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Le consensus dans les collectifs antilibéraux

Publie le samedi 30 décembre 2006 par Open-Publishing
4 commentaires

de Jean-Pierre Dussaud

Le consensus serait la condition du rassemblement le plus large, puisqu’il n’exclurait personne : il témoignerait ainsi de la prise de conscience de l’urgence et de la nécessité de rapports de force suffisants face à l’énorme machine du libéralisme.

Le consensus devrait être dès maintenant notre régime de vie dans les comités, régime de vie anticipant la société que nous voulons.
Concrètement, le consensus serait un libre débat, c’est-à-dire l’écoute et les efforts de compréhension de toutes les paroles, l’égalité des droits entre tous les participants, le refus des exclusives a priori, la non manipulation de l’information. Le consensus se situerait dans le cadre de la confiance, de la solidarité (défense et aide mutuelles), du travail en commun (élaboration des décisions et des programmes, distribution de tracts, collage d’affiches, organisation de réunions publiques) et de la recherche de compromis.

Mais le consensus et l’absence d’exclusion ne signifient pas l’absence de conflit, comme le laissent croire les modélisations simplistes. Chacun doit lutter à l’intérieur des collectifs pour la reconnaissance la plus complète possible par les autres de ses propres idées et de son identité. Ce qui signifie que nous devons en permanence combattre l’humanisme condescendant et sûr de ses certitudes. Nous devons critiquer les convictions impartageables, étayées de slogans, de formules, de raccourcis, stigmatisant l’ami transformé en adversaire, l’accusant de tous les torts. Nous devons résister à ce « rationalisme » qui surfe sur les simplifications, les caricatures, les déformations, les préjugés, les accusations incontrôlables et le racisme politique (racisme politique : mettre à part une organisation et ses membres, à moins que ces derniers renoncent à une part de leur identité organisationnelle). Nous devons dénoncer ceux qui demandent aux autres de pratiquer le consensus sans le pratiquer eux-mêmes, ainsi que ceux qui disent pratiquer le consensus et passent leur temps à exclure et à stigmatiser.

Nous supportons des institutions et des moeurs politiques établies par les factieux en 1958, avec une culture politique de résistance non encore dominante. Ce n’est pas étonnant que, peu expérimentée, la pratique du consensus soit souvent en échec. Il y a des demandes inacceptables, des veto et des menaces de veto, des attitudes réservées, des non participations, des démissions et des menaces de démission. Certains enjeux ne sont pas tranchés. Dans l’urgence, sous la menace d’une dissolution, nous finissons par prendre l’habitude de ne se retrouver qu’autour d’un plus petit dénominateur commun, passant sous silence nos convictions et désaccords, transformant la réunion politique en réunion conviviale ou en groupe thérapeutique soignant le traumatisme de nos expériences politiques. Tout aussi inquiétants sont les cas où nous confondons l’opinion dominante ou l’alignement unanime sur une orthodoxie avec le consensus.

