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Les Oliver Twist de l’ère moderne

Publie le jeudi 2 juin 2005 par Open-Publishing

Un parcours de livres, fruit du travail de chercheurs liés à la CGIL et à la Fondation Basso, sur le phénomène du travail des mineurs en Italie et en Europe, souvent en relation aussi avec l’exploitation de la prostitution.

de Vittorio Bonanni traduit de l’italien par karl&rosa

Le 16 avril 1995, il y a un peu plus de dix ans, ce monde nouveau qui avait, depuis peu, éliminé le rideau de fer découvre en réalité l’existence d’autres murs, peut-être encore plus difficiles à abattre. Iqbal Masih, un petit Pakistanais d’à peine dix ans, ouvrier dans l’industrie des tapis, est sauvagement tué. La mafia ne lui pardonne pas de s’être rebellé contre cette condition d’esclavage à laquelle son père, mais d’un façon plus réaliste une organisation économique et politique internationale, l’avait condamné à l’âge d’à peine quatre ans, quand justement il fut vendu comme esclave.

Dans ces dix ans qui nous séparent de sa mort, le monde a peut-être pris plus conscience de l’existence du travail des mineurs, mais le scénario international et même national restent dramatiques. Entre la fin de l’année dernière et le début de l’année en cours, Ediesse, la maison d’édition notoirement liée à la CGIL, a publié pas moins de quatre textes qui affrontent d’un côté l’exploitation des mineurs liée plus spécifiquement au travail et de l’autre la grave condition de milliers de femmes immigrées, souvent mineures, introduites dans la spirale violente de la prostitution.

Lavori minorili in Italia. I casi di Milano, Roma e Napoli (Travaux des mineurs en Italie. Les cas de Milan, Rome et Naples, NdT) (183 pages, 11,00€), sorti en 2005 grâce au travail d’Agostino Megale et d’Anna Tasselli, respectivement président et chercheur de l’Ires (Institut de recherche économique et sociale), met en garde sur la grave condition de l’enfance dans notre pays et sur la tendance actuelle, qui voit une augmentation alarmante du phénomène de l’exploitation des mineurs. Guglielmo Epifani, secrétaire général du plus grand syndicat italien et auteur de la préface du volume, repère trois raisons à l’origine du problème : "La première - dit le syndicaliste - concerne la montée de la pauvreté dans les zones de plus grande marginalisation", conséquence, dit le leader de la CGIL, "de l’augmentation dans le pays du niveau de pauvreté", qui "comporte l’explosion d’une offre de travail des enfants dont le but est le soutien matériel des familles les plus faibles".

Les deux autres éléments concernent d’un côté "la hausse du travail irrégulier clandestin", liée aux graves limites de la loi sur l’immigration, qui ne remplit pas "sa mission de ralliement des familles et de reconnaissance de la citoyenneté de toute la famille du travailleur immigré (...) présupposé essentiel pour la protection des mineurs et de l’autre, rappelle encore Epifani, "la dispersion et l’abandon de l’école", dont l’augmentation facilite naturellement l’exploitation des mineurs. Le texte de Megale et Teselli se livre à une enquête approfondie et détaillée du problème : "En Italie - écrivent les auteurs du livre - le travail des mineurs représente une réalité fortement enracinée, et même, selon nombre d’observateurs, en hausse".

Un scénario nié par le gouvernement actuel de centre-droit, qui oppose aux données fournies par la CGIL et par l’Istat (qui correspond en Italie à l’Insee, NdT), qui estiment "que les enfants concernés par l’exploitation des mineurs sont au moins 144.000", une estimation, certainement peu crédible, de 30 000 unités. Dans le chiffre fourni par le syndicat ne sont pas compris les mineurs étrangers. Sur ce problème nouveau et spécifique, Francesco Carchedi, responsable du secteur recherche du Consortium Parsec de Rome et consultant pour la recherche sociale de la Fondation internationale Lelio Basso, quand cette dernière n’avait pas encore fusionné avec la Fondation nationale Issoco, a réalisé "Piccoli schiavi senza frontiere" (Petits esclaves sans frontières, NdT) (Ediesse, 2004, 294 pages, € 15,00).

Le texte examine surtout l’exploitation sexuelle, un aspect encore plus inquiétant de la condition plus générale d’esclavage à laquelle sont soumises ces jeunes et très jeunes personnes. Mais il ne néglige pas l’aspect plus lié au travail qui prend, dans ce cas aussi, des aspects para esclavagistes. "Aux années 90 - écrit le chercheur - en plus de la traite des femmes adultes ayant pour but la prostitution, s’intensifient aussi dans notre pays la présence et le flux de mineurs étrangers, aussi bien à cause des naissances au sein de familles d’origine étrangère qui se sont installées depuis longtemps en Italie, et en raison de politiques de regroupement familial qu’à la suite de l’arrivée de composantes migratoires constituées de jeunes et de mineurs".

