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« Les habitants d’Alep sont pris entre deux feux »

par Tchat libé avec JL Touzet

Publie le mercredi 12 septembre 2012 par Tchat libé avec JL Touzet - Open-Publishing
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TCHAT La guerre continue entre les rebelles et le régime. Notre journaliste, Jean-Louis Le Touzet, actuellement à la frontière turco-syrienne, a fait plusieurs incursions à Alep. Il a répondu à vos questions.

Aleppo. Des amis, à Alep, par leurs témoignages, m’indiquent que la population ne soutient absolument pas les rebelles, mais qu’elle est prise en otage. Qu’en pensez-vous ?

Jean-Louis Le Touzet. J’ai passé trois jours auprès de gens dans un quartier d’Alep qui s’appelle Bustan al-Qasr, dans le sud de la ville, près de la citadelle. Ils sont apeurés, silencieux. Ceux que j’ai pu voir n’avaient pas forcément un sentiment pro-révolution ou pro-armée libre. Mais c’est difficile à analyser, parce que même en passant trois jours, en les revoyant à plusieurs reprises, il faut se faire accepter, et même après une certaine acceptation, peu s’autorisent à donner des sentiments assez intimes à un étranger.

Sur les témoignages recueillis dans ce papier, publié il y a presque une semaine, s’est dégagée l’idée qu’ils se sentaient à la fois totalement étrangers à ce conflit, évidemment prisonniers, puisque pris entre deux feux, et que le sentiment pro-armée libre n’était pas aussi évident ou aussi clair qu’on a bien voulu le dire. Cela dit, dans ces témoignages il y avait aussi des témoignages de personnes qui étaient pro-armée libre. Encore une fois, c’est très difficile de rentrer en contact, et de parler longuement, parce que les conditions de travail sont difficiles.

Nejma. Mis à part les combats, quelles sont les conditions de vie au quotidien des civils syriens ? Electricité, nourriture, eau potable... Comment font-ils ?

J.-L. L.T. Dimanche soir, quand je suis sorti d’Alep, après y avoir passé deux nuits sur place, il y avait de l’eau courante dans le quartier où j’étais, de l’électricité, et un certain nombre d’étals étaient approvisionnés en produits frais. Certaines boulangeries continuent à fonctionner, du moins celles qui n’ont pas été pilonnées par les forces gouvernementales. Il y a un marché improvisé dans le centre d’Alep, dans le quartier al-Chaar qui se trouve sous un pont d’autoroute, à l’abri des bombardements et des tirs de roquettes des hélicoptères.

Le problème, comme dans toutes les guerres, c’est qu’on trouve toujours plus ou moins à manger mais les prix ont doublé, voire triplé. Il y a même eu des commerçants qui sont pris à partie, parce qu’ils doublent ou triplent le prix du pain.

Mimi_63490. Y a-t-il désormais, au nord d’Alep, une vraie zone « libre » tenue par les rebelles ? Quelles réalités couvre-t-elle (population, superficie) ? Est-elle définitivement à l’abri des forces loyalistes ?

J.-L. L.T. Pour ce qui concerne le quartier nord de Cher Maksoub, à majorité kurde, je n’ai aucune information, étant donné que je n’ai pas mis les pieds dans ce quartier. En conséquence, je n’ai pas d’informations de quartier « libéré ». Il n’y a pas de quartier, ni de ville totalement « libérés ».

Monique. Une journaliste japonaise est décédée il y a quelques jours, comment sont les conditions de travail ?

J.-L. L.T. J’ai couvert peu de conflits, hormis la Libye, l’année dernière, mais selon des confrères infiniment plus expérimentés que moi, celui-là est l’un des plus rudes concernant les civils, et a fortiori les journalistes. Il n’y aucun endroit dans la ville où l’on peut se sentir en sécurité, étant donné les tirs incessants d’artillerie la nuit, et les tirs de roquettes ou d’avions dans la journée.

Pour ce qui concerne le décès de cette consœur, je ne dispose que d’informations parcellaires. Elle aurait été accompagnée par des groupes de l’armée libre, croyant de bonne foi que la « zone » était libérée. Or, d’évidence, l’endroit où le groupe de la consœur japonaise ainsi que le groupe des confrères turcs et palestiniens qui couvraient également cet endroit, n’avait pas été « nettoyé » par les troupes de l’armée libre.

