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Les intermittents ouvrent une saison d’"état d’urgence"

Publie le jeudi 4 septembre 2003 par Open-Publishing

http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3246--332546-,00.html

Les intermittents ouvrent une saison d’"état d’urgence"

La CGT du spectacle et les coordinations d’intermittents ont lancé un
mot d’ordre de grève et de journée d’action pour le jeudi 4 septembre,
afin d’obtenir le retrait de la réforme de leur régime d’assurance-chômage.

En lançant un mot d’ordre de grève et de journée nationale d’action le
4 septembre, la CGT du spectacle et les coordinations locales
d’intermittents entendent maintenir la pression sur le gouvernement,
pour obtenir le retrait de l’accord sur le régime chômage des
intermittents signé le 26 juin et agréé par le ministère de la culture
le 6 août.

"Le ministère refuse d’envisager le retrait de l’agrément, il prétend
vouloir utiliser -ce nouveau texte- comme base d’un travail de réflexion
sur le contexte économique dans lequel s’exerce le spectacle vivant,
proteste le syndicat majoritaire des professions du spectacle. Cette
réflexion aurait dû avoir lieu avant toute négociation sur
l’assurance-chômage. Il faut impérativement retirer l’agrément des
nouveaux textes et rouvrir des négociations."

La date de la grève a été fixée lorsqu’a été connue la décision de
Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture, de convoquer ce jour-là
une réunion du Conseil national des professions du spectacle (CNPS), qui
regroupe pouvoirs publics, employeurs et salariés. La CGT organise des
manifestations à Paris, où le défilé doit se rendre du siège du Medef au
ministère de la culture, et dans plusieurs grandes villes. De son côté,
le Syndéac, qui regroupe 250 directeurs de centres chorégraphiques,
scènes nationales, centres dramatiques, scènes de musique actuelle et
compagnies de théâtre, "n’entend pas pratiquer la politique de la chaise
vide et sera présent, jeudi, à la réunion du CNPS". Mais il a posé comme
préalable à toute discussion un moratoire sur l’application de la
réforme, qui devrait entrer en application au 1er janvier 2004.

Après deux mois d’une mobilisation rare dans les milieux de la culture,
la détermination des intermittents ne semble pas entamée. Les
coordinations restent actives dans une trentaine de villes. Elles se
sont dotées de sites Internet qui facilitent la circulation rapide des
informations. Réunies à Paris du jeudi 28 au samedi 30 août pour
élaborer un programme d’action (Le Mondedu 2 septembre), elles ont prévu
le boycottage actif des rencontres que le ministère compte organiser
dans les régions.

PLAINTE POUR "FAUX"

La coordination Ile-de-France, qui a étudié à la loupe le texte de
l’accord avec des conseillers juridiques, a, par ailleurs, déposé une
plainte pour "faux en écriture" au sujet de deux avenants au protocole
signés officiellement le 8 juillet : la CGT pourrait emboîter le pas à
cette initiative. Les militants parisiens devaient quitter le 31 août
les locaux du 11e arrondissement qui abritaient la coordination : ils
ont obtenu de la mairie un nouveau local (5, rue Perrée, Paris-3e),
signe qu’ils comptent poursuivre la mobilisation.

Sur le terrain, les collectifs d’intermittents s’emploient à rencontrer
les directeurs d’institutions culturelles, à la veille des rentrées
artistiques. Les militants veulent faire connaître leur analyse de
l’accord, leurs propositions de réforme du régime chômage, leurs
inquiétudes sur l’avenir de la culture en France et en Europe, à l’heure
des négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les
secteurs non marchands tels l’éducation, la santé et la culture. La
coordination lyonnaise, par exemple, a rencontré lundi les treize
directeurs de théâtres de l’agglomération, dont le Théâtre national
populaire (TNP) de Villeurbanne, aujourd’hui dirigé par le metteur en
scène Christian Schiaretti, le Théâtre des Célestins ou celui des Ateliers.
Les directeurs se sont prononcés contre toute annulation de spectacles,
mais ils ont affirmé qu’il était hors de question, pour eux, de faire
appel à la police si des collectifs d’intermittents tentaient de bloquer
les représentations. Christian Schiaretti a d’ailleurs fait part de son
intention de se rendre jeudi à la manifestation.

La plupart des coordinations souhaitent que les lieux culturels leur
ménagent des espaces pour qu’elles puissent s’y exprimer. Elles
recherchent toutes les occasions de rencontrer les spectateurs. Plutôt
que d’annuler et de fermer les lieux - comme cela a souvent été le cas
cet été -, elles veulent dorénavant utiliser les structures culturelles
comme tribune et cherchent d’autres moyens de combat. Par exemple, au
Festival de théâtre de Blaye (Gironde), qui a lieu jusqu’au 6 septembre,
les artistes jouent gratuitement et organisent un forum par jour sur des
thèmes tels que "Culture, santé, recherche, éducation : êtes-vous
rentables ?", "Actions interprofessionnelles, quelles stratégies pour la
rentrée ?"

