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Les Comores à l’heure du porte à porte

Publie le dimanche 22 novembre 2009 par Open-Publishing

Des dirigeants courbant l’échine, toute honte bue...

Ils auront travaillé comme des chefs durant cette année 2009. « Ils », ce sont les ennemis de la nation comorienne. Ils auront scié jusqu’aux branches où s’asseyent les derniers patriotes. Et s’il reste encore quelque souffle au citoyen de ces îles, c’est peut-être au creux de ses mains qu’il se niche. Comme la petite flamme d’une tige d’allumette malmenée sous le vent mauvais, ce souffle se maintient dans la fragilité d’un royaume éphémère. Qui a parcouru ces trente dernières années dans la houle des matins de défaite saura de quoi il retourne dans ces phrases. Il n’est pas besoin de brosser un dessin pour comprendre que nous ravalons notre honte en public dans le silence de l’indignité, désormais. Nous parlons de défaite, de défaite cuisante, d’un peuple habilement défait. Des frères et sours d’hier s’étripant à coup de discours haineux. Des dirigeants courbant l’échine, toute honte bue, face à l’adversité, redevenue omniprésente.

Des têtes pensantes renonçant aux corps à corps qui nous relient à la complexité du monde. Les Comores foutent le camp, et nous n’aurions même plus ce droit de l’écrire.
Il y a ceux qui mahorisent comme jamais, et ceux qui se la racontent et mystifient comme jadis. Les premiers parlent de nouvelle donne d’archipel à inventer dans un silence de morts sous kwassa, les seconds s’inquiètent de ne plus saisir le sens d’une conquête coloniale entreprise avec une mise de départ qui dépasse à peine les mille piastres. Dans tous les cas, la bête est soumise et ne s’en plaint plus. Colonisation, néo-colonisation, décolonisation ratée. Les mots n’ont que la valeur qu’on leur donne. Il nous arrive d’exprimer un certain malaise, lorsque nous nous sentons insultés par leur seule présence, lorsqu’ils incarnent la négation de ce que nous sommes. C’est alors que nous fabriquons une explication de derrière les fagots et avançons des hypothèses, en espérant saisir le sens de ce qui nous broie le visage, tout en rassurant l’assemblée des curieux, amassée autour des Comores. Nous voudrions comprendre sans la moindre amertume dans le regard, même si nous continuons à nous enfoncer sous l’eau, le pays avec nous. En prenant cette année 2009 comme référence, nous verrons qu’elle aura été difficile pour les défenseurs d’une communauté d’archipel au destin apaisé. Certains d’entre eux finissent encore de mordre la poussière.
Deux événements seront à retenir. Celui du 29 mars, date à laquelle les Mahorais, une nouvelle race d’insulaires en expansion, appelée à se dissoudre dans l’ultra-périphérie de l’Europe unie, se sont décidés à jouer à la roulette russe sous un ciel dégagé. Ils prétendent contourner le marécage comorien, leur destin étant déjà comptabilisé ailleurs. Ce qui signifie qu’ils reconnaissent l’essentiel de ce qui a été rendu comme justice par la France en ces îles, à savoir séparer et diviser pour mieux régner. Les Mahorais ne sont pas assez idiots, n’en déplaise à qui ne les aime pas, pour ne pas savoir que c’est grâce à la mise en pièce de tout un ensemble archipelique qu’ils sont devenus ce qu’ils sont. Leur choix lors du référendum de 1974 annonçait les coups bas, les putschs et les assassinats en tous genres perpétrés par la France des réseaux sous ces Tropiques. Mahorais ils voulaient être, Mahorais ils le sont restés, en se constituant complices de toutes les forfaitures commises par l’adversité coloniale. Drôle de voir qu’aujourd’hui les polices aux frontières de l’Union des Comores les obligent à prendre la nationalité comorienne. Ce qui les autorise à aller et venir chez nous, pendant que nous, nous devenons persona non gratta une fois passée le mur de leurs frontières françaises.
