Accueil > Le syndicalisme en quête de rebond
de Michel Noblecourt
Dans une unité presque parfaite, et avec un appel commun à la clé, les cinq confédérations représentatives CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC organisent, mardi 4 octobre, une journée nationale d’action et de mobilisation, où il sera question de développement de l’emploi et du pouvoir d’achat, de lutte contre la précarité et de défense des "droits collectifs et individuels" des salariés.
Un registre classique pour ce rituel d’automne, où les centrales seront rejointes par la FSU, l’UNSA et l’Union syndicale Solidaires, et soutenues par le "mouvement social" et la gauche politique.
Il s’agira de surcroît de la première action interprofessionnelle unitaire depuis le référendum du 29 mai, qui a provoqué des clivages entre syndicats et une crise à la CGT. Quatre mois après une victoire du non, qui a aussi été le fruit des "peurs sociales", mais n’a engendré aucune dynamique revendicative, les syndicats tentent de convertir la colère électorale en grogne sociale.
Le 4 octobre sera aussi une cure de revitalisation pour un syndicalisme en quête de rebond. Une promenade de santé pour des syndicats qui ont besoin de sortir de leur torpeur.
Depuis l’arrivée de Dominique de Villepin à Matignon, au lendemain du référendum, les syndicats ont été dans l’incapacité de contrecarrer sa politique. Ils se retrouvaient pour dénoncer la "fuite en avant libérale", mais restaient tétanisés.
La meilleure illustration en est le contrat nouvelles embauches (CNE) ce contrat à durée indéterminée hors normes qui permet à l’employeur de congédier le titulaire, sans avoir à se justifier, durant une période de deux ans , entré en vigueur depuis deux mois.
Ce sera l’une des principales cibles des slogans du 4 octobre, alors que les syndicats, sans grandes illusions, essaient d’en venir à bout à coups de recours devant le Conseil d’Etat.
A beaucoup d’égards, les signes de crise sociale, amplifiés par le vote du 29 mai, sont toujours là. La société reste taraudée par l’exclusion et les inégalités. C’est sur fond d’insécurité sociale persistante que le chômage a enregistré, fin août, son cinquième recul consécutif mais, avec un taux de 9,9 %, il reste très élevé.
Dans sa note de conjoncture sociale de septembre, Entreprise et personnel, une association de directeurs de ressources humaines, parle même de "baisse en trompe-l’oeil", en observant que "ces chiffres ne sont hélas pas le signe d’un retour significatif des créations d’emplois".
Si le pouvoir d’achat du revenu disponible devrait s’améliorer en 2005, avec une hausse de 1,7 % (contre + 1,4 % en 2004), les ménages modestes ont le sentiment, accentué par le renchérissement des coûts de l’énergie et du logement, que leurs poches se vident. Les comptes de la Sécurité sociale et de l’Unedic, en attente d’une négociation sur une nouvelle convention, sont dans un état calamiteux.
Le conflit entre les syndicats et M. de Villepin porte d’abord sur la méthode. Le premier ministre ne s’est pas borné à toucher au code du travail par ordonnances, il n’a pas respecté l’"engagement solennel" de la loi du 4 mai 2004 sur le dialogue social de "renvoyer à la négociation nationale interprofessionnelle toute réforme de nature législative relative au droit du travail".
Pour se différencier des pratiques de la gauche de 1997 à 2002, le gouvernement entendait appliquer un principe en vigueur dans l’Union européenne selon lequel "toute réforme substantielle modifiant l’équilibre des relations sociales doit être précédée d’une concertation effective avec les partenaires sociaux et, le cas échéant, d’une négociation entre ceux-ci".
Cette primauté du contractuel sur le législatif devait même faire l’objet d’une "charte de méthode", que devait élaborer la Commission nationale de la négociation collective, où siègent patronat et syndicats, et qui n’a jamais vu le jour...
