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Le procès de « 17 Novembre » : Bilan d’un procès injuste

Publie le vendredi 27 février 2004 par Open-Publishing

(les lignes qui suivent ont été rédigées à partir d’un texte écrit en grec par Nassos Théodorides, avocat au barreau d’Athènes)

1. Le procès du 17N : procès politique et injuste.

2. La condamnation de Yotopoulos

3. L’illégalité de la procédure préliminaire : le cas Savas Xiros.

4. En manière de conclusion.

1. Le procès du 17N : procès politique et procès injuste

Le premier point, et peut-être le plus grave, c’est que le procès s’est déroulé devant trois magistrats, et non devant un jury mixte (composé de trois magistrats et de quatre jurés populaires) comme le prévoit la constitution grecque (qui précise que les procès politiques, comme les procès pour homicides, ne peuvent en aucun cas se dérouler en l’absence de jurés populaires).
Pour empêcher la présence de ces jurés, jugés laxistes, le tribunal a décrété que le procès n’était pas politique, mais qu’il s’agissait uniquement d’un procès criminel contre une bande organisée.
Cependant, ni le président du tribunal, ni le procureur, n’ont mis en cause la nature politique des objectifs et des motivations des inculpés, ou nié les conséquences politiques des actions du 17N, et il est clair que ces actions visaient au déclenchement d’un processus qui devait aboutir, selon l’organisation, à un renversement de régime. Ainsi, la décision de décréter ces crimes comme étant non politiques était parfaitement injustifiée.
En étendant, rétroactivement, le délai de prescription de 10 ans à 20 ans, on a violé le principe de non-rétroactivité pour juger des faits déjà prescrits par la loi en vigueur au moment où ils furent perpétrés. Ces faits ont quand même été jugés sous le coup de la loi anti-terroriste, le prétexte trouvé a été que l’organisation était encore active après le vote de cette nouvelle loi, comme en atteste l’explosion à la bombe du Pirée, celle qui a conduit à l’arrestation de Savas Xiros. Pour pouvoir appliquer la loi anti-terroriste dans le cas du nouveau procès ELA, actuellement en cours, on a argué que l’auto dissolution de cette organisation, proclamée en 96, n’est attestée par aucun document officiel ! Pourtant, l’organisation ELA ne figurait plus dans les listes officielles des organisations terroristes.
Mais même la loi antiterroriste a été dépassée. Pour le procès du 17N, le gouvernement, posant les fondements d’un nouveau cadre répressif, a fait voter, quelques jours avant la sélection des juges, une loi nouvelle immédiatement mise en usage pour toutes les affaires semblables (elle a d’ailleurs été utilisée pour le deuxième grand procès, celui de l’organisation ELA). En particulier, d’après l’article 11 par. 2 de la nouvelle juridiction, on tire au sort les tribunaux de trois ou cinq juges non dans l’ensemble des juges ; mais dans un corps de juges choisis.
Tout au long du procès, le tribunal a montré un parti pris pour l’accusation, et le procureur a même osé accuser les avocats d’être payés par le butin de l’organisation.