Il faudrait être con pour ne pas s’apercevoir du service que nous leur rendons. Nous leur ouvrons grandes nos portes pendant qu’ils referment en clair les leurs. Ils n’existent quasiment pas, les Comoriens à qui on offre sans protocole une carte de séjour mahoraise sur le tarmac de Dzaoudzi contre un peu de cash et quelques vieux discours sur la fraternité passée. A l’aéroport du Prince Said Ibrahim, les flics frontaliers sont ravis de pouvoir faciliter le passage aux Mahorais, en les obligeant à bénéficier d’une carte d’identité nationale comorienne. Risible histoire d’une folie collective en perspective. Le deuxième événement que nous retiendrons cette année, c’est celui relatif au discours prononcé par le président Sambi à la 64ème assemblée générale des Nations Unies, où nous apparaissions comme pantins en foire. Il y a parlé de la possibilité pour nous de chiffrer le rapport entretenu avec la France sous forme d’annuités à verser au trésor public. Une rente possible, qui lui évitera peut-être un attentat présidentiel, en bout d’accord. Des chiffres à négocier contre l’odeur des cadavres encore fumants sous l’eau entre Ndzuani et Maore au rythme du visa Balladur. Des chiffres censés rassurer l’ennemi sur plusieurs décennies d’existence, en nous ménageant la possibilité d’arracher quelques dividendes dans la mise en vente réelle de nos âmes. Car Sambi, par ce geste, risquait de remettre en cause lui-même l’intégrité territoriale du pays, en admettant (singulièrement) l’idée d’une seconde administration (étrangère) de l’Etat comorien. De quelle souveraineté parlions-nous jusqu’à présent ? La question mériterait une réflexion plus ouverte, engageant tous les citoyens à se prononcer. Un vrai débat public.
La France de Sarkosy, elle, elle en a fortement rigolé. Nous, un peu moins. Car le cimetière, lui, s’agrandit, sous le bras de mer reliant l’Union des Comores à Mayotte française, pendant ce temps. Pour qui oublie que l’économie comorienne a longtemps été entre les mains de l’occupant, avant de s’effondrer telle la baudruche des lendemains de fête de plantation, la perspective de louer Maore aux Français pourrait paraître intéressante, d’autant plus que nous devinons ce que les Mahorais, peuple en souffrance suite au trop plein de Comoriens transplantés dans ses veines, ne savent qu’à demi mots. La France, contrairement à tout ce que l’on a raconté jusqu’alors, se fait des couilles en or, soyons vulgaires jusqu’au bout, en demeurant le seul maître de ce poste avancé de la mer indianoceane. Nous pourrions parler de sa centrale d’écoute, classée secret-défense, et sur laquelle aucun fouille-merde, dût-il s’appeler Pierre Caminade, militant français du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, n’aurait le droit d’aligner une question. Pour dire le fond de la chose, les Mahorais ne savent pas à quelle sauce on les mange sur la Petite-Terre. Toutefois, ils sont loin d’être fous. Ils exigent les avantages de la soumission. Car ils imaginent bien que la France ne continuerait pas à battre ses cartes diplomatiques sur ce bout d’archipel sous contrôle sans raisons. Il savent qu’il existe un enjeu supérieur à tous les autres, même s’ils ne le ne maitrisent pas, qui explique ce viol d’une terre insulaire. Ils reconnaissent leurs limites là où l’adversaire colonial rabat les cartes avec agilité et rouerie, et exigent en échange de leur mutité surfaite un bon paquet d’euros à dépenser dans le consumérisme le plus baroque.
Le souci avec les Mahorais, comme avec les Comoriens, en général, c’est qu’aucun citoyen de cet archipel n’arrive à dénouer le fil des intérêts profonds de la France d’une manière efficace et autrement visible. Il y en a même qui disent que c’est parce qu’elle nous aime qu’elle demeure là. Ce qui amène à répéter quelques fondamentaux à qui veut bien l’entendre. La France aux Comores n’a jamais été une nation amie. Elle a annexé, rusé contre les uns, tué d’autres, torturé comme à la gégène, revendu ce qu’elle pouvait, corrompu les meilleurs d’entre nous, escroqué les plus vulnérables. La liste est longue. Ce qui explique que la plupart se contente de parler de ce pays comme d’une victime effarouchée et trahie par une puissance assise dans le vaste concert des nations. Nous ne parlons jamais de ce que nous pourrions réellement entreprendre pour se jouer des failles de son système. Car il en a, des failles, bien que nous n’ayons jamais été assez malins pour en l’affaiblir dans son élan. Tout comme nous nous sommes montrés incapables de fraterniser plus longuement avec ceux qui épousaient notre cause au lendemain des premières indépendances déclarées de l’Afrique contemporaine. Nous n’aurions même plus d’amis pour cette cause comorienne mise sous scellée par la France. D’ailleurs, nous nous avouons tout aussi incapables de confondre l’adversaire avec le sang de nos propres morts, ses victimes, qui ne s’appellent pas tous Ahmed Abdallah, Taki Abdulkarim ou Ali Soilih, loin de là. La majeure partie d’entre eux n’ont même pas eu à mourir sous les balles des mercenaires, français, et autres hommes de main des réseaux. La majeur partie de ceux qui sont tombés, l’ont été pour service non-rendus à l’intérêt général, et pour cause de précarisation avancée de la grande partie de l’archipel par un ennemi devenu trop malin au fil du temps.
