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Le raid éclair des Coréens sur le groupe Aker Yards (chantiers navals de l’Atlantique)
Publie le mercredi 24 octobre 2007 par Open-PublishingAker Yards compte 18 chantiers et 20.000 salariés
L’impensable est donc arrivé. Dans la nuit de lundi à mardi, STX Shipbuilding s’est emparé d’Aker Yards, leader européen de la construction navale civile. Le groupe sud-coréen a racheté, pour 800 millions de dollars, 39.2% du propriétaire des ex-Chantiers de
l’Atlantique. Il en devient le principal actionnaire et en prend le contrôle. Pour s’assurer la maîtrise des 18 chantiers d’Aker Yards, répartis en France, en Finlande, en Norvège, en Allemagne, en Roumanie, en Ukraine et au Brésil. STX Shipbuilding a opéré par surprise.
En restant sous le seuil des 40%, il n’avait en effet pas l’obligation de lancer une Offre Publique d’Achat (OPA). Le Sud-coréen a profité du morcellement très important du capital d’Aker Yards depuis le désengagement progressif de Kjell Inge Rokke. A la tête d’Aker ASA, la maison mère d’Aker Yards, l’homme d’affaires norvégien avait décidé de se séparer, au plus fort de la vague, de ses chantiers navals. Après avoir réduit sa participation de 75% à 40.1% entre l’été 2006 et l’hiver 2007, Aker ASA avait vendu le reste de ses actions en mars dernier. Avec pour principaux actionnaires des banques et des fonds d’investissements, Aker Yards présentait un capital totalement éclaté. Ainsi, au lendemain
de la cession, le plus gros actionnaire, le groupe suisse UBS (United Banks of Switzerland), ne regroupait que 11.57% des parts.
Syndicats et salariés très inquiets
Mardi matin, la nouvelle a fait l’effet d’un « choc » aux chantiers de
Saint-Nazaire, vendus l’année dernière à Aker Yards par Alstom. Des
temps de pause nettement plus long qu’à l’ordinaire ont été constatés,
les salariés commentant la nouvelle et tentant de décrypter les
intensions de ce nouveau patron venu d’Asie : « Il y a beaucoup de
questions et une certaine inquiétude. C’est un jeu de Monopoly qui s’est
déroulé au dessus de nos têtes », indique-t-on à la CFDT. Le syndicat
déplore le manque d’esprit industriel des investisseurs européens qui
ont cédé aux sirènes coréennes. Pour s’adjuger 39.2% d’Aker Yards, STX
Shipbuilding a, en effet, proposé un prix d’achat de 97 couronnes
norvégiennes (12.6 euros) par action contre 67 couronnes (8.7 euros) au
dernier cours, soit une plus value de 44%. « Aucun groupe français ou
européen n’a vu d’intérêt à investir dans la construction navale
européenne, malgré un chiffre d’affaires de 13 milliards d’euros et une
très forte croissance industrielle. Quelqu’un arrive, demande si on veut
gagner un peu d’argent et tout le monde vend. Les actionnaires banquiers
européens ont semble t-il fait un très gros profit mais on voit bien que
les responsabilités sociales, tout le monde s’en fout », dénonce un
responsable syndical.
Les paquebots en ligne de mire ?
Leaders mondiaux de la construction navale, les chantiers coréens,
structurés autour des groupes Hyundai, Samsung, Daewoo et STX
Shipbuilding, dominent le marché des navires marchands.
Porte-conteneurs, vraquiers et méthaniers sortent par dizaines, chaque
année, de leurs cales. La montée en puissance des industriels chinois
sur ce type de bateaux, réalisés à moindres coûts, fait néanmoins
craindre aux Coréens, depuis plusieurs années, une concurrence qui
finira par affecter significativement leurs parts de marché. Soutenus
par leur gouvernement, qui a annoncé il y a quelques mois une aide
massive pour les aider à progresser dans l’échelle de valeur, les
chantiers sud-coréens visent désormais les navires à passagers. Ils
buttent, néanmoins, sur une faible expérience dans ce domaine, ce qui
inquiète précisément les salariés d’Aker Yards : « Est-ce le moyen pour
la Corée de piller le savoir-faire et les technologies de notre
entreprise ? », s’interroge la CGT, qui estime que « la présence de ce
pays sur le marché des paquebots risque à moyen terme de devenir une
véritable menace pour toute la construction navale européenne ». En
Corée du sud, Samsung a déjà réalisé plusieurs ferries livrés depuis
2001 à Minoan Lines et Norfolkline mais ces contrats ont généré des
pertes. Le groupe, qui souhaite se positionner dans la prochaine
décennie sur les paquebots, poursuit ses efforts sur les ferries avec
une nouvelle commande de deux unités pour la compagnie suédoise Stena
Line. STX Shipbuilding a également annoncé son intention de se
développer sur le secteur du transport de passagers. Le groupe a
notamment développé un design de ferry portant sur un bateau de 118
mètres de long et 9300 tonnes. Pour assurer la croissance de ce segment,
STX pourrait s’appuyer sur les compétences des chantiers finlandais
d’Helsinki et Rauma, spécialistes européens des ferries.