Lors de l’enquête préliminaire, les règles de la jurisprudence grecque ont été bafouées. Ainsi, alors que l’interrogatoire devant le juge d’instruction aurait dû se dérouler en présence d’un avocat et sans menaces, il a été établi que dans plusieurs cas ces interrogatoires ont eu lieu en présence de policiers armés et cagoulés, pointant leurs armes sur l’inculpé et son avocat. Le tribunal a avalisé cette pratique, sans invalider les dépositions, ou même les mettre en doute.
Dans le droit grec, le témoignage d’un inculpé ne peut être retenu comme preuve d’après le principe "un coupable ne peut faire des coupables". Or, non seulement le tribunal a dérogé à ce principe, mais c’est sur les dépositions des repentis que s’est fondée la condamnation de plusieurs accusés.
D’après certains des plus éminents juristes grecs (M. Panousis, M. Manoledakis, pour n’en mentionner que deux) les déclarations préliminaires des inculpés ne peuvent être lues en audience (car ces inculpés sont présents) et ne peuvent être incluses dans les éléments de preuve de culpabilité ; mais, cette fois, même des déclarations récusées par leurs auteurs, comme étant le produit des menaces (voire de tortures) qu’on leur avait fait subir, ont été prises en compte. Ainsi, à la suite à la dénonciation de Georgeatos des tortures qu’il avait subies, le tribunal n’a ouvert aucune enquête, et il a accepté de fonder sa décision sur les déclarations préliminaires de Savas Xiros, prises dans la salle de réanimation de l’hôpital d’Evanghélismos. Normalement, aucun médecin n’aurait dû accepter cela et aucun juge n’aurait dû tenir compte d’"aveux" extorqués dans de telles conditions (ces "déclarations" ont été ensuite récusées par l’intéressé, lire le cas Savas Xiros à la fin de ce texte, où l’on a rassemblé une série de questions relatives à l’illégalité complète de la procédure préliminaire).
Le tribunal a accepté que des témoins, présents sur les lieux d’un attentat plus de dix ans auparavant, qui avaient déposé à l’époque, changent leur déposition, avec pour seul objectif qu’ils incriminent certains inculpés. Il a inauguré le recours à une curieuse nouvelle théorie de la mémoire qui se renforce et se précise avec le temps. Il a même suscité des reconnaissances au pourcentage, c’est-à-dire : "je suis à soixante-dix pour cent sûr d’avoir vu untel", ce qui n’a aucun sens en droit.

2. La condamnation de Yotopoulos

Concernant la condamnation scandaleuse de Yotopoulos à vingt et une perpétuités, pour responsabilité morale uniquement, remarquons les points suivants :
1) La présomption de son innocence a été bafouée, après une campagne de guerre médiatique qui a duré plusieurs mois (l’affaire du 17N a fait la une des journaux pendant presque six mois), qui a présenté Yotopoulos comme le « monstre numéro un » d’une organisation maffieuse, donnant diverses interprétations scandaleuses du fait qu’il niait tout rapport avec le 17 Novembre. Le fait qu’il n’a pas accepté de collaborer avec les autorités, qu’il a refusé de reconnaître être l’auteur des premiers actes - prescrits - du 17N, sa position digne de refus de dénoncer les autres inculpés et d’argumenter seulement ses désaccords politiques avec l’activité du 17N, tout ceci a été interprété par les médias comme le comportement d’un chef de l’organisation. Les règles du droit ont été totalement renversées, l’équilibre entre la défense et l’accusation a été violemment contrarié, la présomption d’innocence est devenue présomption de culpabilité, à charge pour l’inculpé de prouver son innocence.
L’interdiction d’une couverture télévisée des débats du procès est un autre point où la règle de l’équilibre accusation-défense a été bafouée, car, tandis que les médias ont présenté pendant des mois la version de l’accusation, le public ne pouvait voir les aspects les plus ridicules des comportements du procureur, la faiblesse des preuves, et les arguments de la défense. Ainsi, le tribunal et la plus grande partie de l’opinion publique avaient déjà une certitude quant à la culpabilité de Yotopoulos, bien avant l’ouverture du procès, et la défense n’avait que peu de moyens pour faire connaître ses arguments.

2) L’action de Yotopoulos contre la dictature a été contestée y compris par le procureur du tribunal. Yotopoulos était membre actif de l’organisation de résistance à la dictature LEA, et il avait participé à plusieurs actions contre la junte (dont la pose d’une bombe à l’ambassade américaine en 1972). Cette organisation avait comme principe ne pas faire d’attentats contre des personnes, et ce durant la dictature. Personne n’explique pourquoi Yotopoulos aurait changé d’avis justement à la chute de la junte.