A Lille, les militants ont obtenu que soit joint un texte expliquant
leurs enjeux aux envois des programmes au public. Une association de
spectateurs prévoit une manifestation pour "refuser l’inculture", le
13 septembre. A Montpellier, la coordination envisage "une saison
exceptionnelle", en laissant la parole aux intermittents lors des
représentations et en imaginant des "expérimentations" pour ouvrir les
institutions à la vie de la cité et permettre une plus large circulation
des oeuvres. Elle veut convoquer des "états d’urgence de la culture", en
riposte aux propositions d’assises nationales esquissées par le ministère.

LES AUTRES MOUVEMENTS

La mobilisation, commencée fin juin autour des questions spécifiques du
régime chômage des intermittents, s’ouvre de plus en plus aux enjeux de
société et tente de se joindre aux autres mouvements sociaux du moment.
"Voulez-vous être abonné à un théâtre qui présenterait un seul et unique
spectacle à l’année ? Voulez-vous fêter votre départ en retraite avant
ou après votre mort ? Voulez-vous être atteint d’une maladie mortelle
pour être remboursé par la Sécu ? Voulez-vous renoncer à vos minijupes
de peur d’être accusée de racolage passif ?" interroge ironiquement la
coordination Ile-de-France.

La plupart des coordinations appellent aussi à rejoindre la
manifestation interprofessionnelle du 6 septembre contre l’OMC, lancée
par la Coordination paysanne, Attac et plusieurs syndicats. Elles
diffusent leur analyse critique de l’accord général sur le commerce des
services (AGCS), un texte signé au sein de l’OMC qui couvre, entre
autres, les secteurs des arts et de la culture. Plusieurs compagnies ont
joint à leur plaquette de saison une brochure soulignant les dangers de
l’AGCS. En exergue des sites Internet, des coordinations affichent une
citation de Bertolt Brecht : "Si tu ne participes pas à la lutte, tu
participes à la défaite."

Catherine Bédarida

L’agenda de la mobilisation

SEPTEMBRE

Le 4, manifestations dans les grandes villes, à l’appel de la CGT et des
coordinations, pour le retrait de la réforme du régime chômage des
intermittents du spectacle.

Le 6, manifestation nationale à Paris contre l’Organisation mondiale du
commerce : les professions culturelles formeront un cortège spécifique.

Le 8, "la musique s’informe" : la coordination parisienne réunit les
métiers de la musique à Paris, à l’Olympia.

Le 10, arrivée à Paris de la marche des intermittents partie d’Angers.

Les 20 et 21, actions à l’occasion des Journées du patrimoine, à l’appel
des coordinations ; journées d’action appelées par le Syndéac.

Les 22 et 23, mobilisation à Nancy, à l’occasion des journées
parlementaires de l’UMP.

OCTOBRE

Action lors de la visite à Strasbourg du ministre de la culture pour
l’inauguration de nouveaux locaux d’Arte.

DÉCEMBRE

Intervention lors des journées de lancement de Lille "capitale
culturelle européenne" pour 2004.

SUR INTERNET :

http://www.intermittents-danger.fr <http://www.intermittents-danger.fr/>

http://cip-idf.ouvaton.org/

Le protocole contesté

Le protocole d’accord modifiant le régime de l’assurance-chômage des
intermittents a été signé par le Medef, d’une part, la CFDT, la CFTC et
la CGC d’autre part, dans la nuit du 26 au 27 juin, puis agréé par le
gouvernement le 6 août. La durée de cotisation permettant d’ouvrir les
droits passe de douze à dix mois pour les techniciens et à dix mois et
demi pour les artistes. Au cours de cette période, il leur faudra
effectuer le même nombre d’heures de travail qu’auparavant (507 heures).
Cette durée de cotisation donne désormais droit à huit mois
d’indemnisation contre douze actuellement. Les modes de calcul ont été
modifiés, les périodes de maladie, de congé de maternité, de formation
ou les activités complémentaires (enseignement musical, court d’art
dramatique, etc.) étant désormais prises en compte.

En 2002, l’Unedic dénombrait 135 000 salariés intermittents (artistes et
techniciens du spectacle vivant, de l’audiovisuel et du cinéma), dont un
peu plus de 100 000 ont perçu une allocation dans l’année. La CGT estime
que 35 % des allocataires actuels seront exclus après application du
protocole. Très déficitaire, ce régime a perdu 828 millions d’euros en 2002.