Face aux échecs générés par le consensus, il faut donc que, à un moment ou à un autre, quand la nécessité d’une décision apparaît, on utilise une autre procédure démocratique, comme celle du vote. Quand le consensus ne fonctionne plus, parce qu’on se laisse aller à ne plus écouter vraiment ce que dit l’autre, parce qu’on caricature et déforme en pleine inconscience, parce qu’on est persuadé de la certitude de nos propres préjugés et de la certitude des affirmations partagées par les médias, alors il faut des procédures pour en sortir. Certains d’entre nous ne veulent pas entendre parler d’organisation. Ils semblent oublier que, dans la « Méthode de discussion de la candidature commune » à l’élection présidentielle proposée par le Collectif d’initiative national du 3 novembre 2006, il est écrit : « Là où ne se dégagera pas clairement un choix commun, il sera sans doute nécessaire de mesurer, de façon loyale et incontestable, l’importance respective des opinions défendues au sein du collectif. Une mesure quantitative sera alors utile pour dégager une tendance dont il conviendra de déterminer plus précisément les règles ». L’organisation, c’est ici, dans nos collectifs, en plus d’un certain degré de consensus, l’évaluation de l’importance respective des opinions.
Une organisation plus élaborée mettrait en place des procédures plus incontestables, avec en particulier une liste électorale, ce qui ne veut pas dire qu’elle aurait à négliger les moments de consensus (car nous ne devons pas prendre l’habitude de croire qu’une élection règle tout, qu’une courte majorité peut toujours s’imposer à une importante minorité : nos débats deviendraient alors des entreprises de convictions entières et impartageables). Dans les organisations politiques et syndicales démocratiques, il y a une part de ce qui nous manque, c’est-à-dire des votes avec des listes électorales et un minimum de campagne électorale, et une direction représentative de la majorité, sans oublier l’expérience de la vie politique, même si on peut parfois regretter, à l’intérieur de ces organisations, l’insuffisance du consensus, c’est-à-dire l’insuffisance de l’écoute et de la participation de tous les militants, avant les décisions et les votes, même si on peut regretter les prises de pouvoir à l’intérieur. Alors, oui, les partis politiques, les syndicats et les associations ont à nous apprendre sur la représentativité de l’instance nationale et sur les moyens de respecter l’opinion majoritaire dans les décisions en cas d’échec du consensus. Il va falloir, un jour ou l’autre, améliorer la structure de nos collectifs vers plus de démocratie, sans perdre la méthode du consensus, sans perdre évidemment l’engagement sur le programme, qui est la raison d’être de notre mouvement et que certains d’entre nous oublient.

Nous sommes tous attachés à l’autonomie de notre mouvement. et à notre propre autonomie.
Nous avons tous des attitudes et des représentations formées par notre expérience personnelle, par la fréquentation des appareils d’État, des associations, des organisations ou des médias, bien que nous ayons l’impression d’être autonomes. Il n’y a pas que les partis politiques qui influencent, imposent, font le forcing, noyautent, prennent le contrôle, etc. Les partis ont une efficacité souvent limitée et variable selon les individus et les enjeux.
Dans le cours de la discussion peuvent intervenir directement la valorisation de telle opinion ou de telle actualité à l’émission de radio ou de télé que nous venons de regarder ou d’écouter, les résultats de la discussion que nous venons d’avoir dans notre association ou avec nos voisins, les recommandations et directives des dirigeants de notre organisation, la pression de l’opinion majoritaire dans le groupe, la volonté de perpétuer le groupe pour lui-même et donc de tout faire pour que personne ne démissionne et pour maintenir un climat agréable, même au prix de l’abandon des principes, même au prix du silence sur les désaccords.

Mais ce qui influence le plus le cours de la discussion dans les collectifs, c’est la domination des représentations politiques qui structurent profondément les discours des gens de gauche et permettent l’hégémonie du libéralisme et du social libéralisme.
Certaines représentations dénient aux forces de résistance au libéralisme toute justification à s’organiser. Seule la droite et les forces économiques auraient la capacité de s’organiser. Il serait d’actualité de mettre à l’index et de dissoudre les « appareils » et les partis. Les acquis organisationnels des classes populaires seraient dépassés, de même que l’Etat social est dépassé.
D’autres représentations, qui nous structurent aussi inconsciemment, sont là pour nous diviser. Ce sont les discriminations et les suspicions à l’égard de « l’extrême gauche » et à l’égard du parti communiste et les représentations en miroir, de la part des forces discriminées, qui excluent le rassemblement le plus large, en particulier avec ceux qui votent actuellement pour les représentants du libéralisme. À l’exclusion par le parti socialiste de l’extrême gauche répond l’exclusion du parti socialiste par l’extrême gauche. Malgré une identité de programmes, Lutte ouvrière, la Ligue communiste révolutionnaire et le Parti communiste sont en compétition pour des « peccadilles », comme le dit Michel Onfray. Le partage des responsabilités de la division est à déterminer. La droite et l’orientation sociale libérale actuelle du PS, elles, ont non seulement des programmes économiques proches, mais également une approche du politique qui privilégie le charisme et la non cohérence du programme, comme pour ne pas avoir les mains liées une fois au pouvoir. Il ne faut donc pas trop se faire d’illusion sur l’apparence de diversité de leur offre politique.
Tant que ne se développe pas à gauche un esprit critique par rapport à ces représentations, qui déstructurent, désorganisent et divisent, la droite et la gauche sociale libérale peuvent dormir tranquille. Les personnalités et les organisations qui poussent non au rassemblement et à la rationalisation mais à la concurrence, voire à la confrontation entre antilibéraux, quelle que soit la violence de leur dénonciation du libéralisme, contribuent bien faiblement au combat antilibéral.