3) Tous les efforts pour prouver que Yotopoulos était présent lors de certains attentats du 17N ont échoué. Un tavernier a fourni un alibi à Yotopoulos pour l’explosion au Pirée, à laquelle on l’accusait pourtant d’avoir assisté. Yotopoulos est resté dans son restaurant jusqu’à une heure du matin. Un témoin français (qui résidait à cette époque en Grèce de manière permanente) a donné un alibi à Yotopoulos pour le vol d’armes dans une caserne à Vironas, auquel il était accusé d’avoir participé. Un autre alibi a démenti le faux-témoin journaliste Bakatselos, Yotopoulos ne pouvait être présent à l’assassinat de Momfératos. Ainsi, faute de preuves, Yotopoulos a été condamné uniquement pour responsabilité morale de tous les actes du 17N, même de ceux pour lesquels on ne connaît aucun acteur.
4) Enfin, pour pouvoir condamner lourdement Yotopoulos, présenté comme le fondateur et le chef perpétuel du groupe, le tribunal a tordu le coup à la notion de "culpabilité morale" (Yotopoulos était présenté par les services secrets anglais et américains comme le fondateur et le cerveau du 17N, et comme l’auteur de l’attentat contre le chef d’antenne de la CIA, R. Welsh). Ainsi, malgré le fait que même les repentis ont donné l’image d’une organisation fonctionnant en cellules autonomes, avec une vague coordination, le tribunal a reconnu Yotopoulos comme le responsable moral de toutes les actions du 17N, conformément au mythe répandu par les médias, et sans aucune preuve. Il fallait montrer, à la veille des jeux olympiques, que l’organisation était démantelée, ce qui imposait la « découverte » et l’arrestation d’un chef. D’ailleurs, il a été établi à la barre par plusieurs témoins que les services secrets américains et anglais, en faisant des « interviews amicales » de ses anciens camarades contre la dictature, cherchaient depuis des années à l’accuser.

5) En ce qui concerne les preuves matérielles contre Yotopoulos, aucune des règles de prudence et de doute n’a été respectée, malgré le fait qu’elles paraissaient construites de toutes pièces. De plus, elles n’ont pu être correctement évaluées et étudiées à temps par la défense, ainsi que le prévoit la règle en Grèce. La police a gardé pour elle les éléments à charges pendant des mois, elle a refusé de les montrer à temps à la défense, ce seul fait aurait dû faire la une des journaux et inciter les juges à être sceptiques.
De même, on a accepté des expertises orales, tandis que, d’après les règles du droit, elles doivent être d’abord soumises sous forme écrite aux deux parties, afin que la défense ait le temps de les étudier, et de les contester, éventuellement.

1) L’ADN de Yotopoulos n’a été trouvé dans aucune des caches de l’organisation2) Tous les éléments du dossier d’accusation sont datés postérieurement à l’arrestation de Yotopoulos.

3) D’après les pièces justificatives du dossier, établies par la brigade antiterroriste, les empreintes de Yotopoulos (figurant sur des papiers "découverts" dans une cache) ont été identifiées le 18 juillet, alors qu’elles n’ont été relevées que le 19 juillet (cette révélation a jeté le désarroi dans le tribunal, mais l’opinion publique n’en a rien su).

4) Ses empreintes ont été seulement « trouvées » sur des éléments mobiles, qu’il est facile de transporter, tandis que, pour les inculpés qui ont reconnu leur appartenance au 17N, il y avait une correspondance raisonnable entre empreintes sur des éléments mobiles et empreintes sur des éléments fixes. Il n’existe pas d’expertise indépendante de certification des empreintes, il n’y a que l’estimation de la police (ce que l’opinion publique ignore). Il est connu que l’on peut fabriquer un système de tampons permettant de construire de fausses empreintes, mais le tribunal a refusé d’appeler à la barre le professeur expert sur cette question.

5) Les tracts qui porteraient les fameuses corrections de Yotopoulos ne provenaient pas du disque dur de l’ordinateur de l’organisation, mais de simples disquettes. La graphologie n’est pas une science exacte, on le sait, le chef de la police grecque l’avait officiellement admis, en 1956, il existe des services spécialisés qui peuvent au besoin facilement imiter une écriture.

6) L’acte d’accusation prétendait que les faux papiers de Yotopoulos étaient fabriqués avec du matériel de la planque de 17N ; ceci a été démenti en audience par un policier expert témoin de l’accusation.

