajoute : « et de 7
jours par mois ». Tout le problème, on va le voir, tient dans ces derniers
mots.

Faisons un peu d’arithmétique amusante : un condamné à 2 ans bénéficie d’un
crédit de 3 mois pour la première année, plus 2 mois pour la seconde, plus
24 fois 7 jours, c’est-à-dire 5 mois et demi. Total : 10 mois et demi,
pratiquement la moitié de la condamnation initiale. Perben apparaît donc
comme un infâme laxiste ! Que s’est-il passé ?

Dans sa rédaction antérieure, l’article 721 du Code prévoyait bien le
plafond de 3 mois de réduction de peine pour la première année et de 2 mois
pour les suivantes. Mais la fin du texte était différente. Il était écrit :
« et 7 jours par mois pour une durée d’incarcération moindre ». Ce sont ces
cinq derniers mots qui ont sauté dans la nouvelle loi, publiée au "Journal
officiel" du 10 mars 2004 et entrée en vigueur le 1-er janvier dernier. Cinq
mots qui changent tout, puisque le bonus de 7 jours par mois ne s’applique
plus seulement à une éventuelle « durée d’incarcération moindre » mais à la
totalité de la peine. Bingo ! Cela fait 12 semaines, soit un peu plus de 2
mois et demi par an.

Ce magnifique cadeau offert à tous les condamnés était-il au programme du
Parlement lors des débats qui se sont déroulés en mai et en octobre 2003 ?
Il est permis d’en douter, car l’ambiance n’était pas vraiment à l’
indulgence. Mais l’Assemblée, comme le Sénat, a voté des amendements qui ont bel et bien changé le sens du texte et augmenté les réductions de peine.

Quelle sera la suite du film ? Pour le ministère de la Justice, la réponse
est simple : on ne bouge pas. Le cabinet de Pascal Clément est conscient du
problème, et son porte-parole, magistrat, convient que la rédaction du
nouveau texte est malheureuse. Mais il estime que l’interprétation qui en
sera faite par les juges rétablira les mots manquants. Une grande nouveauté
juridique, une loi virtuelle vient de naître...

« Impossible, monstrueux ! proteste un professeur de droit. Un texte de
procédure pénale est d’interprétation stricte. On ne peut solliciter ainsi l
’intention supposée du législateur ! » En clair, il faudrait recalculer le
« crédit de réduction de peine » de tous les condamnés, et en relâcher sur l
’heure plusieurs milliers.

Ce débat ne pourra être tranché que par la justice. D’abord par les juges d’
application des peines, qui ne manqueront pas d’être saisis. Puis par les
cours d’appel. Et enfin par la chambre criminelle de la Cour de cass’. Un
seul détenu, à notre connaissance, a contesté le calcul de ses réductions de
peine. Mais il s’est tourné vers le tribunal administratif de Paris, qui s’
est déclaré incompétent. D’autres batailles vont sans doute suivre.
Interrogés par « Le Canard » sur leurs intentions, plusieurs avocats
fourbissent déjà leurs armes. L’un fait observer que les directeurs de
prison sont responsables en personne d’une détention arbitraire, et envisage
de s’adresser directement à eux. L’article 432-5 du Code pénal punit le
fait, « par une personne dépositaire de l’autorité publique », de ne pas
mettre fin à une détention illégale dont il a connaissance ou même « de s’
abstenir de procéder aux vérifications nécessaires » si l’illégalité d’une
détention est seulement « alléguée ».

En résumé, Perben aura réussi à faire sortir les malfrats de prison pour y
faire entrer les directeurs de prison. On avait tort de le sous-estimer...

Louis-Marie Horeau - « Le Canard enchaîné » - mercredi 31 août 2005 -


Et le Figaro du 1er septembre le confirme :

Une erreur dans la loi Perben II pourrait libérer des détenus

Une erreur s’est glissée dans la loi Perben II. Une grosse erreur
législative, qui pourrait permettre à des milliers de détenus de sortir de
prison beaucoup plus tôt qu’ils ne l’espéraient. En théorie du moins.
Quelques mots du texte de loi se sont, en effet, perdu au détour d’une
navette législative entre les deux assemblées.

La loi Perben II, en vigueur depuis le 1er janvier, a revu le dispositif d’
aménagement des peines, très complexe, en créant un dispositif de réduction
automatique. Lorsqu’il est placé sous les verrous, un détenu sait désormais
avec plus de clarté combien de temps il s’apprête à passer en prison, grâce
à un système de crédit. S’il se comporte correctement, il peut ainsi
bénéficier de trois mois de réduction de peine la première année, et de deux
mois les années suivantes. Le texte fixe aussi le crédit à « sept jours par
mois », mais - et c’est là l’erreur - il omet de préciser qu’il s’agit en
réalité de sept jours par mois pour une durée d’incarcération inférieure à
un an.

Dans l’esprit du législateur, le calcul est le suivant : une personne
condamnée à trois ans de prison accumule un crédit de trois mois de
réduction de peine au titre de la première année, plus deux fois deux mois,
soit sept mois de moins. Mais, si l’on se fonde sur la rédaction du texte
telle qu’elle est parue au Journal officiel du 10 mars 2004, ce condamné
pourrait, en outre, revendiquer 36 fois 7 jours de « crédit », soit plus de
huit mois encore à soustraire de la peine...

A l’heure actuelle, aucun détenu n’a tenté de bénéficier de l’application
stricte du texte ainsi (mal) rédigé. Une circulaire de la direction de l’
administration pénitentiaire en date du 7 avril 2005 est venue opportunément
préciser les règles du jeu en matière de réduction de peine, cette fois sans
erreur.

La Chancellerie s’apprête à corriger la loi en repassant devant le
Parlement, de façon à éviter tout risque de contentieux... Et cela, dès que
le calendrier législatif le permettra, éventuellement lors de l’examen du
texte visant à renforcer la lutte contre la récidive.

Comment une telle mésaventure peut-elle se produire ? « C’est une erreur de
plume, plaide-t-on au ministère de la Justice. Mais l’examen des travaux
parlementaires de l’époque montre bien qu’il n’y a aucune ambiguïté sur la
volonté du législateur. » Les députés ont en effet corrigé la copie renvoyée
par les sénateurs, mais en oubliant la fin de leur phrase.

Alors que le Sénat proposait d’instaurer un crédit de réduction de peine de
trois mois par an dès la deuxième année et de sept jours par mois pour une
durée d’incarcération moindre, l’Assemblée nationale a voulu revenir à un
dispositif moins généreux, avec trois mois au titre de la première année et
deux mois ensuite. C’est alors que la « plume » s’est un peu brouillée.

L. C. - Le Figaro - 1er septembre 2005