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Les notes de Gérard Rondot impliquent directement l’Elysée

Publie le jeudi 11 mai 2006 par Open-Publishing

Officier chevronné et homme de l’ombre, le général Philippe Rondot avait la manie d’écrire. Ses notes manuscrites, rédigées entre la fin 2003 et la mi-2005, au fil de réunions, entretiens et réflexions personnelles, alors qu’il enquêtait sur les listings de la société luxembourgeoise Clearstream, constituent désormais une pièce à charge contre les plus hauts responsables du pouvoir exécutif. Saisis par les juges Jean-Marie d’Huy et Henri Pons, chargés de l’enquête ouverte pour "dénonciation calomnieuse", ces documents battent en brèche les explications avancées par l’Elysée, Matignon et le ministère de la défense depuis la mise en cause de leurs rôles respectifs dans, pendant et autour la manipulation qui ébranle, à présent, le gouvernement.

"Protéger le président", "risque : que le PR [président de la République] soit atteint", écrit le général à de multiples reprises sur ses fiches, au fur et à mesure que ses soupçons se précisent. Mandaté depuis le 9 janvier 2004 par Dominique de Villepin (alors ministre des affaires étrangères) pour vérifier l’existence des comptes bancaires attribués à des personnalités - dont Nicolas Sarkozy -, l’agent des services secrets, membre du cabinet de Mme Alliot-Marie, rapporte, le 19 juillet 2004, ce propos de M. de Villepin : "Si nous apparaissons, le PR et moi, nous sautons..."

De fait, l’implication du chef de l’Etat apparaît sans ambiguïté dans les écrits du général - sur lesquels il doit être réinterrogé par les juges, les 18 et 22 mai. A l’inverse des déclarations officielles, Jacques Chirac a bien donné des "instructions" dans cette affaire, et celles-ci ne portaient pas seulement, de façon générale, sur "la protection des marchés internationauxet la lutte contre les réseaux mafieux", ainsi que l’affirmait le communiqué de l’Elysée publié le 28 avril.

La preuve en est apportée par les annotations du général : à la date du 30 janvier 2004, il relève que la ministre de la défense "a très mal pris la décision du président que je traite en direct cette opération sans lui rendre compte". Selon la fiche de M. Rondot, cette consigne a été signifiée à Mme Alliot-Marie par M. Chirac en personne, le 28 janvier dans l’après-midi. Dès le 21 janvier, le général avait noté, pour lui-même : "Le PR voulait un traitement direct avec D de V à son seul niveau."

Pourquoi une telle confidentialité ? L’évidence en ressort, là aussi, des notes de l’ancien agent secret. Dès ce mois de janvier 2004, peu après la réunion du 9 au cours de laquelle M. Rondot s’était retrouvé au Quai d’Orsay, dans le bureau de M. de Villepin et en présence de Jean-Louis Gergorin, vice président du groupe EADS, les listings fournis par ce dernier mentionnaient les noms de Nagy et Bocsa, censés désigner Nicolas Sarkozy (dont le patronyme complet est Sarkozy de Nagy Bocsa). Quoi qu’en ait dit jusqu’ici le premier ministre, la recherche quasi obsessionnelle d’éléments compromettant le président de l’UMP transparaît sans équivoque.

Le 13 avril 2004, après un entretien avec le directeur du cabinet de Mme Alliot-Marie, Philippe Marland, sa note mentionne : "Expression de mes doutes", "réponse négative des services concernant les comptes", mais aussi : "La filière Sarkozy : Brice Hortefeux (trésor de guerre, selon le Dircab)" - allusion au ministre et bras droit de M. Sarkozy. Autre exemple, relevé le 8 juin : "Rétrocommissions Airbus : Nicolas Sarkozy." Comment soutenir, au vu de ces mentions, que l’actuel ministre de l’intérieur n’était pas la cible privilégiée des recherches commandées au général Rondot ?

Telle est l’autre évidence que font surgir les notes de l’officier : malgré l’accumulation des doutes exprimés par M. Rondot au fil des mois - avec M. Marland, M. de Villepin et Mme Alliot-Marie -, malgré les soupçons de plus en plus précis d’avoir affaire à une "manipulation", nul n’intervint pour interrompre ce processus dévastateur, même après que les envois anonymes au juge Van Ruymbeke aient commencé. A en croire les documents saisis, l’explication tient à l’attitude de M. de Villepin.

Le 27 juillet 2004, ce dernier, confronté aux révélations du général, rapportait encorel’insistance du ministre : "D de V : discuter encore sur le montage", puis : "Préparer demain avec JLG [M. Gergorin] "qui a des éléments ". Plus clair encore, le 2 septembre : "D de V estime que malgré les vérifications négatives, il y a quelque chose car tout ce beau monde s’agite et s’inquiète. N. Sarkozy ?" Ainsi, la place centrale de M. Gergorin dans le dispositif d’enquête sur les fichiers Clearstream, du fait de sa grande proximité avec M. de Villepin, apparaît au grand jour. Alors qu’il est l’objet des principales suspicions du général Rondot, tout indique, dans les notes de ce dernier, que l’homme d’EADS garde l’oreille du futur premier ministre. Pendant ce temps, M. de Villepin a commandé, en juillet 2004, une seconde enquête, mais cette fois à la DST - et sans informer ce service de celle de M. Rondot. S’ajoute cette instruction : "Laisser le juge faire le tri et prévoir ses investigations" - qui exprime clairement l’étanchéïté voulue avec les investigations de la justice.

A partir du mois d’octobre, lorsque le général rend ses conclusions écrites à Mme Alliot-Marie et dénonce une "manipulation", l’inquiétude gagne M. de Villepin, l’Elysée et la défense : M. Rondot mentionne plusieurs fois la nécessité de détruire les notes et les pièces du dossier, cependant que la DST minimise les informations qu’elle détient sur le rôle de M. Gergorin et, auprès de lui, de l’informaticien Imad Lahoud. Le 26 octobre, alors que M. Sarkozy s’agite et menace, M. de Villepin donne au général cette consigne : "Voir JLG pour mise en garde". Puis, le 23 novembre 2004 : "Le jeu va se calmer."