La problématique des navires militaires
Les navires à passagers ne sont pas la seule problématique à prendre en
compte dans le cadre de la prise de contrôle d’Aker Yards par STX
Shipbuilding. Le groupe européen est, également, présent sur le secteur
du naval militaire. Alors que ses chantiers finlandais travaillent sur
des unités légères, type patrouilleurs ou dragueurs de mines,
Saint-Nazaire a conçu et réalisé, en coopération avec DCNS, les
Bâtiments de Projection et de Commandement (BPC) Mistral et Tonnerre,
concept prometteur sur le marché à l’exportation. Quelles conséquences
et quels risques sur une appropriation, même partielle, des études
réalisées sur un tel projet ? « Il faut en faire l’analyse. Ce rachat
est à regarder de près », commentait hier Jean-Marie Poimboeuf, le
président de DCNS. En dehors des BPC, le groupe naval de défense
travaille également avec Aker Yards sur la conception du second
porte-avions de la Marine nationale, un bâtiment étudié en coopération
avec la Grande-Bretagne et dont on attend prochainement la commande. Le
schéma jusqu’ici retenu prévoit une construction du PA2 à Saint-Nazaire.
Là encore, il reste à voir si l’arrivée des Coréens peut avoir une
incidence sur le programme. La CFDT s’interroge : « Quelle indépendance
stratégique lors de la réalisation de contrats de navires militaires,
type porte-avions ? Dans ce grand jeu de Monopoly, quel pouvoir et
quelle volonté des Etats et des collectivités territoriales ? »
STX Shipbuilding
Les compétences militaires du groupe Aker Yards devraient sérieusement
intéresser STX Shipbuilding, tout comme les paquebots, navires marchands
et bateaux offshores de ses autres divisions. Créé en 1962, le Coréen
est le 7ème groupe mondial de construction navale. Il travaille
principalement sur des unités de moyen tonnage, porte-conteneurs,
cargos, chimiquiers, tankers et méthaniers de 30 à 80.000 tonnes. STX
dispose également d’une branche dédiée aux navires de guerre. Le groupe
propose deux gammes, articulées autour d’un patrouilleur lance-missiles
de 61 mètres et 500 tonnes, ainsi que d’une corvette de 89 mètres et
1500 tonnes. Cette dernière est assez intéressante car son architecture
peut rappeler celle des toutes nouvelles corvettes allemandes du Type
130 (classe Braunshweig). Il s’agit là d’une concurrente directe de la
Gowind de DCNS. Le groupe français, qui avait rejeté en 2004 tout
rapprochement avec les Chantiers de l’Atlantique, alors détenus par
Alstom, devrait donc suivre de très près les manoeuvres coréennes dans
Aker Yards. Hier, lors du baptême du premier Scorpène pour la Malaisie,
Jean-Marie Poimboeuf appelait à la vigilance quant à la montée en
puissance de la concurrence asiatique sur le secteur des sous-marins : «
Nous devons continuer à faire de très bons produits techniquement et à
nous améliorer sur les coûts car la compétition est de plus en plus
vive. Les Chinois seront sur le marché demain mais les Coréens sont déjà
là ». Cette crainte de l’industrie navale militaire n’est pas sans
rappeler la vision d’Aker Yards, il y a seulement quelques mois. Prenant
la menace coréenne sur les navires de croisière « très au sérieux », un
dirigeant du groupe civil avait martelé que les chantiers européens « ne
se laisseraient pas faire ». Pourtant, avant même d’avoir combattu, le
n°1 européen est déjà tombé.