7) Passant les bornes du ridicule, la police a prétendu que les clés découvertes chez Yotopoulos ouvraient une cache de l’organisation. Or, ces mêmes clefs avaient été remises à sa compagne avant le début du procès, avec la justification qu’elles n’avaient rien à voir avec l’affaire. Mais en plein milieu du procès (soit huit mois après l’arrestation), un policier est venu certifier qu’elles "ressemblaient" à celles de la cache, et qu’elles avaient été remises à la compagne de Yotopoulos parce qu’on avait "oublié" de les essayer !

8). Les indices ont été corrigés au cours du procès pour coller à l’accusation, et les repentis ont modifié leurs déclarations afin de couvrir les trous de l’accusation. La manière dont a été conduit le procès à propos de l’assassinat de Momfératos est exemplaire à cet égard. Un seul témoin a mis en cause Yotopoulos, disant qu’il était présent sur les lieux du crime. Pour ce faire, il avait changé sa déposition initiale, dix-sept ans après les faits, fournissant une nouvelle version, ridiculement contradictoire sur plusieurs points. Sa déposition a pourtant été largement relayée par les médias (ce témoin est journaliste !). Après la déposition d’un autre témoin français qui a fourni un alibi à Yotopoulos (ce dernier était absent d’Athènes, en compagnie de ce témoin, au moment des faits), le repenti Tsélendis, qui n’avait pas mentionné Yotopoulos à propos de l’attentat contre Momfératos dans ses premières dépositions, a modifié sa déclaration à l’issue de la procédure de preuve, lors des apologies des accusés, pour l’y impliquer dans la décision de l’action, tout en le dédouanant de sa présence, afin de donner une sorte de sérieux à ses dires. Ceci permettait en même temps d’utiliser de manière "positive" le "témoignage" devenu encombrant du journaliste.

10) Le repenti Kondilis a fait des déclarations qui sont grossièrement contradictoires. Il a déclaré au procès qu’il avait rencontré Yotopoulos dans certains lieux publics, alors que dans une interview au journal "Ethnos" il prétendait ne l’avoir jamais connu.

11) Le fait que Yotopoulos vive sous un nom d’emprunt a été l’argumentaire pour prouver qu’il était le chef du 17N, comme si la seule raison pour vivre de cette manière était une implication dans le 17N. L’usage par Yotopoulos durant plus de vingt années du même nom d’emprunt ne peut être considéré comme une couverture le protégeant vraiment, dans l’hypothèse où il aurait effectivement été le chef du 17N. D’autant plus que la falsification de ses papiers était très grossière. Yotopoulos, d’ailleurs, ne se cachait pas. Le fait que, deux années auparavant, sa compagne ait porté plainte pour des démêlés avec la mairie de l’île de Lipsi portant sur la couleur de sa maison, et qu’il ait lui-même donné des interviews à ce sujet à la radio, le montre de la meilleure manière.

12) Enfin la culpabilité morale devrait se baser sur des évènements et des éléments précis pour chacune des neuf-cent-soixante-trois actions qui sont reprochées à Yotopoulos (d’après la jurisprudence grecque précédant la loi anti-terroriste, un "instigateur moral" A doit avoir convaincu un inculpé B avec une "argumentation lourde et insistante" à assassiner C, ou à commettre tel ou tel vol ou attentat). La notion de culpabilité morale générale renverse complètement la jurisprudence grecque fondée sur l’examen précis de chaque fait délictueux

Tandis que le président faisait étalage de culture et d’humour déplacés, le procureur faisait montre d’un maccarthysme outrancier, interrompait sans cesse les dépositions des inculpés (surtout celles de Yotopoulos), provoquait perpétuellement avec agressivité et lançait des "vous êtes couvert de sang", afin de masquer un réquisitoire cousu du fil blanc des services antiterroristes.

La question, que l’on a souvent posée avec hypocrisie, "pourquoi cibler Yotopoulos ?" trouve une réponse facile. Yotopoulos était vulnérable puisqu’il portait tout le poids de son nom d’emprunt, puisqu’il n’appartenait à aucun parti ou réseau qui aurait pu le soutenir, et qu’il avait posé une bombe, à l’époque de la dictature, dans l’ambassade américaine à Athènes (une bombe qui n’avait causé que des dégâts matériels).
Sur la base de ce qui précède, l’injustice faite à Yotopoulos est manifeste. Même dans la jurisprudence américaine, il aurait fallu démontrer sa culpabilité "beyond reasonable doubt", le moindre doute aurait mené à sa relaxe quelle que soit l’opinion de l’ambassadeur américain ou des médias.

