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Le fou K.O. Le fou, la prison et le philosophe

Publie le dimanche 12 décembre 2004 par Open-Publishing

Depuis plusieurs années et récemment dans la presse quotidienne, on a fait état de la présence croissante de cas psychiatriques dans les geôles de France (Libération 8/12 par exemple). Les schizophrènes, les dépressifs, les paranoiaques peuplent les cellules comme ils peuplaient les loges des dépôts de mendicité du XVIIIe siècle. La question n’est pas de savoir si la prison rend fou. La réponse est probable. Là n’est pas le débat. Il s’agit de comprendre pourquoi la société enferme de plus en plus ces fous en prison.

La première explication est connue : on criminalise de plus en plus un certain nombre de faits commis en état d’irresponsabilité. Beaucoup sont jugés en comparution immédiate et condamnés sans être vus par un expert. La chose est acquise.

On osera ici une hypothèse iconoclaste : c’est en critiquant l’institution asilaire comme totalitaire au nom de principes humanitaires, politiques et philosophiques par ailleurs louables, que l’on a favorisé ce grand refermement moderne. L’antipsychiatrie, développée aux Etats-Unis dans les années soixante, consolidée en France par la pensée de Michel Foucault dans les années soixante-dix, a sapé les fondements idéologiques de l’utilité de l’asile comme institution. Présenté comme institution répressive, à l’image des hôpitaux généraux de la monarchie absolue, l’hôpital psychiatrique a ainsi été déligitimé dans les milieux de gauche lorsqu’il ne l’était pas déjà auparavant.

Ce discours idéologique - par certains aspects justifiable - a rencontré dans les années 1980-1990 la volonté libérale de désengagement de l’Etat, dans les secteurs hospitaliers comme dans les autres secteurs. La politique de Secteur de la médecine psychiatrique mise en place alors s’est opérée dans le cadre d’une diminution drastique du nombre de lits d’hospitalisation psychiatrique, sans mise en place d’institutions de remplacement. La profession aujourd’hui est sinistrée et ne cesse d’appeler à l’aide dans un vide sidéral.

Où sont passés les malades ? Ceux-ci se sont d’abord multipliés du fait des conditions accrues de précarité, de l’éclatement des familles, de la dissolution des liens sociaux. Mais ceux-ci se sont surtout retrouvés à la rue, mêlés à la population des SDF. Chacun des lecteurs qui prend le métro quotidiennement peut témoigner de cette présence massive des fous sur les quais comme dans les rues.

Le désengagement libéral de l’Etat justifié par l’idéologie humanitaire anti-asilaire a créé les conditions de ce spectacle désolant et révoltant. Il nous semble que cette évolution dramatique n’eut été possible sans la conjonction de ces deux phases a priori antithétiques. A ne voir que le pouvoir bio politique (existant sans conteste) en niant la maladie et le malade, on ne fait que renforcer la solitude des dingues et des paumés.

http://www.cetace.org/pauvres_de_vous#fou_ko