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Les ayatollahs et la bombe

Publie le jeudi 11 août 2005 par Open-Publishing

Iran : Washington révise le danger « à la baisse »

L’enjeu, c’est le maintien ou non d’une industrie iranienne d’enrichissement de l’uranium

S’il est un sujet sur lequel les Iraniens, conservateurs ou réformistes, extrémistes ou modérés, sont restés d’accord depuis le règne du shah jusqu’à celui des ayatollahs, c’est bien celui du nucléaire. Pour tous ou presque, l’accès au cycle complet des activités nucléaires civiles et le maintien, à terme, d’une possible option militaire se confond avec le droit à la souveraineté nationale. Pour la Perse historique, face au monde arabe - et à l’Occident -, c’est à la fois une question de statut et un impératif de sécurité.
Il y a plus de trente ans, le shah avait entamé un programme nucléaire d’une vingtaine de centrales, le tout sous la houlette des Américains. Washington estimait que son allié iranien, compte tenu de son poids dans la géopolitique régionale, avait naturellement droit à cet accès au nucléaire civil dont tout le monde savait qu’il pourrait déboucher un jour sur la fabrication de la bombe.
Pour les Iraniens, ces données fondamentales n’ont pas changé. Mais leur programme nucléaire, longtemps en sommeil à cause de la Révolution islamiste et de la guerre Irak-Iran, se heurte aujourd’hui non seulement à l’hostilité farouche de l’Amérique et d’Israël, mais aussi à la peur accrue d’une majorité d’Etats du monde face aux dangers de la prolifération. A tort ou à raison, on soupçonne l’Iran de poursuivre des recherches visant à l’acquisition de la bombe.

Pour éviter un affrontement, l’Europe essaie depuis deux ans de réintégrer l’Iran dans le concert politique et commercial des nations. En échange, elle demande à l’Iran une concession majeure : le renoncement à une pièce maîtresse du cycle nucléaire, l’enrichissement de l’uranium qui peut servir à fabriquer la bombe. Mais les Iraniens se refusent à cet abandon. Paradoxalement, la légalité joue en leur faveur. Le traité de non-prolifération auquel ils ont adhéré leur donne le droit de se doter du cycle nucléaire complet, sous le contrôle de l’Agence internationale de l’Energie atomique. Alors que les grands pays nucléaires violent allègrement ce traité en modernisant en permanence leurs armes, l’Iran n’a péché qu’une fois : en cachant une petite activité clandestine d’enrichissement de l’uranium, poursuivie en dehors du contrôle international. Pourquoi l’avoir caché ? Parce que sa révélation aurait pu donner prétexte à une frappe aérienne, répond Téhéran.

En tout cas, dans le bras de fer qui les oppose depuis une semaine à l’Europe, les Iraniens - ruse ou prudence - font preuve du juridisme le plus méticuleux, en évitant tout acte qui serait contraire au traité de non-prolifération. Inversement, ils restent intransigeants sur le maintien intégral de tous leurs droits résultant du traité. Ils en font une question de dignité nationale.
Mais si Téhéran a choisi le risque d’entrer en conflit avec les Européens maintenant, c’est que la situation internationale lui est plutôt favorable. La pénurie annoncée des hydrocarbures et la gourmandise agressive de la Chine et de l’Inde, qui ont déjà pris des options sur les réserves iraniennes, ne cessent de renforcer le poids de Téhéran. Et sans succomber au fantasme du « croissant chiite », il faut bien reconnaître que l’Iran est déjà le principal bénéficiaire régional du naufrage de l’entreprise américaine en Irak et du chaos qui y règnera sans doute pour longtemps.
D’ailleurs les services secrets américains, dont les évaluations changent au gré des circonstances, viennent une fois de plus de réviser - à la baisse cette fois - le niveau de danger de la « bombe iranienne ». De plus, ils ne sont plus tout à fait sûrs qu’il y ait réellement un « programme militaire clandestin ». Et il faudrait, selon leurs dernières estimations, au moins dix ans pour que les Iraniens puissent envisager la fabrication d’une bombe. Du coup la crise actuelle, en dépit de son contenu hautement symbolique, perd de son acuité. La menace est lointaine et personne ne sait si, dans dix ans, les ayatollahs seront encore au pouvoir à Téhéran. Dans ces conditions, la stratégie européenne qui consiste à gagner du temps reste sans doute la meilleure et la plus raisonnable.

François Schlosser
http://www.nouvelobs.com/articles/p2127/a274301.html