Accueil > Le chômeur de Metaleurop tombe après huit braquages

Le chômeur de Metaleurop tombe après huit braquages

Publie le dimanche 29 août 2004 par Open-Publishing

de Geoffroy Tomasovitch, Noyelles-Godault (Pas-de-Calais)

SUR L’AUROUTE A 21, une sortie indique toujours Metaleurop. Elle ne conduit plus qu’à des bâtiments désaffectés aux allures d’immense vaisseau fantôme. « La fermeture de l’usine, on en entendait parler depuis quinze ans.

Personne n’y croyait. Aujourd’hui encore, on se dit que ce n’est pas vrai », dit tristement Malika*. Début 2003, l’usine métallurgique de Noyelles-Godault a définitivement stoppé son activité, laissant plus de 800 salariés sur le carreau. Le frère de Malika en était. Mais aujourd’hui, Mohamed est en prison. Fragilisé par son licenciement, cet honnête père de famille est devenu braqueur de banques et de stations-service. Il a été arrêté cet été avec un oncle emporté dans la même dérive. Elevé dans une famille immigrée, Mohamed, 36 ans, n’a connu qu’un seul employeur : Metaleurop. « Dès 17 ans, il y faisait des jobs d’été. Il bossait même le samedi, c’était payé plus », raconte ému un ami d’enfance. Ouvrier modèle, Mohamed conserve le statut d’intérimaire plus de dix ans. « Onze ans, souffle Malika. Quand il a signé son CDI (contrat à durée indéterminée), en 2000, mon frère se croyait à l’abri. » Avec ses 1 413 € mensuels, Mohamed mène une vie modeste avec sa femme et ses enfants âgés de 4 ans et 13 ans. Mais le licenciement va tout remettre en cause.

« Plus assez de steaks dans le congélo » Au début, l’ouvrier, qui perçoit 900 € par mois des Assedic , cherche activement du travail. « Il n’est pas de nature à se laisser abattre. Il pensait vite retrouver une place », raconte sa soeur. Petit à petit pourtant, la situation se dégrade. La moitié de sa prime de licenciement sert au remboursement de crédits. Mohamed s’occupe des enfants, se défoule à la musculation, mais ne trouve pas de travail. Et puis sa femme décide de divorcer... « Le changement de train de vie lié au licenciement n’est pas étranger à cette décision. Quand je l’ai interrogé sur les raisons de ce divorce, il m’a répondu : Plus assez de steaks dans le congélo », se souvient un oncle. L’ouvrier voit les factures s’empiler. « Une fois qu’il les avait toutes réglées, il ne lui restait plus que des clopinettes pour vivre », témoigne sa soeur. « Il a eu peur de voir débarquer les huissiers, de se retrouver à la rue », dit son avocate, M e Marion Séverin.
Une partie du butin sert à rembourser ses dettes En juin dernier, avec Hamid, 37 ans, un autre oncle, licencié lui aussi, Mohamed décide « de faire quelque chose ». « Il avait l’impression que les banques ne lui avaient fait aucun cadeau », rapporte M e Séverin. Malgré un amateurisme total, le tandem rafle 30 000 € lors de huit vols à main armée, entre le 16 juin et le 31 juillet. Le scénario est toujours le même. Hamid attend sur sa moto.

Mohamed pénètre dans la banque, fait la queue comme un client lambda puis, au guichet, sort son revolver factice et demande la caisse d’une voix presque timide. Des braquages toujours commis sans violence et à visage découvert. L’ex-ouvrier de Metaleurop utilise une partie du butin pour rembourser ses dettes. « Il n’a rien changé à son train de vie. Il continuait de mener sa petite vie ordinaire », témoigne Malika. Un jour, son frère prend conscience de la gravité de ses actes et jette son arme dans l’eau. Le 7 août, Mohamed roule sans ceinture. Le policier qui le contrôle reconnaît ce visage, filmé par les caméras de surveillance des banques. Le chômeur avoue rapidement les faits. « Mon frère n’a jamais eu d’histoire avec la police. Il doit être puni mais c’est un acte de désespoir, une erreur de parcours », plaide Malika, effondrée. Sensible au parcours atypique du neveu et son oncle, le juge de la détention et de la liberté de Béthune les a d’abord laissés libres. Mais le parquet a aussitôt fait appel et la chambre d’instruction de Douai les a placés en détention provisoire. Ironie du calendrier, ils venaient de retrouver du travail. « Mon client assume. Il ne se dit pas victime de la société, ne veut pas qu’on geigne sur son sort », insiste M e Séverin. A Noyelles-Godault, on n’excuse pas le geste de l’ancien ouvrier, mais beaucoup disent « comprendre ». « Il y aura d’autres histoires, d’autres drames », pronostique plein d’amertume un ancien de Metaleurop face à l’usine qui rouille près de l’autoroute. Mohamed risque vingt ans de prison.

* A leur demande, les prénoms des personnes citées ont été changés.

http://www.leparisien.com/home/info/faitsdivers/article.htm?articleid=241117468