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Les multiples visages de la haine raciste sur Internet

Publie le mercredi 16 juin 2004 par Open-Publishing

Deux rapports de la Commission nationale consultative des droits de l’homme dressent le portrait des sites xénophobes et antisémites. Ces études devaient être rendues publiques mercredi 16 juin, lors d’une conférence spéciale, à Paris, consacrée à la progression du phénomène.

Derrière la froideur des statistiques se dessine le visage de la haine. Deux rapports de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dressent un état des lieux des sites et des propos racistes sur Internet. Ils devaient être rendus publics au cours d’une conférence spéciale de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui se tient à Paris les 16 et 17 juin sur le thème du racisme et de l’antisémitisme sur Internet.

Le premier rapport présente une étude statistique portant sur les messages diffusés sur les forums. Son rédacteur, Sylvain Tirreau, spécialiste du média Internet, a choisi d’étudier les groupes de discussion francophones du réseau Usenet. Accessibles à partir d’un simple logiciel de lecture de courrier comme Outlook, ils constituent une véritable caisse de résonance de l’opinion des internautes. La recherche a porté sur plus d’un million d’articles postés entre 1993 et le premier trimestre 2004 sur 334 forums francophones.

Les résultats de l’étude de la CNCDH mettent à jour les "obsessions" des internautes racistes. La première cible de leur haine est constituée par les arabo-musulmans. A partir d’une recherche par mots-clés, le rapport constate de manière crue que l’injure à caractère raciste la plus répandue est "bougnoule", au singulier et au pluriel : on la retrouve dans 6 210 messages. La deuxième est "youpin" (au singulier et au pluriel) que l’on trouve dans 4 739 articles. Vient ensuite "rital", utilisée dans 1 720 articles.

Une étude qualitative permet de tracer l’évolution des haines. Elle porte sur le contenu des messages diffusés sur le groupe de discussion fr.soc.politique - le plus fréquenté - au cours des trois dernières années (incluant le premier trimestre 2004). La catégorie des arabo-musulmans est la plus choisie pour cible : 22 % des écrits véhiculant un discours de haine s’attaquent à ce groupe.

Ce type de discours est fondé sur une logique de l’amalgame, constate le rapport : "Ces articles développent quasiment tous un discours axé autour de trois cibles, qui, si certaines peuvent être légitimes dans le contexte géopolitique de l’après 11-Septembre, s’accompagnent toujours d’amalgames qui font de ces discours des discours racistes : l’islam et le Coran, qui sont montrés comme une religion et un texte à détruire, sans aucune considération des pratiques particulières ; les musulmans, qui sont montrés comme des arriérés et des sous-hommes (...) ; les islamistes, dont la critique - certes légitime - s’accompagne dans ces discours racistes d’une généralisation à et d’une condamnation de tous les musulmans."

LA HAINE EN LIGNE

Sur le plan méthodologique, le rapport spécifie que les discours de haine ciblant exclusivement les islamistes, sans généralisation aucune, n’ont pas été pris en compte.

La deuxième catégorie ciblée est celle des juifs : près de 10 % des écrits haineux s’attaquent à elle. Ce discours antisémite repose sur un autre type d’amalgame, qui associe très souvent "les juifs" et "les sionistes". Il s’articule autour de deux axes majeurs, souligne le rapport : "L’énoncé des poncifs antisémites classiques et des appels à la destruction des juifs et/ou d’Israël." "Dans la majeure partie des cas, ces poncifs sont énumérés dans des discours liés au conflit israélo-palestinien."

Une nouvelle thématique antisémite fait florès. Elle tend à présenter Israël comme un Etat dont la politique serait comparable au nazisme. "Ces discours emploient d’ailleurs énormément l’expression "judéo-nazi" ou accolent le terme "nazi" à une pseudo-argumentation prétendant défendre la cause palestinienne", indique le rapport.

Dans ce triste palmarès de la haine en ligne, un nouveau groupe est visé : depuis 2003, ce sont les Américains qui occupent la troisième place, derrière les Arabes et les juifs (2,33 % des discours de haine) : "La totalité des articles xénophobes attaquant ce groupe présentent tous les Américains comme des nazis, qui commettent des génocides en série et qui sont plus barbares que les dictatures contemporaines ; le peuple américain est montré dans ces articles comme le plus dangereux de la planète."

Jusqu’en 2002, c’était "les immigrés" qui arrivaient en troisième position, derrière les arabo-musulmans et les juifs. Or, le rapport constate que, depuis deux ans, "les articles ciblant les immigrés sont quasiment absents" des textes haineux diffusés sur fr.soc.politique. Autre évolution significative en 2004 : la xénophobie dirigée contre les Anglais occupe la quatrième place des discours haineux, à égalité avec le racisme anti-noir.

Un deuxième rapport, rédigé par un expert du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), Gérard Kerforn, établit une typologie de sept catégories de sites racistes et antisémites. Une première catégorie recense les "identitaires et nationalistes révolutionnaires", comme VoxNR. Ils se situent dans la mouvance du mouvement dissous Unité radicale. Vient ensuite la mouvance skinhead de type nazi. En troisième lieu, le rapport s’étend longuement sur la "nébuleuse SOS-Racaille", du nom d’un groupe de sites racistes, résolument anti-arabe, qui a disparu brutalement en mars 2003. Selon lui, après "une relative accalmie (...), une bonne partie des acteurs de la nébuleuse SOS-Racaille-Libertyweb a repris du service raciste et de nouveaux sites ont vu le jour sous leur impulsion". Le rapport se penche ensuite sur les "sites fondamentalistes musulmans", dont les contenus révèlent "un antisémitisme évident". Il cite enfin les sites négationnistes, les sites extrémistes juifs, et les sites fondamentalistes chrétiens. Selon un recensement établi par ce document, "ce sont les mouvances de l’extrême droite traditionnelle qui fournissent le plus de sites racistes".

Le rapport affirme que les sites favorisent le passage à l’acte. Il conclut que "toute attitude de neutralité des acteurs publics, associatifs ou professionnels équivaudrait à fermer les yeux sur les actes criminels potentiels dans des groupes sociaux psychologiquement fragiles, évoluant dans un bouillon de culture raciste alimenté au quotidien par des manipulateurs chevronnés dont on connaît le degré de violence".

Xavier Ternisien