Aleppo. On évoque l’intrusion de jihadistes parmi les rebelles, selon les services secrets étrangers, avez-vous des informations là-dessus ?

J.-L. L.T. J’ai effectivement entendu parler, lors de conversations avec des membres de l’armée libre, de la présence de combattants extérieurs venant de Tchétchénie, du Pakistan, d’Algérie, et de Tunisie. Je n’ai pas pu entrer en contact avec eux.

Selon les informations dont je disposais ce week-end, ils seraient – mais c’est à mettre au conditionnel – regroupés dans le quartier de Salaheddine où les combats ont fait rage de mi-juillet jusqu’à la mi-août. Selon une information absolument invérifiable, ils ne seraient pas plus de 100 à 150 combattants, divisés en groupe de 30. Ce qui pourrait sembler assez peu au regard du nombre de combattants syriens dans Alep qui sont issus majoritairement des villages et villes alentour.

Caesar76. On parle beaucoup des combats à Alep mais il semble qu’il y ait encore des manifestations dans tout le pays, est-ce que Bachar al-Assad a choisi cette ville parce que c’est là qu’il lui semble qu’il y a le plus d’individus décidés et armés, ou est-ce une première étape de sa « reconquête » ?

J.-L. L.T. Je ne peux pas répondre à la première partie de votre question, hormis le fait de dire qu’Alep est la deuxième ville du pays, que c’est un poumon économique, toute chose que chacun sait. Par ailleurs, pour la deuxième partie de votre question, qui concerne le point de vue militaire, il semblerait que samedi, dimanche et lundi, lorsque je m’y trouvais, les troupes de l’armée libre ont été défaites sur deux endroits où j’ai pu me rendre. Elles ont donc reculé et dû abandonner les points et les positions qu’elles tenaient, sous le feu d’une offensive couverte par l’artillerie.

Il me semble que militairement les troupes de l’armée libre sont quand même sur le « reculoir », face à une puissance de feu considérable, puissance de feu qui, par ailleurs, n’a pas été totalement développée, ou mise en œuvre sur Alep, compte tenu des forces militaires du régime. Ce qui veut dire que si le gouvernement le décidait, il pourrait reprendre en partie Alep, et y déloger la résistance. Surtout que la route du Nord, par laquelle les combattants sont ravitaillés en armes, en matériel, en nourriture, n’est absolument pas tenue. Pour preuve, hier, un seul combattant tenait l’entrée d’Alep, armé d’une Kalachnikov et d’une grenade.

Mirsa. Doit-on s’attendre à une intervention militaire étrangère éminemment ?

J.-L. L.T. Je suis désolé de ne pas pouvoir répondre à cette question qui concerne la diplomatie, je ne fais que du reportage. C’est une question que se posent toujours les combattants qui, jour après jour, ne croient pas à une intervention mais comptent sur leurs seules armes et la foi.

http://www.liberation.fr/monde/2012/08/28/syrie-comment-sortir-de-l-impasse_842323

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  • Sur les témoignages recueillis dans ce papier, publié il y a presque une semaine, s’est dégagée l’idée qu’ils se sentaient à la fois totalement étrangers à ce conflit, évidemment prisonniers, puisque pris entre deux feux, et que le sentiment pro-armée libre n’était pas aussi évident ou aussi clair qu’on a bien voulu le dire. Cela dit, dans ces témoignages il y avait aussi des témoignages de personnes qui étaient pro-armée libre. Encore une fois, c’est très difficile de rentrer en contact, et de parler longuement, parce que les conditions de travail sont difficiles.

    De façon il me semble très honnête, détaillée, expliquée, mesurée, voici ce que dit ce journaliste, il dit que son impression c’est que la population est prise "entre deux feux", entre l’affrontement de deux fractions d’un même pouvoir, en résumé. Il dit qu’il a croisé un peu de tout finalement, mais surtout des gens qui en ont marre de cette guerre et ne se sentent pas concernés par cet affrontement "pour un fauteuil" sauf bien sur parce que cet affrontement affecte profondément leur vie quotidienne, maintenant et pour l’avenir.

    C’est effectivement l’impression que donne la Syrie dont on a d’ailleurs une image analytique de la société en classes et en sous couches très très partielles voire inexacte ici. C’est d’ailleurs une visions qui n’est quasiment pas abordée. Qui soutient quoi et comment ?