Accueil > "Les FARC pourraient participer à un gouvernement social-démocrate"
"Les FARC pourraient participer à un gouvernement social-démocrate"
Publie le samedi 1er septembre 2007 par Open-PublishingLe quotidien Clarín a longuement rencontré Raúl Reyes, numéro deux des FARC, dans la jungle colombienne. Celui-ci évoque le sort des otages, mais aussi la possibilité pour son mouvement de participer à un éventuel gouvernement de gauche. Dans ce cas, ce serait la fin de la guerre...
La rencontre a eu lieu dans un campement provisoire, monté pour l’occasion dans la jungle du sud du pays, à plus de cinq heures de route, en auto et en pirogue, du dernier village de la "civilisation". Le commandant Raúl Reyes, qui a "près de 60 ans", appartient depuis trente ans aux FARC, créées il y a quarante-trois ans. Il est le numéro deux de l’organisation dirigée par le mythique Manuel Marulanda, dit "Tirofijo" [tir dans le mille].
Pourquoi est-il si difficile de parvenir à un accord humanitaire pour libérer des otages dont certains sont déjà prisonniers depuis dix ans ?
RAÚL REYES : Eh bien, parce que ce gouvernement [dirigé par Alvaro Uribe (droite), élu en 2002 et réélu en 2006] n’a pas la moindre intention de le faire. Les FARC insistent depuis plus de cinq ans pour arriver à cet accord, qui permettrait d’échanger une cinquantaine d’otages contre 400 guérilleros prisonniers. Rappelons que, lors des dialogues de paix avec le gouvernement d’Andrés Pastrana [conservateur, 1998-2002], nous avons libéré unilatéralement plus de 300 soldats et policiers, moyennant quoi nous n’avons obtenu la libération que de 14 guérilleros malades. Nous avons gardé les autres otages pour rechercher un accord humanitaire.
Pourquoi exigez-vous la démilitarisation de deux municipalités de 800 kilomètres carrés, Florida et Pradera, pour l’échange ?
Quand Uribe a été élu, en 2002, nous lui avons proposé la démilitarisation de deux municipalités du département du Caquetá [sud], à savoir San Vicente del Caguán et Cartagena. Mais le président a dit que nous proposions ces zones parce que les FARC se sentaient acculées militairement et qu’elles voulaient récupérer du terrain. Nous avons dit alors : tant pis pour ces municipalités-là, comme ça le gouvernement ne pensera pas que nous cherchons à profiter de la situation.
Pourquoi ne peut-on pas faire l’échange autrement ?
Parce que les FARC n’ont aucune confiance dans les représentants d’Uribe : il s’agit d’un gouvernement illégitime, narco-paramilitaire, un gouvernement qui a intérêt à ce que la guerre continue. De plus, nous pensons que c’est peu de chose de démilitariser deux municipalités pendant quarante-cinq jours pour un accord d’une telle envergure.
Mais le gouvernement assure qu’il ne démilitarisera pas, tandis que, de votre côté, vous dites que sans démilitarisation il n’y a pas d’échange possible. Comment sortir de cette impasse ?
S’il y a une issue, elle viendra de la pression nationale et internationale. Il faut faire comprendre à Uribe que la seule manière de conclure un accord, c’est de démilitariser certaines zones. Ce n’est pas Uribe qui a fait cette proposition, ce sont les FARC. Pour cette raison, nous avons beaucoup apprécié le rôle qu’ont joué et que jouent encore la France, la Suisse et l’Espagne dans la recherche d’un accord. Mais la politique d’Uribe consiste à vouloir libérer les otages par la force, sans se soucier de ce qui arrive aux prisonniers. Parce que ce qu’il veut, c’est montrer des résultats dans l’exécution du plan Patriote [campagne militaire destinée à reprendre le sud du pays à la guérilla] et du plan Colombie [mis en place par Clinton, il consiste en une aide militaire et technique des Etats-Unis de 4,8 milliards de dollars en sept ans] financés par les Etats-Unis, et prouver qu’il est en train de vaincre les FARC.
Vous n’avez pas l’impression que c’est une épreuve de force, dans laquelle le gouvernement et les FARC utilisent les otages ?
En Colombie, il existe un conflit intérieur, une confrontation avec les FARC qui dure depuis plus de quarante-trois ans, et l’Etat cherche depuis toutes ces années à en finir avec la guérilla. Chaque président a usé de quantité de moyens matériels et humains en vue de liquider les FARC. Aucun n’y est parvenu. Nous avons grandi, et aujourd’hui nous sommes présents dans tout le pays. D’où l’inquiétude de la classe dirigeante.
J’insiste, n’est-ce pas une épreuve de force, avec les otages au milieu ?
Le gouvernement veut faire croire au pays et au reste du monde qu’il est en train de venir à bout des FARC et qu’il va nous faire négocier sous la pression. Mais nous sommes forts et nous ne cédons pas aux pressions.