3. L’illégalité de la procédure d’enquête préliminaire : le cas de Savas Xiros

Les questions qui résultent du processus suivi à l’hôpital Evanghélismos sont les suivantes.

1) Arrêté après l’explosion dans ses mains de la bombe qu’il voulait déposer, Savas Xiros a été placé en isolement durant quarante jours. Pratiquement aveugle, sourd, amputé de la moitié d’une main, il a subi opération sur opération, pendant 15 jours au moins. Son interrogatoire a commencé dès le 5ème jour dans la salle des soins intensifs, sans présence d’avocat et sans statut juridique. Aucun témoin (c’est ainsi que les autorités le présentaient, à l’époque) ne peut être ainsi détenu. Personne ne peut sérieusement mettre en doute le fait que Savas Xiros ait été à ce moment-là un détenu. Lorsqu’ils ont pu le visiter, il était interdit à ses parents de discuter avec lui de sujets qui ne concernaient pas ses problèmes de santé .
Cette pratique est anti-constitutionnelle : si les autorités avaient émis un mandat d’arrêt contre Xiros, celui-ci aurait dû être remis aux autorités judiciaires, et l’on n’aurait pas eu la possibilité de l’interroger dans un régime d’isolement complet, au secret.

D’où la question : pourquoi le tribunal de Korydallos a-t-il fermé les yeux sur tout ce processus, pourquoi n’a-t-il même pas pris en compte les témoignages de personnes d’Evanghélismos, qui ont témoigné que Savas Xiros était interrogé chaque nuit du 5 jusqu’au 11/7/2002, date à laquelle il aurait officiellement donné ses premiers aveux ? Et la réponse : si le tribunal avait accepté cette vérité, il lui aurait fallu rechercher le matériel d’au moins sept dépositions de Savas, qui ne figurent pas dans le dossier d’accusation.

Cette manière de procéder des autorités antiterroristes avait pour but de mettre l’accusé dans un régime de négociation forcée avec les autorités de poursuite, de faire en sorte qu’il se sente détenu pour un temps indéfini, sans aide, avec un futur incertain, sans assistance juridique, et donc sans pouvoir être dans l’état de connaître les vraies données et d’apprécier ses choix sans influence, pour qu’il ne puisse tracer une stratégie de défense, ou une autre. C’est donc le droit d’une personne à ne pas s’auto accuser qui a été transgressé, un droit fondamental dans un état de droit (aux Etats Unis, il s’agit du cinquième amendement à la constitution).

La loi antiterroriste transgresse d’ailleurs ce droit via les « mesures d’indulgence », qui constituent essentiellement un chantage indirect sur la conscience de chaque personne arrêtée, un chantage relatif à sa stratégie de défense . On peut faire bénéficier chaque accusé des avantages de la loi, en le mettant de facto devant la possibilité « légale » de donner même des personnes sans rapport. En conséquence le cadre institutionnel et la pratique des autorités ont transgressé les droits.

2) Est-il possible de ne pas émettre un mandat d’arrêt pendant 40 jours, quand le magistrat instructeur aurait dû lui rendre visite dans les 24 heures qui ont suivi son arrestation, et lui permettre d’effectuer sa déposition devant un avocat ? Est-il possible que son apologie ait été enregistrée par une autorité incompétente, le procureur et le policier, et non le juge ?

3) Est-il possible que quelqu’un prétende que Savas Xiros ne voulait pas d’avocat, alors que son père (qui est pope) venait continuellement avec un avocat mandaté par ses soins et que les gardiens les renvoyaient continuellement ? Pourquoi n’ont-ils pas laissé témoigner le père de Xiros au tribunal, pourquoi son témoignage a-t-il été refusé sous le prétexte de l’obstacle du serment (le pope ne voulait pas prêter serment sur les textes sacrés) ?