Le résultat nous a rendus sages et muets. Seuls agissent encore ceux qui traînent leurs guêtres aux pieds du monstre, en trahissant les leurs. Ils sont nombreux, les Comoriens qui marchent sur leurs morts et travestissent leur mémoire en partage. Mais qui ose encore le signifier à l’opinion ? A la grande opinion de ceux qui font mine de ne rien percevoir de cette dure réalité ? Qui se donne encore la peine de se mirer dans le rétro ? Le passé nous dérange par cette capacité qu’il a de nous rappeler à notre dignité rompue. Nous fûmes capables un jour de dire non à un destin servile, et il y a de cela très longtemps. Aujourd’hui, nous évitons de mentionner jusqu’au mot « liberté » dans nos discours par peur du quotidien, et pour ménager le poids de nos destins fragilisés. Personne ne veut ou ne souhaite faire le lien entre la misère du pays et le fait que l’adversaire nous a longtemps mis à l’amende dans l’idée d’écraser toute contestation possible. Comme nous, vous avez dû entendre claironner partout que les Mahorais ne veulent plus être Comoriens, parce que nous finissons pauvres, mendiants et arriérés. Ils auraient pu dire que nous sommes le degré zéro de ce qu’ils sont devenus, des moutons de Panurge. Mais non ! Car le déni de soi s’accompagne chez eux de cécité volontaire et de sourires malencontreux, pendant que s’accumulent les malentendus de la relation coloniale. Ainsi s’épaissit le mystère qui veut que nous nous écrasions dans la douleur sourde des matins de défaite, en applaudissant le bourreau. Une internaute, française, d’origine comorienne, nous écrivait il y a peu pour savoir si, au-delà de sa naïveté (selon ses propres termes) et de son incompréhension des enjeux en place, nous pouvions lui expliquer pourquoi nous étions si négatifs à l’égard de la France aux Comores. Nous, on s’est demandé si elle avait écrit à l’ambassade de France à Moroni ou au Quai d’Orsay à Moroni pour savoir les raisons de tant d’acharnement dans l’histoire envers un petit pays, qui ne demande qu’à s’affranchir de sa pauvreté ? A écouter Cassandre et ses faux amis, tout serait de notre faute. La conquête, l’annexion, les coups d’Etat, les déstabilisations économiques, les rêves de miséreux. C’est nous qui avons sans doute cherché à ce que la France se déplace et traverse 12.000 kilomètres de distance pour venir se conduire ici en prince des royaumes oubliés. Autrement dit, nous avons exagéré en 1975, en exigeant notre droit à la liberté des peuples, notre souveraineté. Pas étonnant qu’elle se soit retournée contre nous ensuite, transformant l’indépendance autoproclamée en une forme de « dépendance » plus ou moins assumée par tous.
