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Les pièges de l’union nationale

par Clément Sénéchal

Publie le lundi 12 janvier 2015 par Clément Sénéchal - Open-Publishing

Sur son blog, Clément Sénéchal s’interroge sur le sens de cette "union nationale" invoquée à tout-va par certains responsables politiques. D’abord, note-t-il, "d’où il sont, les anars de “Charlie” doivent rire jaune". Ensuite, écrit-il, après les "déclarations de Manuel Valls", "on entrevoit déjà une version française des lois liberticides du Patriot Act promulgué au lendemain du 11 septembre 2001 aux États-Unis". Et pour lui de préférer à "l’union nationale", un appel au "sursaut républicain".

Face aux crimes du fanatisme, ces derniers jours ont vu fleurir des réactions populaires spontanées qui, de rassemblements en dessins, de bougies en paroles, ont su mêler à la douleur du deuil le réconfort, l’espoir et la combativité pour des valeurs dignes d’être défendues. La société civile française, bientôt imitée partout dans le monde, a montré sa capacité de résilience. Nous avons tous ressenti le besoin de nous retrouver, de nous regarder, de nous tenir près. Et sans doute, de marcher ensemble, partout, comme une impérieuse nécessité. Mais pas dans l’« union nationale ».

Certes, les circonstances inspirent à tous la volonté de dépasser les clivages habituels, l’espoir que les valeurs humaines que nous avons en partage permettront pour une fois de nous rassembler. Les foules massées place de la République mercredi 7 janvier en démontrent déjà la possibilité. Mais cette union du peuple ne saurait être confondue avec l’« union nationale » telle qu’elle est proposée par une large part de la classe politique. Alors que nous sommes si nombreux à nous engager dans cette démarche avec sincérité, d’autres attendent en embuscade de récolter les fruits du choc et de la peur. Ne laissons pas les larmes nous obscurcir la vue. Ne suspendons pas notre faculté de penser au prétexte d’une situation exceptionnelle qui rendrait les différends caduques ou futiles.

Ainsi le principe d’union nationale doit être remis en cause. D’abord parce qu’il prépare le terrain pour un raidissement liberticide du régime, ensuite parce qu’il sera utilisé pour réduire au silence non seulement la critique des problèmes majeurs qui disloquent notre société — économiques, sociaux, démocratiques — mais également les oppositions politiques qui s’y expriment.

La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage

Il est d’abord frappant de constater à quel point la situation actuelle semble propice à l’affirmation des pires contradictions en toute impunité, comme si elle autorisait tous les retournements de sens. Ainsi, le gouvernement appelle de ses vœux l’union nationale au-delà des considérations partisanes, mais en exclut le Front national… sans pour autant s’émouvoir de la présence annoncée à la manifestation de ce dimanche du Premier ministre hongrois Viktor Orban. Il encense la défense de la liberté, mais Manuel Valls annonce d’ores et déjà de nouvelles atteintes aux libertés individuelles via le renforcement de lois antiterroristes.

Le terme même de manifestation pour la marche de dimanche est une imposture : il s’agit, dans ses modalités d’organisation, ses invités, sa nature même, d’une cérémonie officielle d’État plus que d’un rassemblement populaire. D’où il sont, les anars de Charlie doivent rire jaune. Alors que l’anesthésie du choc est utilisée contre le peuple, il est essentiel d’analyser ce que signifie aujourd’hui l’union nationale, non dans son principe seul, mais dans sa réalité concrète, afin de comprendre, au-delà des discours, l’avenir que l’on nous réserve.

http://www.marianne.net/Les-pieges-de-l-union-nationale_a243814.html