Or sur l’emploi, M. de Villepin a écorné le code du travail, d’abord avec le CNE réservé aux entreprises de moins de 20 salariés, qui sont des déserts syndicaux. Dans la même veine, il a autorisé les employeurs à ne pas compter les jeunes de moins de 26 ans dans leurs effectifs pour les seuils sociaux. En lieu et place d’une "concertation effective", il s’est livré à un exercice de déploiement de chiffons rouges.
La situation est cependant paradoxale. Si le mécontentement social est réel, le premier ministre n’est pas rejeté comme l’avait été rapidement Jean-Pierre Raffarin. Au contraire, il ne cesse de gagner des points en popularité un sondage Sofres- Le Figaro Magazine le place même, avec 48 %, devant Nicolas Sarkozy (47 %) , comme si l’opinion lui donnait crédit de vouloir vraiment lutter contre le chômage. Par contraste avec l’ultra-libéralisme de son ministre de l’intérieur, son "social-villepinisme", qui ne cherche pas à démanteler le modèle social français, lui permet, malgré de sérieux ratés sur la gestion des dossiers d’Hewlett-Packard et de la SNCM, de marquer des points.
En termes de mobilisation, le 4 octobre a toutes les chances d’être réussi. Les syndicats ont mis le paquet, en veillant à la présence du secteur privé. Cette "journée-soupape" rendra visible et canalisera le mécontentement. Mais le succès sera très relatif. Lors de la Journée interprofessionnelle du 10 mars, les syndicats disaient rassembler 1,5 million de manifestants, soit... 4,6 % des salariés.
Un dirigeant de la CGT, Jean-Christophe Le Duigou, proche de Bernard Thibault, en fait le constat personnel dans son livre Demain le changement (Armand Colin, 267 p.) : "Les mouvements revendicatifs qui trouvent depuis dix ans un large écho auprès de la population n’arrivent pas à réellement déboucher sur de grands succès revendicatifs. Ils n’expriment qu’imparfaitement les espoirs du salariat." Le meilleur scénario pour le gouvernement est que ce soit une journée exutoire. Les syndicats, qui n’ont aucune illusion sur un retrait du CNE, chercheront pour leur part à continuer d’orchestrer la grogne.
Mais en manifestant lors de journées d’action avec une petite minorité du salariat, ils ne sont pas à l’abri des dérapages, comme en Corse où, dans le conflit de la SNCM, à l’initiative du Syndicat des travailleurs corses (STC), radical et nationaliste, les actes de violence et de piratage se sont enchaînés. Appuyant le détournement du Pascal-Paoli , Annick Coupé, porte-parole de Solidaires, a averti : "Si nous ne sommes pas entendus, les actions de masse ne peuvent que se développer et s’accompagner d’actes naturels et spontanés de désobéissance civile." Et l’association Entreprise et Personnel s’inquiète justement d’une "radicalisation d’autant plus dangereuse qu’elle est d’abord rampante et discrète".
Pour autant, les syndicats savent que leur rebond ne viendra pas de la seule protestation, mais de leur capacité à proposer et porter des réformes. Des pistes existent. Lors d’un débat inédit, dans L’Express du 15 septembre, Bernard Thibault (CGT) et François Chérèque (CFDT), au-delà de leurs divergences, se sont déclarés prêts à réformer le code du travail et le modèle social.
Et quand M. Le Duigou, animé par "un besoin objectif de mutation", cherche à "définir une nouvelle architecture et un nouveau mode de production de la norme sociale et économique", l’idée pourrait donner lieu à une réflexion intersyndicale. Encore faut-il que le syndicalisme retrouve des interlocuteurs. M. de Villepin verra-t-il l’intérêt pour son image de nouer un vrai dialogue social ? La présidente du Medef, Laurence Parisot, prête à des négociations sociales et "sociétales", écoutera-t-elle Jacques Dermagne, président du Conseil économique et social, qui milite inlassablement pour la reconstruction d’un "pacte social" ? Les acteurs sociaux auraient avantage à faire bouger le paysage.