Produire du discours. Mais quel discours contre qui ? Nous aurons remarqué que nos intellectuels et nos cadres se mettent peu à peu au service du plus fort et lui fournissent même des arguments contre ce qui fut leur patrie de naissance, en échange de quelques services rendus, à leur seul bénéfice. Nous aurons aussi remarqué que nos leaders d’opinion, toutes catégories confondues, s’invectivent en public dès qu’il s’agit de sabrer à même la carrière d’un des leurs, éventuel opposant dans les nombreux rings de la politique intérieure, mais qu’ils ravalent leur salive dès lors qu’il s’agit d’affronter l’ennemi extérieur, comme si l’avenir de ce pays n’était pas le même, quel que soit le bout d’archipel pris à la loupe. De nos jours, seuls se distinguent vraiment ceux qui revendent les bijoux de famille en douce, en se disant qu’ils ne seront pas là à l’heure du tragique bilan de fin de partie. Ils seront morts à l’heure de ce triste bilan et auront bien profité de leur frêle existence au pouvoir. Nos concitoyens se rendent-ils compte que ce pays cessera un jour d’exister, simplement parce que des générations d’hommes auront cédé à la promesse de quelques paquets de billets de banque ? Nous, nous voulons douter de notre capacité à inventer de nouvelles formes de résistance contre la mise à mort annoncée de l’archipel. De notre capacité à faire sentir que la bête, certes, agonise, mais n’est pas morte, et peut encore se relever de sa chute. En cette année 2009, il est vrai, il aura suffi d’un petit geste à certains pour se donner une figure contestataire aux yeux de l’opinion, mais, ces gens, la France s’occupe de les affaiblir dans leur geste depuis. En recourant, notamment, aux services de compatriotes, à qui la perspective d’un pays éclaté ne dérange absolument pas.
Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. Une fois rendus aveugles, les borgnes ne sont plus riens. Alors, l’ennemi travaille à casser nos quelques borgnes en service. En passant, nous pourrions vous citer deux ou trois de ces borgnes en difficulté. Les inquiétudes d’une jeunesse Watwaniya, à qui on suggère une montagne de promesses contre leur silence face au délitement de l’archipel, illustre bien ce propos. Le patriotisme que revendique cette jeunesse agite le sommeil de beaucoup de nos hommes politiques. Le gungu la mcezo, performance artistique, réalisée en mars dernier contre la départementalisation de l’archipel par le comédien Soeuf Elbadawi et ses amis, dont le plasticien Seda et le journaliste Saindou Kamal, aux côtés des mêmes Watwaniya, résonne à présent comme un feu de paille, même s’il est vrai qu’il a pu interpeller une opinion plus large, allant au-delà des frontières comoriennes. Même les colères mesurées du Comité Mahorais contre ceux qui mettent à mal l’intégrité territoriale du pays, vont buter contre un mur. Ces colères n’intéresseront d’ailleurs plus l’opinion comorienne, remplacées qu’elles seront par la foire d’empoigne des législatives. A peine si quelqu’un aura le temps de rappeler durant ces législatives que nous traversons une crise de la représentation depuis 1978. Une crise qui n’encourage pas à miser sa confiance dans aucune machine partisane. Si un député pouvait changer quelque chose dans l’avenir de ce pays, nous en aurions entendu causer depuis bien longtemps. Mais bon, qui osera les contredire dans les meetings pour ramener le vrai débat d’un pays malmené, avec la complicité de ses enfants, sur la place publique ?
La vérité est que la question du destin de l’archipel est tout sauf nationale, à ce jour. Les Comoriens se sont laissés persuadés qu’ils auraient leurs vrais problèmes, qu’i n’auraient rien à voir avec le problème d’un Etat comorien en bisbille avec la France. Ils sont peu à vouloir faire le lien entre la question coloniale et leur vécu dans un pays sciemment précarisé et fragilisé afin de satisfaire aux enjeux d’une nation plus forte. Il aurait sans doute fallu que le travail de conscientisation politique entamé à l’époque du msomo wa nyumeni se poursuive plus intelligemment de nos jours ou que les restes du discours révolutionnaire du mongozi Ali Soilih continuent à hanter nos esprits. Tant que l’intégrité territoriale de ce pays ne sera défendue que par une poignée de Mohicans agités, la fin de cette histoire comorienne pourra s’écrire sur le tableau de notre mémoire sous valium. Mais si nos intellectuels se mettent à faire le porte à porte nécessaire pour détailler au peuple ce qui lui arrive, et pour lui parler d’autre chose que de vote sans effets sur leur vie, il y a des chances pour que l’espoir revienne parmi nous. Un travail à entamer dans l’urgence. Car si nous n’arrivons pas à convaincre la communauté internationale contre son partenaire français, nous pouvons au moins rappeler aux Comoriens ce qu’ils ont perdu en trente quatre ans de souveraineté malmenée. Il faut que ce combat redevienne populaire pour bénéficier la dimension qu’il mérite aux yeux du monde. Reprenons nos bâtons de pèlerins pour que le peuple réapprenne enfin où se situe sa responsabilité dans le délitement de l’archipel...
Collectif Komornet

Source : http://wongo.skyrock.com/