Leur nombre - précise Carchedi - a augmenté en Italie : en 2000 il y avait (...) 229.851 mineurs étrangers, avec une hausse de 43.561 par rapport à l’année précédente et une augmentation de 83% par rapport aux statistiques de 1995 ". Ces mineurs qui arrivent en Italie seuls, sans ce minimum de protection que peut garantir la famille, même dans des conditions d’indigence, sont des victimes encore plus vulnérables et faciles de l’exploitation du travail ou sexuelle. "Il s’agit de mineurs non accompagnés - écrit le chercheur- ou "séparés" (un terme plus approprié, pour l’Acnur) parce qu’ils se trouvent hors de leur pays d’origine, séparés des deux parents ou d’adultes qui, selon la loi ou la coutume, sont responsables de les soigner et de les protéger".

Des vies écrasées donc, dès les toutes premières années de vie, par des lois non écrites de plus en plus impitoyables. Le tableau est encore plus sombre quand nous parlons de prostitution, un thème sur lequel l’auteur a centré son travail. Les conclusions auxquelles il arrive, en analysant le phénomène d’une manière approfondie, sont effroyables : "L’âge mineur des prostituées - dénonce le consultant de la Fondation Basso - est considéré comme une valeur ajoutée particulièrement désirable sur le marché sexuel". Ces fillettes au sort déjà décidé viennent d’Asie et d’Afrique, mais surtout des pays de l’Est. Au début des années 90, c’est le tour de l’Albanie où "souvent le recrutement a été effectué à travers de véritables enlèvements, dans un pays où le douloureux processus de la dernière décennie a déversé sur la femme une charge d’agressivité et de violence inouïe dans l’histoire récente de ce pays". Une fois redimensionnée la traite dans le pays des aigles, à cause surtout d’une intervention plus importante des forces de police, le recrutement, particulièrement entre 1996 et 1998, a lieu "dans d’autres pays de l’Est européen, parmi lesquels en Roumanie aussi (...)".

Carchedi a aussi traité, avec Adriana Bernardotti et Benedetta Ferone, de la "traite et de l’exploitation des femmes nigériennes sur le littoral domitien" (entre Naples et Rome, NdT), sous-titre de "Schiavitù emergenti" (Esclavages émergents, NdT) (2004, 222 pages, €11,00), une recherche effectuée à l’intérieur du Progetto Nova, avec la participation du Consorzio Nova et d’autres associations de solidarité. Dans le livre, on souligne le lien entre la crise économique qui frappe le grand pays africain depuis les années 80 et la transformation radicale de la nature de la présence nigérienne en Italie, qui est aujourd’hui "inévitablement associée au phénomène de la prostitution de rue", écrivent Carchedi et Bernardotti. "On oublie souvent - continuent les deux chercheurs - que les Nigériens ont constitué pendant plusieurs années (...) une des principales composantes de la population estudiantine étrangère". Un changement dramatique a donc caractérisé la vie de ces personnes. "Hier des étudiantes, aujourd’hui en partie des prostituées", comme le dit le titre d’un chapitre du volume, des femmes broyées par les intérêts de la mafia nigérienne et de la camorra.

Pour conclure ce parcours de livres, il faut citer le travail de Gianni Paone, un expert de la prévention de la marginalité juvénile. Ce n’est pas par hasard que le volume s’appelle "Ad ovest di Iqba" (A l’ouest d’Iqba, NdT). Le travail des mineurs dans l’Europe globale (2004, 301 pages, € 15,00) qui veut rappeler, et c’est n’est pas par hasard, le sacrifice du très jeune syndicaliste pakistanais. Le texte essaie de répondre a des questions centrales dans la phase, certainement difficile, que nous sommes en train de vivre. "Quelle est l’étendue de l’emploi des mineurs dans les pays industrialisés ? Quelle proportion en est illégale ? Quels types de travail effectuent les mineurs" ? Des questions auxquelles un monde qui ne veut pas se résigner à la barbarie - juste pour donner un exemple, en Grande Bretagne il y a un million de travailleurs mineurs - est contraint de donner des réponses "civiles". Sous peine de revenir à des atmosphères dickensiennes, avec de nombreux d’Oliver Twist contraints au dur labeur à la place du jeu et de l’école, des droits inaliénables et des jeunesses niées.

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