Il y a quelques mois, le gouvernement a libéré une centaine de guérilleros, et, à la demande du président français, le "ministre des Affaires étrangères" des FARC, Rodrigo Granda, a été libéré. On attendait un geste de votre part, par exemple la libération d’Ingrid Betancourt, mais il n’y a rien eu. Ç’a été une décision unilatérale du gouvernement, dans le cadre d’une campagne médiatique visant à étouffer le scandale de la "parapolitique" [des dizaines d’hommes politiques sont accusés d’être liés aux groupes paramilitaires d’extrême droite, et plusieurs élus proches d’Uribe ont été arrêtés], et non pas le fruit d’une négociation. En ce qui concerne la libération de Granda, nous avons remercié pour son geste le président Nicolas Sarkozy. Mais les FARC n’ont pris aucun engagement envers lui pour la libération de Granda.
Vous ne pensez pas qu’il aurait été important de libérer Ingrid Betancourt ou bien Clara Rojas [directrice de campagne et seconde sur sa liste] et son fils de 3 ans, qui est né en captivité ?
La question de l’accord humanitaire est liée au conflit intérieur colombien, et tout accord doit se faire en Colombie. Les interventions en faveur de l’échange sont utiles, d’où qu’elles viennent. Mais c’est au gouvernement de Bogotá et aux FARC qu’il revient de décider.
Chávez a proposé son pays et une zone démilitarisée pour l’échange. Vous accepteriez de le faire au Venezuela ?
A travers Clarín, je tiens à remercier le président Chávez pour ce geste, pour cette générosité, ce sens de la solidarité avec la Colombie, avec les familles des prisonniers, avec les FARC. Mais il faut ici se rappeler que le président Chávez a émis cette proposition après que la sénatrice Piedad Córdoba, du Parti libéral, une opposante d’Uribe, lui a demandé de participer à l’accord. Une telle intervention permet de relancer le thème de l’échange humanitaire. Mais nous persistons à dire que cette question de l’échange doit se régler en Colombie, du fait qu’il s’agit d’un problème lié au conflit intérieur.
Alors, vous excluez de libérer des otages au Venezuela ?
Oui. Ce que nous continuons à exiger, c’est la démilitarisation de Pradera et de Florida. Quant au président Chávez, nous espérons que, grâce à son influence politique, il contribuera à ce que cette démilitarisation ait lieu, afin que les deux parties puissent s’asseoir à la table de négociation et parvenir à un accord qui mette fin au calvaire des prisonniers.
Vous allez négocier au Venezuela ?
Oui, nous ne voyons pas d’inconvénient à dialoguer dans un autre pays, mais la libération des prisonniers doit avoir lieu en Colombie.
N’est-ce pas un acte démentiel de garder si longtemps en otages des gens comme Ingrid Betancourt, qui est aux mains des FARC depuis plus de cinq ans ?
Pour nous, il ne s’agit en aucun cas d’un enlèvement. C’est le résultat d’une confrontation du peuple en armes : la guérilla révolutionnaire de Colombie et un Etat ramifié en trois pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire. Les soldats qui sont en notre pouvoir sont des prisonniers de guerre, les autres sont des prisonniers politiques. Dans le groupe de ceux que nous appelons "échangeables", il y a Ingrid Betancourt, candidate à la présidence et ancienne sénatrice. Mais elle appartient au système que nous combattons, on ne peut donc pas parler d’enlèvement dans son cas.
Et dans le cas des trois Américains que vous détenez depuis février 2003 ?
Ce sont des agents américains. Les FARC ne sont pas allées les capturer à Washington, à New York, au Texas ou à Boston, mais elles les ont faits prisonniers sur le territoire colombien, alors qu’ils se livraient à des activités d’espionnage dans notre pays.
Le gouvernement colombien et les Etats-Unis disent que c’étaient des contractants civils. C’est un grand mensonge. C’étaient des agents qui faisaient de l’espionnage en Colombie, au mépris de notre souveraineté et de notre indépendance. Malgré cela, nous les avons inclus parmi les "échangeables" et nous avons l’intention de les relâcher une fois que les camarades Simón Trinidad et Sonia, prisonniers aux Etats-Unis, auront été remis en liberté, ainsi que tous les guérilleros et guérilleras qui croupissent dans les prisons de Colombie.
Pourquoi prenez-vous en otages des chefs d’entreprise ?
Quels chefs d’entreprise ?
Il n’y a pas de chefs d’entreprise ?