Nous sommes individuellement plus ou moins autonomes, plus ou moins critique par rapport à toutes ces influences, selon la chance dont nous avons bénéficié dans notre formation et notre expérience. Il ne faut pas sous-estimer a priori la valeur individuelle de la parole de tel ami « encarté », comme si appartenir à un parti était une tare. Dans les collectifs il n’y a pas de personnes complètement désintéressées. Nous sommes tous plus ou moins affiliés à une structure politique, même les non encartés, et ce qui nous différencie profondément, c’est notre rapport avec les structures et les représentations politiques, rapport plus ou moins critique et plus ou moins expérimenté. Il y a des encartés ouverts à la discussion et à la compréhension, prêts à discuter de la pertinence des décisions de leur direction. Il y a des sans parti forts de leurs certitudes et de leurs préjugés, imbibés de médias, imperméables à tout vrai dialogue. Chez les intellectuels, l’illusion d’indépendance par rapport aux partis et aux représentations dominantes est souvent très important, car leurs constructions intellectuelles semblent objectives, alors que leur place dans la division capitaliste du travail est subordonnée en grande partie à la croyance en leur désintéressement. Dans les classes populaires, les partis et les syndicats sont les seules références, les seuls repères politiques face à la propagande. Nous nous sommes mis d’accord sur un programme et une stratégie, c’est déjà pas mal. Ne demandons pas un seul type d’engagement, sans en discuter. Prenons en compte la réalité de la diversité des collectifs.

Messages

  • simplement ,...merci pour cette contribution à la réflexion !

    Pierre Plougonven , PCF , (29)

  • Le problème est bien que la constitution de 1958 nous tend son piège , et nous impose d’y passer, en temps limité.

    L’idée "perverse" qui a germé pendant toutes ces années d’humiliation, c’était de "subvertir ce piège"...

    Cette fois, notre "perversion" était devenue populaire, un peuple "constituant" s’apprêtait à commettre "une émeute électorale", et il commençait à s’emparer dans des "collectifs locaux" comme dans des meetings faisant boule de neige, d’une "dynamique" unitaire fondée sur l’appropriation des contenus politiques "collectivement proposés" comme autant de "revendications" face à l’urgence sociale, culturelle, environnementale, constitutionnelle, "voire plus"...si consensus...

    ..."Perverse", car née au sein même du piège, comme fut "perverse" l’idée d’abattre l’appartheid née dans la prison de Nelson Mandela...

    Il était urgent d’en finir avec l’épisode "candidat(e)" : il occultait le fond pour la forme, il nous enfermait dans la partie la plus dangereuse du "piège" : l’illusion que tout dépend d’un "choix providentiel".

    Il existe enfin une candidate engagée à jouer "collectif", et qui, si elle n’a pas obtenu le "consensus dans les temps impartis par "le piège", a toutes les chances de "faire consensus", si le "collectif", "les collectifs" se mettent en campagne pour "l’émeute électorale" qu’Elle les invite à déclencher :

    la parole sera prise par le "peuple constituant", son contenu sera celui ébauché dans "les 125 points", et "sa dynamique" sera celle du mouvement social demandeur d’issue politique : aucun "parti" ne saurait récupérer cela pour son propre compte, car le partage est revendiqué dans la logique constituante des "125 points" , base "consensuelle" d’une "gauche de gauche".