4) Pourquoi n’a-t-on pas transmis aux avocats le dossier complet de son hospitalisation, et pourquoi la demande de la défense pour obtenir des examens par un scanner spécial (ces examens auraient pu montrer les interventions continuelles sur la situation mentale de Savas Xiros) a-t-elle été refusée par l’hôpital ? Pourquoi le tribunal a-t-il refusé d’intervenir sur ce sujet ?

5) Comment se peut-il que le tribunal ignore le mémorandum de médecins, M. Nestoras et Mme Valianatou, qui déclarent clairement que Savas Xiros a subi un traitement ayant pour but d’obtenir que ses réactions se plient durant la procédure préliminaire illégale ?

6) Comment se peut-il que le tribunal refuse d’apprécier comme une torture et comme une pratique illégale (donc juridiquement inadmissible) le fait d’interroger plusieurs heures durant un moribond polytraumatisé, ayant subi un choc majeur, et qu’il n’accepte pas de considérer que pour cette raison il y a une très grande probabilité (si ce n’est la certitude) que les prétendus aveux de Xiros soient ou dirigés ou inexacts (puisqu’il souffrait du syndrome des soins intensifs, un état qui provoque des troubles psychiques induits par la réanimation (TPIR)), et ce alors que le médecin d’Evanghélismos, M. Pitaridis, a déposé au tribunal que, s’il avait été lui-même présent, il n’aurait pas laissé le chef et le magistrat attaché à la brigade antiterroriste, M.M. Syros et Giotis, réaliser leurs neuf ( !!) « visites amicales » pendant les 10 premiers jours cruciaux pour le patient ?

7) Que sont devenus les films des dépositions de Savas Xiros, et pourquoi le tribunal n’a-t-il pas voulu enquêter sur les publications relatives à cette question, parues à l’époque ?

8) Comment se fait-il que Savas Xiros présente deux longues cicatrices sur la poitrine (qu’il a montrées au tribunal) causées par un acte chirurgical, acte qui ne figure pas dans son dossier médical, et dont personne n’a expliqué la raison ?

5. En manière de conclusion

C’est de cette manière que les services antiterroristes ont monté l’affaire du 17N, une affaire qui normalement aurait dû se réduire en poussière devant le tribunal. Tout a commencé d’une manière illégale par la torture de Savas Xiros, il ne s’agissait pas seulement de l’exercice de tortures physiques et psychologiques, mais aussi de sa mort psychique, on l’a transformé en instrument soumis, sans jugement ou volonté, prêt à signer ce qu’on mettait devant lui. Un tribunal qui recherche la vérité, s’il a de telles données dans ses mains, et s’il est véritablement fidèle à quelques valeurs juridiques et démocratiques du passé, doit prendre la décision courageuse de rejeter tout le matériel préliminaire pour s’appuyer sur ce qui est présenté devant lui durant la procédure. Parce que personne ne peut distinguer ce qu’est le vrai de ce qui est construit dans ce que les services antiterroristes ont présenté. Et cela, non seulement le tribunal ne l’a pas fait, mais il s’est appuyé très fortement sur la procédure préliminaire des aveux illégaux.
Savas Xiros a été « utilisé », d’une manière complètement instrumentale, on lui a fait dire des vérités et des mensonges : avec les vérités on parviendrait à atteindre des « maillons faibles » de cette organisation, fragiles et prêts à collaborer avec la police, et avec les mensonges on pourrait renforcer l’accusation contre les acteurs fondamentaux (et surtout contre le chef hypothétique, qui était l’idée fixe des services secrets anglais et américains).

L’ardeur du tribunal à sauver la validité des aveux préliminaires a eu comme résultat que le jeune Dionysis Georgiadis pour lequel le dossier ne comporte aucun élément, même fabriqué, soit condamné à une lourde peine. Parce que, si les juges avaient fait l’exception de l’innocenter, toute la construction autour de la validité des aveux préliminaires risquait de s’écrouler. Une injustice de la même nature a frappé Iraklis Kostaris, qui a fourni des alibis pour toutes les mises en cause le concernant (qui viennent uniquement d’aveux des repentis) et pour toutes les actions pour lesquelles il était accusé, sauf une : le tribunal l’a condamné à la perpétuité.