Pas que je sache. Et, s’il y en a, c’est parce qu’ils n’ont pas payé l’impôt prévu par notre loi 02, l’impôt que prélèvent les FARC auprès des chefs d’entreprise, qui par ailleurs financent tous la guerre contre le peuple colombien. La plupart paient cet impôt sans qu’il faille les faire prisonniers. Ceux qui ne paient pas sont faits prisonniers : ils ne figurent pas dans la liste des "échangeables", parce qu’une fois qu’ils ont payé leurs dettes envers l’organisation ils sont libres.
Combien doivent-ils verser ?
Dix pour cent de leur chiffre d’affaires annuel.
Vous avez parlé de Simón Trinidad et de Sonia, prisonniers aux Etats-Unis. Vous croyez qu’il serait possible de négocier avec Washington pour les échanger contre trois Américains ?
Reste à savoir sous quelles conditions, mais nous n’y verrions pas d’inconvénient, pourvu que cela se fasse à travers le gouvernement colombien. En définitive, Uribe est à la solde des Etats-Unis et il fait ce que Washington lui dit de faire.
On n’a jamais su comment étaient morts, le 18 juin, les onze députés qui étaient prisonniers des FARC. Que s’est-il passé réellement ?
Nous avons dit que nous ne savions pas dans quelles circonstances étaient morts les onze députés. A ce jour, nous ne savons toujours pas ce qui s’est passé.
Comment est-ce possible ?
Dans la région où se trouvaient les onze députés, il y a des affrontements permanents, il y a de nombreuses forces en présence, l’armée officielle, la police, les paramilitaires au service de l’Etat, des bandes de délinquants armés par les narcotrafiquants. C’est la raison pour laquelle les FARC n’ont pas voulu se hasarder à accuser aucune force de cet événement regrettable.
Le gouvernement dit que c’est vous qui les avez assassinés.
Ce n’est pas vrai. Cela fait partie de la campagne médiatique.
Mais la responsabilité des FARC n’est-elle pas engagée ? C’est bien vous qui êtes responsables de la vie des otages ?
Il est clair qu’il y a eu des failles dans la sécurité. Des gens à nous, chargés de veiller sur les prisonniers, ont commis des erreurs.
Vous continuez à croire que vous pouvez prendre le pouvoir ? On n’a pourtant pas l’impression que vous progressez...
Nous sommes tout à fait certains que nous pouvons arriver au pouvoir. Mais avant tout nous avons l’intention d’obtenir en Colombie une ouverture, ce qui passe par la formation d’un nouveau gouvernement, épris de paix et de justice sociale. Et, pour cela, nous rappelons la nécessité d’une équipe pluraliste, patriotique, démocratique, qui ne transige pas avec la paix, la défense de la souveraineté, l’indépendance, qui n’extrade plus de Colombiens, qui respecte la dignité de notre peuple.
Toutes ces caractéristiques pourraient être celles d’un gouvernement vaguement progressiste. Mais, s’il y avait un tel gouvernement en Colombie, les FARC ne perdraient-elles pas leur raison d’être ?
Nous exigeons la démission du gouvernement Uribe : il est illégitime, corrompu, responsable de la narco-parapolitique. Et nous pensons qu’il doit être remplacé par une coalition capable de former un gouvernement pluraliste, patriotique et démocratique, vraiment désireux de faire la paix. Ce serait le cas du Pôle démocratique alternatif [parti récent, rassemblant toutes les forces de gauche, auquel appartient le maire de Bogotá, et qui constitue la seconde force politique du pays].
Mais le Pôle est un parti social-démocrate...
Oui, mais il suffirait qu’il soit plus à l’écoute du peuple, que ce soit un parti de masse, qu’il propose un programme redonnant véritablement sa dignité au peuple colombien. Dans ce cas, les FARC seraient en mesure d’y participer, car nous ne faisons pas la guerre pour la guerre. Nous pensons qu’avec un tel gouvernement on pourrait ouvrir des espaces de participation qui bénéficient à la population, c’est là un des objectifs que nous poursuivons.
Mais vous, vous êtes marxistes-léninistes ?...
Bien sûr, mais ce n’est pas parce qu’on est marxistes-léninistes qu’on va refuser que le peuple vive mieux. Parce que ce que nous voulons, c’est qu’il y ait des progrès dans ce sens, même si l’on sait que ce n’est pas la solution définitive. Mais c’est un pas important, cela permettrait de régler certains problèmes et d’avancer dans la construction du socialisme.
Et qu’est-ce que le socialisme pour les FARC ?
C’est en terminer avec l’exploitation de l’homme par l’homme, mettre au service du peuple et des majorités toutes leurs richesses, leurs moyens de production, de développement, de façon que la population en général puisse bénéficier de cette construction. Le socialisme doit garantir à la population le droit à la vie, au travail, à la santé, à l’éducation, au logement. Ce n’est pas nous qui avons commencé cette guerre, c’est une élite d’oppresseurs avares qui nous y a poussés. Mais le cas colombien n’est pas le seul où la guerre a conduit à des sociétés plus justes.